Nommé depuis février 2020 à la tête de l’EDG (Electricité de Guinée) comme Directeur général, Bangaly Maty travaille sans bruit. Sous sa direction, l’EDG a connu de nombreuses réformes avec une gestion plus rigoureuse. Mais rarement, l’homme n’apparait dans la presse. Rencontré cette semaine dans son bureau, le patron de la guinéenne de l’électricité a humblement accepté de se prêter à nos questions. Dans cette entretenue, le DG de la guinéenne de l’électricité parle des réformes engagées depuis qu’il a pris les rênes de l’entreprise, la problématique des délestages, les allégations de malversations, les sanctions envisagées au regard des règlements de la société contre les probables fautifs, les spéculations sur son salaire, ses rapports avec les nouvelles autorités. Sans oublier la confusion autour de la prise en charge par le gouvernement des factures d’EDG pendant la période de confinement due à la pandémie de Covid. Lisez !
Guinéenews : monsieur le DG, vous êtes à la tête de l’EDG depuis février 2020. Dans quel état l’aviez-vous trouvé et quel a été votre apport ?
Bangaly Maty : dès ma prise de fonction en février 2020, j’ai tout de suite engagé une revue approfondie de la structure d’EDG en travaillant avec une équipe transverse, composée de gens venant de différents départements (commercial, technique, finances…). Ceci pour comprendre les problèmes et les défis auxquels est confrontée l’EDG. Ce travail nous a pris environ un mois. A la sortie de cet exercice, on a compris que les difficultés sont regroupées en 4 catégories. La première, c’est le défi lié à la subvention, comment la réduire, cette subvention. Sachez que toutes les opérations de l’EDG sont subventionnées aux alentours de 3.500 milliards de francs guinéens par an. Ce qui est énorme. Donc, il faut tout mettre en œuvre pour revoir cette subvention à la baisse. Le deuxième axe, c’est la sécurisation des recettes. Il faut sécuriser le peu que gagne la compagnie. Le troisième axe, c’est la question relative aux ressources humaines. A EDG, on a environ 1450 employés. Dont 78% ont plus de quarante ans et 51% plus de cinquante ans. Une très grande proportion pour une entreprise technique. Les cadres supérieurs sont vieillissants, les agents sont aussi d’un âge avancé. Voilà donc une problématique, il a fallu faire face. Alors il a fallu penser au rajeunissement du personnel et la relève. Il fallait aussi faire face aux engagements des parties prenantes. Penser à la méthode de payement des factures d’électricité, les problèmes de coupure de courant, la consommation abusive d’électricité, manque d’économie d’énergie. Tous ces facteurs sont les choses sur lesquelles il faut discuter avec les parties prenantes, c’est-à-dire la population. Il faut qu’elle impacte de leur comportement sur le réseau. Les autorités aussi, comment elles peuvent nous accompagner dans le redressement. C’est le lieu de noter ici que sur les questions de subvention, les tarifs moyens d’EDG représentent aujourd’hui 30%. En termes de bonnes nouvelles, beaucoup d’investissements et d’avancées en matière de production, vous avez désormais les barrages de Kaléta, Souapéti, un parc auto, un parc de production confortable.
Guinéenews : vous avez parlé tout à l’heure des investissements faits sur le secteur d’énergie, mais malheureusement nous constatons de plus en plus des délestages dans les quartiers. Qu’est-ce-qui explique ces coupures intempestives du courant ?
