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Migration irrégulière – le bourbier libyen : l’enfer des jeunes, le cauchemar des parents

Lorsque j’ai vu l’un de mes plus proches amis, assis en même le sol, visage ridé et d’ une pâleur extrême, je n’ai pas pu fermer l’oeil. C’est là que j’ai vraiment compris que la situation est plus grave que je  ne l’imaginais.
On n’en dira certainement pas assez. Le phénomène de la migration irrégulière continue à vider, démunir, et à endeuiller des familles entières à travers la Guinée.  Et Lélouma n’est pas en reste par rapport à cette fâcheuse situation. D’ailleurs, depuis le début de cette année, on a assisté au départ massif de jeunes candidats à cette migration par la voie irrégulière et incertaine pour tenter d’atteindre ce qu’ils pensent être l’Eldorado. C’est à dire l’Europe. ( Photo Facebook).
Cependant, les arrestations, les emprisonnements, les viols, les rackets et même les tortures sont devenus un fonds de commerce pour les acteurs de la chaîne.
Aujourd’hui, plusieurs de ces jeunes croupissent malheureusement dans des conditions épouvantables dans les geôles libyennes. Pendant ce temps, à Lélouma, parents, amis et proches vivent un véritable cauchemar et ne savent plus à quel saint se vouer.
Témoignages pathétiques et émouvants de certains parents et proches
Au marché central de Lélouma, nous avons surpris deux femmes en larmes et  visiblement très affectées se confiant à leurs paires à basse voix:  » Je viens d’apprendre l’arrestation de mes deux fils en Libye il ya quelques jours. Personne ne sait encore où ils se trouvent et ignore même s’ils sont en vie. J’ai appelé tous les contacts susceptibles de m’informer sur mes bébés mais sans succès. Au secours mon Dieu ! Sauve mes enfants de tout malheur. Bon Dieu mon ventre. (…) », lance dans la foulée l’une d’entre elles tandis-que les autres tentent vainement de la consoler.
« (…). Voyez ce qui est en train de se produire là-bas. Et dites-moi si c’est facile de se calmer quand on n’a  pas de nouvelles de son fils depuis plusieurs jours maintenant. Chaque jour où presque on entend des cas de morts ou d’arrestations, et d’emprisonnement. Et chaque fois qu’ils sont pris, ils nous demandent d’envoyer de l’argent. Je suis même en faillite à cause de tout cet argent que j’ai dépensé depuis son arrivée en Libye mais louanges à Allah » , avant de sangloter.
Sur plusieurs visages des parents d’enfants bloqués en Libye, on lit l’émoi et le stress. Mamadou Oury Diallo, un autre parent s’est confié à notre micro et il nous raconte son calvaire suite au départ inattendu de son fils.  » Mon fils a emprunté ce chemin périlleux et incertain. Il y a de cela quelques mois sans que je le sache. C’est lorsqu’il est arrivé au Mali qu’il m’a appelé pour me faire part de sa décision de tenter d’atteindre l’ Europe via la Méditerranée. Son coup de fil m’a réellement bouleversé. J’ai tenté de le dissuader mais en vain. Il a tout simplement demandé mon appui et ma bénédiction », entame t-il. Avant de poursuivre: « après plus de trois semaines de route avec toutes les difficultés, il est finalement arrivé en Libye. Et lorsqu’il m’a reconté ce qu’il a enduré sur la route, j’ai eu des larmes aux yeux. (…). Et finalement, il m’a dit s’il s’est lancé dans cet périple, c’est tout simplement parce qu’il ignorait ce qui l’attendait si non, il n’aurait jamais tenter l’aventure. M’a t-il dit au bout du téléphone. Il a fait une première tentative qui s’est soldée par une arrestation en mer. Il a été emprisonné. Il a fallu qu’on se démerde ici pour trouver de l’argent pour le libérer. Nous sommes parvenus à mobiliser la somme demandée et il a été libéré. Il a été aussi arrêté pour une deuxième fois. Là aussi, avec l’aide de certaines personnes, il s’est tiré d’affaire. Mais aujourd’hui, ce que je suis en train d’endurer à cause de lui est tout simplement indescriptible. Ça me dépasse . L’inquiétude est trop forte. Je me demande que faire. Même au téléphone, on sent que le petit est devenu très faible, sa voix l’atteste sérieusement. (…) », déplore désespérément ce père de famille.
