En plus de la migration en masse des jeunes guinéens en général et ceux de la moyenne Guinée en particulier vers l’occident, une autre migration négligée mais plus répandue semble avoir emporté la grande partie des bras valides que comptent plusieurs villes et villages de la région administrative de Labé. Il s’agit là de la migration inter-Africaine qui, d’année en année, intéresse des jeunes qui décident de tenter leur chance dans l’aventure, a constaté sur place la rédaction locale de votre quotidien électronique Guineenews.
Des jeunes qui, souvent, n’ont pas les moyens de migrer vers l’occident passent par tous les moyens possibles pour essayer de forcer le destin dans des pays de la sous-région ouest Africaine comme le Sénégal, la côte d’ivoire, la Gambie, la Guinée-Bissau pour ne citer que ceux-ci. Cela dans la quête d’une vie meilleure. En laissant derrière des vieilles personnes qui ont souvent du mal à joindre les deux bouts. D’après un constat réalisé sur le terrain par Guinéenews, au moins trois préfectures sur les 5 que compte la région administrative de Labé sont frappées de plein fouet par ce phénomène qui continue de monter en flèche.
Trouvé dans une concession quasi vide dans la sous-préfecture de Popodara (préfecture de Labé), un couple de vieillards dont les enfants seraient en aventure entre le Sénégal et la Guinée Bissau a accepté de partager son quotidien : « à part ces petits enfants qui sont venus en vacance, on est seuls ici. Nos enfants sont en aventure depuis 07 ans pour certains et 16 ans pour d’autres. J’ai deux garçons Alpha et Thierno Mouctar Diallo qui sont depuis plus d’une décennie à Bissau et trois filles, dont deux sont mariées au Sénégal. Les filles viennent souvent au moins une fois tous les deux ans mais les garçons sont tout le temps occupés et ne viennent pas »,témoigne Thierno Hamidou Diallo, le chef de famille.
Sur la même lancée, Mariama Benté Bah, son épouse, renchérit en ces termes : « j’ai été une fois à Dakar chez mes filles et je n’ai plus accepté de repartir car je ne me sens pas bien là-bas, c’est comme une prison pour moi. C’est vrai que je ne faisais que manger et dormir, mais le village me manquait énormément. Je préfère rester dans ma concession auprès de mon époux car c’est ici chez moi, c’est là ma place »,estime cette sexagénaire qui tentait tant bien que mal de faire le déjeuner dans des conditions peu reluisantes.
Un peu devant Popodara, on a posé nos valises dans la commune rurale de Kouramangui où le fléau semble être plus répandu avec toutes les conséquences qui vont avec. Saifoulaye Diallo, le deuxième vice maire de la commune confirme la situation : « un sujet très important qui paralyse toutes les activités dans les villages. Par exemple, au niveau des activités économiques, un jeune qui fait entrer de l’argent dans un village sort comme ça alors que c’est lui qui était à la fois l’entrée et la sortie de l’argent. Maintenant quand il quitte en laissant dans le village des vieux qui ont 80, 90 ans ; aucune activité ne peut bouger là. A Kouramangui ici, vous avez des mosquées qui sont construites un peu partout. Mais aux heures de prière, on ne verra que 2, 4 ou 5 jeunes dans les mosquées ; tous les jeunes sont partis » déclare-t-il.
Pour illustrer davantage sa version, le deuxième vice maire de Kouramangui met un accent sur les mariages à distance avec leur cortège de malheur. « Des jeunes garçons se marient à des filles, après ils quittent le village en laissant les jeunes filles tout en interdisant à ces dernières d’aller même au marché. Il va en aventure et reste pendant 1, 2, 3 ans sans revenir au village et sans parfois même donner la dépense. Il laisse la jeune fille comme ça dans le village. Maintenant, la jeune fille étant habituée à tout arrive à tomber enceinte. On condamne la jeune fille, on provoque le divorce. Mais qui est responsable ? C’est le jeune qui a a laissé sa femme pour partir » dénonce-t-il.