Bangaly Maty : effectivement, je pense que cette question est en droit d’être posée. Les attentes des populations augmentent et c’est normal. Le courant plus on en a, plus on le veut. On est habitué aujourd’hui à avoir le courant 24/24. La tolérance vis-à-vis des coupures a diminué. Sinon, la réalité est qu’il y a une augmentation extraordinaire. On est sorti de la période où les gens criaient de joie à chaque arrivée de courant dans les quartiers, pour être aujourd’hui à la période d’impatience. A titre de comparaison, cette année on n’a eu que sept déclenchements contre trente-neuf déclenchements, l’année dernière. Quand on compare les deux mois, de septembre, on a eu onze déclenchements contre sept, cette année. Et en plus, nous avons passé cette année la période d’étiage sans le sentir. C’est une première en Guinée. Et c’est un progrès indéniable ! Par rapport au coupure, vous avez bien dit dans certains quartiers. Je vais commencer par la nature de coupure que nous avons. Au niveau de déclenchement général, l’énergie ce n’est pas qu’un interrupteur ! C’est un processus. Il y a la production, le transport et la distribution. L’énergie, elle est produite, il faut la transporter, la distribuer. On n’a que deux lignes de transport. Si quelque chose arrive à une ligne, toute la source de production sur la ligne là est complètement coupée. Quand cela arrive, ce n’est pas la faute à l’EDG. Vous allez remarquer pendant la période de novembre, décembre, c’est période de fortes orages, il y a des phénomènes naturels qu’on ne maitrise pas et qui peuvent provoquer des courts-circuits. Pour éviter qu’ils ne provoquent des courts-circuits, on utilise des systèmes de protection. Les disjoncteurs sautent. Ce que vous ressentez comme coupure, ce n’est pas long. La coupure, c’est une fraction de seconde. C’est la remise en production qui prend du temps en fonction des quartiers, plus on est plus proche des sources de production, la coupure ne dure pas. Quand on habite le quartier Sonfonia et qu’il y a déclenchement, on reçoit le courant plus vite que celui qui habite la commune de Kaloum. Le deuxième type de coupure que nous avons, elle est due à la nature de réseau. A Conakry, on a cinq gros postes qu’on appelle des postes-sources qui ont des puissances limitées. Donc, un moment donné quand la demande est supérieure à ce que ces équipements peuvent fournir, ils ne tiennent plus. Et cela déclenche automatiquement, là on est obligé de couper certains consommateurs. C’est ce que vous voyez souvent dans certains quartiers où le courant part à 19 heures pour revenir à minuit. C’est parce que entre 19h et minuit, la demande est très forte. Tout le monde allume tout. Quand les gens commencent à éteindre les lumières, la charge baisse. Vous observez ce phénomène pendant la période de Ramadan… Ce n’est pas un manque de courant. Le courant est là. C’est dû à la capacité de distribution. C’est un phénomène de temps. Entre 2017 et 2020, la production a augmenté de 78% on a quitté 1.117 pour arriver à 1995 MW. Tout d’un coup, tout le monde a du courant. Pour y remédier, il faut des investissements. Il y a aussi les gens qui installent des réseaux de fortune qui causent beaucoup de dégâts et de pertes techniques. Ces réseaux créent des perturbations (variation de tension) dans les quartiers. Mais nous avons des projets pour enrayer ce phénomène. Nous allons installer des poteaux partout à Conakry et dans d’autres villes. Nous sommes en train de construire des postes pour désengorger les surcharges (Sangoyah-Casse, Sangoyah-Gare, Sanoya Kissosso) Il y a aussi les transformateurs qui sont surchargés et agressés par les populations. On a des tiges de protection…
Guinéenews : parlons du fonctionnement de l’EDG et aussi du soupçon des détournements….
Bangaly Maty : j’ai déjà parlé des actes stratégiques. A l’EDG, il n’y avait aucun système fiable. On a lancé un projet pour restructurer tout le système. Dans tout Conakry et certaines villes de l’intérieur, le système de facturation a changé. Même celui de la comptabilité, le système d’achat. C’est au cours de la mise en place de tout ce projet qu’il a été détecté des cas de malversations potentielles sur lesquels j’ai instruits que des audits soient faits. Effectivement, des réseaux ont été découverts. Des réseaux qui existent depuis des années. Il y a un réseau de travailleurs qui font des sous-paiements dans le but de récupérer des payements. Les coupables ont été identifiés. Il y a eu un conseil de discipline qui a été mis en place. Qui a passé tout le personnel en conseil de discipline. Des dispositions seront prises à partir des règlements intérieurs.