Sur la même lancée, El hadj Ibrahima Sow, un jeune diplômé qui évolue actuellement dans le commerce renchérit : « Je suis Ibrahima Sory Sow. Je suis actuellement basé à Lélouma et je suis titulaire d’un diplôme de licence. J’ai un certain nombre d’amis qui sont actuellement en Libye et qui veulent atteindre l’Europe via la méditerranée. J’échange régulièrement avec certains à chaque fois qu’ils ont la possibilité. Les uns me demandent d’aller voir leur famille pour telle ou telle chose. D’autres aussi  me racontent ce qu’ils sont en train d’endurer, on évoque parfois leur quotidien. Et c’est vraiment très déplorable. C’est un véritable n’importe quoi. Tout récemment j’ai eu les larmes aux yeux suite à un échange avec l’un de mes proches amis. Ils m’a parlé des injures, des tortures, de ses trois tentatives pour la traversée de la méditerranée qui se sont soldées par l’échec, de ses séjours en prison, bref des traitements inhumains dignes d’un film de fiction dont ils sont actuellement victimes. Je vous jure que je n’en reviens pas. Je n’aurai jamais pensé qu’un être humain puisse infliger de telles ignominies à son prochain », regrette t-il. Avant de poursuivre :  » tout récemment, j’ai reçu d’un ami, une vidéo où j’ai clairement identifié des amis et d’autres jeunes de Lélouma enfermé dans un gros hangar. Celà m’a davantage édifié sur tout ce que me disent les amis. Et sincèrement c’est le comble. Et lorsque j’ai vu l’un de mes plus proches amis, assis à même le sol, visage ridé et d’une pâleur extrême, je n’ai pas pu fermer l’oeil. C’est là que j’ai vraiment compris que la situation est plus grave que je  ne l’imaginais. Et depuis près de trois semaines maintenant, on a aucune nouvelle de lui. Et c’est le cas de beaucoup d’autres jeunes. Ses parents sont plus que jamais affligés par sa situation », rapporte le jeune diplômé.
La descente aux enfers continue de plus belle pour ces jeunes migrants déjà entre le marteau et l’enclume : arrestations, diète, rackets, chantage, emprisonnements, tortures, trafics humaines, etc.
En témoignent ces récits rocambolesques d’un jeune migrant rescapé de l’enfer Libyen
« Je suis El hadj Alpha Oumar Diallo. Natif de Lélouma. Dans l’intention d’atteindre l’Europe via la méditerranée, j’ai eu le malheur de séjourner en Libye il y a un peu plus d’une année . Et c’est toujours avec un cœur très serré que j’aborde cette mésaventure qui me hante toujours.  (…). J’ai vécu il y a environ deux ans maintenant les plus sombres moments de ma vie. C’était en Lybie. Je suis passé par le Mali ( Gao, Kidal), le Niger puis l’Algerie pour atteindre la Libye. Tout d’abord ,c’est en cours de route que j’ai commencé à regretter ma décision. Et si je pouvais en ce moment là faire marche arrière, je vous jure que je le ferai. Tellement que les difficultés étaient énormes. Mais ce n’était juste qu’un avant goût de ce qui m’attendait », entame le jeune homme.