Dans la même lancée, Saifounlaye Diallo évoque l’impact de l’immigration sur le système éducatif à Kouramangui ; « Dans les écoles, nous entretenons les enfants jusqu’en 7éme, 8éme, 9éme année. Ils quittent le village, ils quittent l’école ; ils vont dans les villes, ils ne font rien à part devenir cireur de chaussures, petits apprentis chauffeur, … sans rien apporter au village. Ils ne pensent même pas à leur village alors qu’il n’y a que des vieux dans le village ; même si c’est un animal qui meurt on a personne pour vendre ne serait-ce que la viande ; le village est laissé pour compte » conclut le deuxième vice maire de Kouramangui.
D’une préfecture à une autre, le même constat, voire pire a été établie à Lélouma où l’unique lycée est depuis une année en manque d’apprenants. Une situation qui risque de s’étendre aux prochaines années avec l’accélération de ce phénomène d’immigration doublé à l’exode rural qui prend également des proportions très inquiétantes dans cette autre partie de la Guinée. A cœur ouvert, le maire de la commune urbaine de Lélouma, Moustapha Baldé s’est prêté à nos questions dans un entretien à bâton rompu.
« L’immigration que je pourrais qualifier de sous-régionale impacte beaucoup Lélouma. Négativement dans la mesure ou vous pouvez arriver dans certaines localités où il n’y a pas de bras valides; où vous trouvez juste des femmes, des vieux et des enfants. Donc, c’est un gros handicap et quelque part c’est souvent des immigrés qui vont faire du commerce dans la sous-région notamment au Sénégal, en Côte-d’Ivoire, en Guinée Bissau, en Gambie, … » entame-t-il.
Pour ce qui est de la déperdition scolaire, le maire de Lelouma n’est pas passé par le dos de la cuillère pour dénoncer : « Il y a aussi souvent des enfants qui quittent l’école pour aller rejoindre soit un oncle soit un frère ou un papa pour l’aider dans les activités de commerce. Et c’est plus souvent des enfants qui sont soit au collège ou qui ont échoué une seule fois au BEPC ; donc ça impacte négativement. Et ca entraine effectivement la déperdition scolaire parce qu’il y a aussi beaucoup d’enfant de Lelouma qui quitte Lélouma pour d’autres établissements notamment Labé et Conakry pour ce qui est de la Guinée ; mais il y a aussi des enfants qui quittent ici pour aller s’inscrire dans des écoles au Sénégal, en côte d’ivoire, … y en a beaucoup » reconnaît-il.
Sur la même logique, le maire de Lélouma partage une situation très inquiétante par rapport au lycée : «par rapport au bac car je crois,il y a eu un an sans candidat et le phénomène va se répéter certainement lors des deux années successives puisqu’actuellement. Au Niveau du lycée il n’y a pas de 11éme année et c’est à partir de l’année prochaine qu’il y aura une année, toutes les options confondues. Mais si les enfants réussissent au BEPC (brevet d’étude de premier cycle), il y aura un redémarrage. Mais pour les deux ans qui vont suivre, Lélouma risque de ne pas se présenter au Bac »,soutient Moustapha Baldé, le maire de la commune urbaine.
Frontalière du Sénégal, la préfecture de Mali serait également l’une des vedettes de l’immigration inter-Africaine. « Si vous partez au Sénégal, sur un total de 10 Guinéens rencontrés vous verrez au moins, que 6 à 7 sont de Mali, de Yimbering, de Sigon, de Balaki, de Hidayatou (sous-préfectures de Mali). Juste pour vous dire que si chez les autres c’est maîtriser ; ici c’est la débandade totale. Tous les jeunes rêvent d’aller au Sénégal pour tenter leur chance. C’est la plus grande ambition ici. Conséquences, on est parfois même obligé de louer les services de personnes venues d’ailleurs pour nous assister dans les travaux champêtres », fustige El Hadj Mamadou Oury Bah, instituteur natif et en service à Mali.
Il faut signaler qu’en plus des préfectures et sous-préfectures cités ci haut, le phénomène d’immigration inter-africaine en masse continue de se répandre dans toutes les contrées de la Guinée. Le chômage et le désespoir semblent être les causes de ce fléau qui monte crescendo. Par ailleurs, il faut reconnaître que ce fléau a aussi des côtés positifs que Guinéenews se fait le devoir de vous faire vivre dans la seconde partie de ce reportage.
A suivre !