Guinéenews : y-a-t-il des dispositions administratives au niveau de l’EDG ?
Bangaly Maty : dans les entreprises, il peut y avoir ces genres de comportements qui ne sont pas acceptables. Selon la gravité des fautes inscrites dans le règlement, les sanctions sont envisagées. Cela part de l’avertissement au licenciement… Tous ces gens ne sont pas coupables. Nous examinons sérieusement les dossiers voilà pourquoi ça prend du temps.
Guinéenews : que répondez-vous à ceux qui vous reprochent d’avoir un salaire trop élevé ?
Bangaly Maty : c’est quoi un salaire trop élevé ? Moi-même, j’ai lu dans la presse. EDG a été gérée jusque-là par un organe extérieur, VEOLIA. Suite à cela, il a été demandé de recruter pour continuer la gestion de l’EDG. Pour le poste du directeur général, il y a eu 83 candidats. Les postulants ont été testés par un cabinet indépendant pour recruter les meilleurs. C’est ainsi que j’avais été retenu. Tous les chefs de départements ont passé le test d’évaluation… Mais, je peux vous garantir que je ne gagne pas 25% de ce que je gagnais. Et puis, il n’appartient pas au Directeur général de l’EDG de fixer son propre salaire. EDG est une compagnie qui est sous contrôle du gouvernement. Savez-vous qu’il y a un conseil d’administration ? Croyez-vous que le Directeur général peut se faire payer sans l’approbation d’une structure du gouvernement ? Cela n’est pas possible. Le Directeur général actuel de l’EDG ne gagne pas les 30% de ce que son prédécesseur touchait chaque fin du mois.
Guinéenews : quels sont vos rapports avec les nouvelles autorités ?
Bangaly Maty : mes rapports avec les nouvelles autorités sont bons. Ce sont les nouvelles autorités. Nous travaillons sous les orientations de l’Etat, du gouvernement… Nous entretenons des rapports excellents. En tant que citoyens, nous travaillons pour le succès de la transition. Comme cadres, nous nous engageons pour le bien-être des populations.
Guinéenews : monsieur le DG, on nous avait fait savoir les premières heures de la pandémie de COVID-19 que les factures d’électricité des citoyens seront prises en charge par le gouvernement. Mais un an après, les factures qui tombent dans les foyers laissent croire que rien n’a été fait ?
Bangaly Maty : très bonne question ! Il vous souviendra que le mois d’avril, si ma mémoire est bonne, la Guinée à l’instar des autres pays du monde, était engagée à prendre des mesures de riposte à la pandémie de COVID-19. Par rapport à ces mesures, la Guinée a pris l’engagement de prendre en charge les factures de courant d’une catégorie de la population. Pour les domestiques, ce sont les deux premières tranches 1 et 2 qui ont été prises en charge. Les industries hôtelières ont eu des soulagements. Pendant la période de COVID-19, EDG n’a pas émis de factures… Je prends au hasard quelqu’un qui a l’habitude de recevoir une facture de 500.000 gnf dans lesquels l’Etat prend en charge 300.000. Si les 200.000 qui restent se superposent pendant neuf mois. Voyez-vous ce que cela fait à l’atterrissage. Certains avaient oubliés qu’ils avaient des factures impayées avant la pandémie de COVID-19. Maintenant que la COVID est derrière nous, ces factures, il faut les payer ! ça coûte cher, l’électricité ! Cette affaire de gratuité, c’est une perte. EDG ne gagne pas grand-chose. Chaque facture que vous recevez, l’Etat paye 25%. En moyenne, l’électricité coûte 2500f le KW et nous le vendons à 600 gnf…
Entretien réalisé par Louis Célestin pour Guinéenews