« Après quelques jours de prison avec les grandes souffrances, note-t-il, on s’est embarqué pour la traversée de la méditerranée.  Après plusieurs heures sur la mer, nous nous sommes perdus. On est resté plus de quarante huit heures à errer en pleine mer. Il n y avait plus de carburant pour alimenter le moteur de la pirogue, plus de nourriture, plus d’eau. C’est au bord de la mort qu’on a été retrouvé et retourné en Libye. Direction, la prison. (…). Après trois jours de détention avec tous que vous pouvez imaginer de  pire et inhumain, on a été vendu et transporté dans une prison située dans le désert. C’est là que j’ai cru que c’était fini pour moi et que j’allais y laisser ma vie. J’y suis resté trois mois dans cette prison. La chaleur, la famine, la soif, les coups, les tortures, j’en ai sincèrement connu . J’avais perdu tout espoir de survie. La venue d’une ONG pour nous rapatrier vers la Guinée m’a suscité une lueur d’espoir, » , se rappelle le jeune Alpha Oumar Diallo.
Et d’ajouter :  » malheureusement, cette lueur d’espoir n’a été que de courte durée. Car dans le lot des dossiers des personnes à rapatrier, un agent a retiré six documents pour les déchirer. Et par malheur, mon dossier faisait partie. J’ai donc été retourné en prison. (…). Et là j’ai fait mes prières d’adieu. J’y suis encore resté deux mois.(…). Et ce sont des hommes en uniforme même qui font sortir les migrants pour des prisons pour les vendre. C’est ainsi que j’ai été sorti pour être vendu. Et mon acheteur m’a demandé 500 000 fca. Je n’avais pas où trouver cette somme. Et lorsque je lui ai expliqué de la prison dont je suis venu, et que c’est la mort que je sollicitais même, il a effectivement compris ce que j’ai enduré car lui-même m’a dit qu’il y est passé quelques jours et que la mort était mieux. On s’est finalement compris et j’ai cherché à contacter un proche frère qui est venu lui rembourser son argent pour me libérer. C’est après ça que l’OIM nous a rapatrié vers la Guinée à ma plus grande satisfaction. Même à mon pire  ennemi, je ne souhaiterais ce que j’ai traversé. Je suis resté plus de trois mois sans nouvelles. Ma famille était même sur le point de faire mon deuil », confie-t-il.
Témoignages de quelques jeunes coincés en Libye
Faut-il rappeler que ces témoignages sont le fruit de plusieurs semaines d’attente. A travers un réseau social, on a pris le soin d’envoyer des messages vocaux à plusieurs d’entre eux pour qu’ils nous racontent leurs situations (ou enfer) en Libye. Après plusieurs dizaines de jours d’attente, certains ont répondu. En voici les témoignages que nous avons jugés les plus pertinents.
 » Nous vivons ici dans une peur indescriptible et la mort dans l’âme. Moi personnellement, après quatre tentatives pour la traversée de la méditerranée qui ont échoué, je ne sais plus que faire. Quoi dire. Ce projet succidaire m’a coûté plus de cinquante millions. Cinquante millions qui m’aurait certainement servi à monter un projet chez nous pour pouvoir me débrouiller comme le font beaucoup de mes frères. Mais malheureusement pour moi. (…). Je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait sur ce chemin. Aujourd’hui je suis coincé ici. Mes parents ont presque épuisé toutes leur ressources à cause de moi. Et le projet n’a pas réussi. Je me demande actuellement comment retourner au bercail », s’interroge le jeune sous l’anonymat pour des raisons de famille et de sécurité.
Sur la même logique, H D, explique :  »  Au départ, j’étais loin, très loin d’imaginer que ma vie serait plus qu’un calvaire ici en Libyé. En sept mois environ, j’ai été emprisonné à quatre reprises dans des conditions les plus difficiles.(…). C’est très dur de tout expliquer mais sachez qu’ici, c’est la loi du plus fort. Je suis resté plusieurs semaines sans nouvelles. Et actuellement, il y a certains de nos amis qui ont disparu. Nous n’avons aucune nouvelle d’eux. Avec la situation actuelle, je suis en train de voir avec la famille, comment me retourner. Car depuis quelques temps, tout a changé, » , a t-il expliqué dans son message vocal.
