En dépit des garanties brandies par l’Etat guinéen et le projet Souapiti, les communautés impactées par la construction du plus grand barrage hydroélectrique en Guinée restent très préoccupées par le sort à elles réservé. C’est ce que nous retenons d’un entretien accordé à Guineenews© par Yasmin Dagne, chercheuse auprès de la division Afrique de Human Rights Watch (HRW), en prélude à la publication d’un rapport.
Au téléphone de Guineenews©, la chercheuse de Human Rights Watch informe tout d’abord qu’il s’agit « des mois de travail sur le projet » et que son équipe a eu « 90 entretiens avec des personnes impactées par le projet ». Des entretiens qui se sont étendus à «des responsables du projet» . Dans ces entretiens, confie madame Dagne, « on a échangé même avec l’entreprise China International Water and Electric Corporation (CWE) qui construit le barrage… »
Sans doute pour ressortir le sérieux qui a caractérisé l’exercice, notre interlocutrice indique que les entretiens menés ont touché trois (3) des quatre préfectures impactées par le projet. A savoir Dubréka, Kindia, Télimélé. Pour ce qui est de Pita, avoue-t-elle, pour des problèmes d’accès, cette quatrième préfecture n’a pas été couverte par le travail qui a commencé fin octobre 2018 pour prendre fin en mars 2020, explique la spécialiste.
Les faits et péripéties
Le décor campé, Yasmin Diagne a abordé la situation des réinstallations et des déplacements provoqués par ce projet de 450 mégawatts dont la construction a commencé en 2015. Et qui « a provoqué le déplacement d’environs 16 000 personnes, contre 48 000 personnes initialement prévues » tout de même. Une atténuation du nombre de personnes impactées, due au fait « que le gouvernement a diminué la taille du barrage…»
N’empêche, l’imposante infrastructure «inondera 250,13 Km2 de terres y compris à peu près 42 km2 de cultures et plus 550 000 arbres», informe-t-elle. Et comme pour dire que les communautés n’ont pas fini avec leurs peines, elle rappelle que «le gouvernement qui a déplacé 50 villages en 2019 et a annoncé son intention de déplacer des dizaines d’autres en 2020. »
Les versions des communautés et du projet
Dans les entretiens, «des dizaines d’habitants déplacés, rapporte-t-elle, déclarent «qu’ils avaient toujours du mal à nourrir leurs familles adéquatement », parce que «leurs terres agricoles ont été inondées. » Et ce qui semble davantage compliquer la situation, selon les explications de la chercheuse de HRW, c’est que « la plupart des déplacés sont des agriculteurs. Ils cultivent la terre depuis plusieurs générations. Et ils ont besoin de la terre. Ils ont l’habitude de cultiver la terre. Et comme ils sont déplacés, leurs terres on été inondées, ils auront du mal à faire nourrir leurs familles.»
Les communautés qui reconnaissent recevoir de l’assistance, jugent «insuffisante » la dotation qui leur est faite. L’un de leurs membres confie à Human Rights Watch que «nous avons consommé tout en un mois. » Ce qui peut s’expliquer par le fait que ces communauté sont «des gens qui ont l’habitude de cultiver la terre, qui subsistent grâce la terre. Quand ils sont déplacés sur de nouvelles terres, ils n’ont pas toujours accès à la terre agricole. Du coup, déduit la chercheuse, « ils dépendent de l’aide alimentaire. »
«Les gens attendent jusqu’aujourd’hui, ces moyens de subsistance. » rapporte Yasmin Dagne qui ajoute que « même, les premières familles déplacées en 2018 ont déclaré n’avoir reçu jusqu’à présent aucune aide leur permettant de substituer les cultures ou d’avoir de nouveaux moyens de subsistance. »
Mais le plus dur, à l’entendre, ce n’est pas forcément l’attente, mais c’est plutôt le fait «d’attendre sans savoir si cela se réalisera. » Surtout, insiste-t-elle «ils n’ont jusqu’à présent pas vu d’actes.» Car, explique-t-elle, «les populations ont beaucoup parlé de manque d’informations et de problèmes de communications avec le projet. Ils ont parlé du mécanisme. Cela est un handicap selon les gens avec lesquelles on a parlé,» rapporte-t-elle. Et d’ajouter que « ce sont des informations qui ne relèvent pas du domaine public. L’accessibilité au public n’est pas assurée. La plupart des gens avec lesquels nous avons parlé n’ont pas vu ce document. »
Pire, confie-t-elle, «le fonctionnement des comités de suivi n’est pas toujours efficace. » Leurs membres sont confrontés à des problèmes financier et logistique. Ils disent même avoir des difficultés à payer des crédits téléphoniques. A plus forte raison avoir de «l’argent pour aller aux réunions».