 
Les autorités locales face à l’ampleur de la situation
Aujourd’hui à Lélouma, ce phénomène inquiète les autorités locales malgré que le sujet soit parfois une patate chaude.  Sur la question, le maire de la commune urbaine a tout d’abord déploré la situation que ces jeunes traversent au cours de leur périple avant d’évoquer les conséquences liées à la fuite des bras valides pour la localité.   » C’est tout d’abord regrettable de voir ces jeunes qui sont la force motrice de notre milieu partir irrégulièrement vers d’autres horizons à la recherche du bonheur. C’est vrai qu’on ne peut pas interdire à quelqu’un de partir si toutefois il pense que son avenir est compromis là où il  se trouve. Mais s’il faut partir, vaut mieux le faire légalement. Aujourd’hui, toute Lélouma est affligée par ce qui se passe sur ces routes clandestines. Les enfants sont emprisonnés, torturés et parfois même tués. C’est très triste. La Libye est un pays en guerre. Personne ou presque n’est en sécurité, » regrette le maire.
Poursuivant, le maire démande aux jeunes de » s’intéresser à l’agriculture, à l’élevage ou encore à d’autres projets qui peuvent réellement réussir ici pour abandonner ce rêve européen au péril même de leur vie ».
Interpellé sur le phénomène, le juge de paix de Lélouma, Ousmane Koulibaly, lui ne jure que par la lutte contre toute personne impliquée localement sur n’importe quel réseau lié à la migration irrégulière.
 
Des réactions croisées de quelques citoyens de Lélouma sur la question
Pour être édifié davantage sur la question de la migration irrégulière à Lélouma qui est une zone de départ par excellence, Guinéenews a promené son micro à travers la ville. Bien que bon nombre de personnes se sont montrées réticentes, les avis divergent.  Pour les uns, c’est la seule issue possible pour réussir sa vie. Tandis-que d’autres jouent à la prudence.
 » Il n’y a pas de travail ici. Les jeunes n’arrivent pas à avoir un avenir meilleur ici surtout avec ces conditions déplorables que nous vivons et connaissons tous. Voyez par vous-même ce que font aujourd’hui ceux qui sont partis par cette même voie. Beaucoup d’entre eux ont fait des constructions dignes des grandes villes. Certains ont même envoyé des voitures pour leurs parents. Comment voulez-vous que leurs amis restés ici sans même le prix d’un petit café font? Mais non! Eux aussi vont tout faire pour tenter d’aller là-bas. C’est ça la réalité les jeunes sont dans le désespoir ici. C’est pourquoi ils partent. Moi personnellement je ne crois même pas à ce que d’aucuns racontent concernant les traitements et autres affligés à ceux jeunes », tranche Mamadou Benté Diallo.
Un autre interlocuteur aborde dans le sens sens:  » c’est vrai que c’est trop risqué d’après ce qu’on raconte. Mais la réussite se trouve au bout de l’effort. Il faut savoir prendre parfois des risques. Et si c’était écrit que c’est sur ce que tu mourras, et bein, et si c’est aussi le contraire, tu réussis. On n’a plus rien à espérer ici », nous dira t-il.
 
D’autres encore, plus avisés pensent que rien ne vaut la vie et estime qu’il faut le faire dans la régularité : « Il n’est pas interdit de migrer. Mais personnellement, je pense que le mieux serait de l’effectuer de façon légale. En voyant ce que nos jeunes subissent parce qu’ils n’ont pas les moyens d’emprunter la bonne voie on a les larmes aux yeux. C’est très regrettable. Car la vie humaine est sacrée. Personne ne doit mettre son avenir avant la vie. Sinon, c’est perdu d’avance » rassure notre interlocuteur.
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