Face aux préoccupations exprimées par les communautés, HRW dit avoir eu des entretiens avec des responsables de Souapiti. Interrogé, selon Yasmin Dagne, « le projet Souapiti a précisé que le gouvernement fournit du riz et de l’aide monétaire, deux fois au cours des premiers mois.» Seulement, fait-elle savoir « les habitants déclarent à leur tour que les ménages reçoivent un à deux sacs de riz pour trois mois et peut-être 950 mille et 1 500 000 de francs Guinéens. » «Une aide alimentaire des fois chaque trois mois, et cela en fonction de la taille de la famille…. », rapporte-t-elle.
Par ailleurs, « le projet Souapiti a dit qu’il a des plans pour la restauration des biens, mais que ça va commencer après la fin de la construction du barrage, après le remplissage de la retenue d’eau en 2020. » Mieux, «il a précisé avoir créé des comités locaux de suivi», pour les populations.
A propos de cette longue attente, selon Yasmin Dagne, «le projet, aurait invoqué le retard pris dans la mise en œuvre de la politique officielle de réinstallation». Mais se défend-il, «il y a eu des publications sur le Plan d’action de réinstallation. Le projet dit qu’il a donné un résumé de cela aux communautés. »
Mais en réalité, ce qui est fait ne semble pas suffisant. «Même si le projet a donné quelques documents, ce n’est pas du tout détaillé et ce sont des résumés. Des simples commentaires et ou un petit résumé d’un paragraphe sans les termes appropriés sur les quelques questions clés comme l’appui à la restauration des moyens ne sont pas toujours détaillés », remarque-t-elle.
Les recommandations de Yasmin Dagne
En guise de recommandation, sans délai, «le gouvernement devrait fournir l’assistance immédiate. L’assistance alimentaire et monétaire immédiates», précise la chercheuse de Human Rigths Watch. Et d’ajouter que «le projet devrait assurer l’accès à l’information relative à la réinstallation… »
Insistant sur l’assistance immédiate, la chercheuse met l’accent sur ce volet qu’elle trouve particulièrement «important avec la crise sanitaire actuelle pour, dit-elle, permettre aux gens d’avoir l’accès à la nourriture pour eux-mêmes et pour leurs famille.» Puis, elle demande qu’il soit «aménagé un cadre pour garantir l’approvisionnement en eau potable et les services de santé pour ces communautés déplacée pendant cette pandémie»
Dans le futur, poursuit-elle, «le gouvernement doit respecter le droit coutumier. » Sans oublier « la compensation des terres ». Et de préciser que c’est « ce qui devrait se faire ces mois-ci, pour les communautés déplacées et celles qui seront déplacées dans le futur. »
Et comme pour anticiper sur ce qui pourrait être les arguments des autorités et du projet, elle invoque « des normes internationales » selon lesquelles, «ces personnes déplacées, même si elles n’ont pas de titre (titre foncier ndlr), devraient avoir droit à une compensation pour les pertes foncières. »
Mais le problème, s’inquiète la chercheuse de Human Rights Watch, c’est que «même avec l’indemnisation des cultures, il y a un manque de transparence du processus de compensation et de l’indemnisation des cultures… »
Et pourtant, selon Yasmin Dagne, en dépit de l’importance du barrage pour la Guinée qui a tant besoin d’électricité, les communautés ne devraient pas être reléguées ignorées. « Il faut s’assurer que les gens impactés par le projet ne seront pas oubliés. Il faut qu’ils soient aidés par le projet… », suggère-t-elle. Expliquant que «selon les normes internationales, les gens (déplacés ndlr) ont le droit de retrouver au moins leur niveau de vie d’avant le déplacement. »