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Le peuple de Guinée, un peuple qui attend de naître

Pour justifier leurs revendications respectives, le gouvernement et l’opposition font appel au peuple de Guinée : « je ferais ce que veut le peuple de Guinée » confie, dans LeMonde, Alpha Condé. À en croire l’opposition, la manifestation monstre organisée par le FNDC (Front National de défense de la constitution) le jeudi 24 octobre traduirait l’opposition du peuple de Guinée à une révision de la constitution. Ainsi la volonté du peuple de Guinée, qui reçoit une interprétation différente selon les mouvances politiques, serait à la source des tensions qui opposent partisans et opposants du troisième mandat. Mais avant tout, la question est de savoir s’il existe un peuple en Guinée ? Si oui, quels sont les mécanismes sociaux et institutionnels dans lesquels s’objective le peuple de Guinée ? En clair, dans un contexte politique marqué par l’effondrement de l’État et une érosion du pouvoir décisionnel des citoyens, à quoi pourrait-on reconnaître la volonté du peuple de Guinée ?

Sans un long détour à travers les sciences politiques ou la philosophique politique, disons que dans l’histoire politique de la Guinée, le peuple n’a jamais existé. En effet, le peuple ne se confond pas à la foule ; il n’est pas la somme d’individus qui compose un territoire. Il y a peuple tout d’abord là où est manifeste une volonté commune de régir la coexistence entre les hommes selon une conception discutée et acceptée de la justice. Et c’est dans l’institutionnalisation des rapports sociaux et du pouvoir politique (compris comme un bien commun) que s’incarnera cette volonté commune de vivre ensemble. Autrement dit, un peuple se reconnaît à l’existence d’un État qui organise l’espace commun selon des principes de justice qui ont fait l’objet d’une discussion et d’un compromis entre les individus ou les communautés qui cohabitent ensemble au sein d’un territoire. C’est là une conception parmi tant d’autres de la notion du peuple, avouons-le. Mais l’idée du commun, de l’existence d’un espace commun régi par des principes communs et donc non arbitraires, que manifeste cette conception du peuple ne peut être exclue par d’autres conceptions concurrentes, au risque de rendre vide la notion même du peuple.

Or justement, de Sékou Touré à Alpha Condé, la Guinée se caractérise par une tragique absence du commun. En 1958, le socialisme totalitaire de Sékou Touré reposait sur une identification entre la personne du chef et le peuple : Le peuple, c’était Sékou Touré.  En 1984, la doctrine du Redressement national, instaurée par le nouveau régime de Lansana Conté, reconduisait sous des modalités plus softs cette personnalisation du peuple, dont Sékou avait donné le coup d’envoi. De la parenthèse Dadis Camara jusqu’au régime actuel d’Alpha Condé, les changements au niveau de l’exécutif n’ont jamais ébranlé cette construction personnalisée, taillée sur mesure, du peuple à des fins de contrôle et de domination. Et faut-il le rappeler : cette instrumentalisation arbitraire de la notion du peuple s’est fait au prix d’une négation du pluralisme social. Or, c’est un point crucial, sans reconnaissance du fait de la pluralité, c’est la possibilité même d’un espace politique, où s’exprimera la volonté du peuple, qui demeure compromise.

Que l’opposition reprenne à son compte la notion du peuple de Guinée, sans aucune perspective critique, voilà donc ce qui peut étonner ! Car comment ne pas voir que, politiquement, ce peuple n’a jamais existé, et que ce fut toujours, autant dans l’opposition que dans le gouvernement, la personne du chef qui a régné sans partage ? N’est-ce pas s’abandonner à un effet de mode que de recourir spontanément à la notion du peuple de Guinée alors que font cruellement défaut l’existence d’un « espace public », d’un « bien commun », d’une « volonté commune » ?

Aujourd’hui, il nous faut renvoyer dos à dos l’opposition et le gouvernement afin qu’ils prennent la mesure de l’échec moral et culturel auquel est confronté le pays. Seule la conscience d’un tel échec permettrait de saisir la distance qui sépare l’usage de certains termes (la démocratie, la république, la nation, le peuple) et la réalité du contexte guinéen, un contexte apolitique où des vies sont quotidiennement brimées par un exécrable abus de l’autorité personnelle. Si l’on veut donner une réelle signification à l’idée du peuple de Guinée, il faudra que l’humain et la politique fassent sens avant tout. Pour ce faire, il faut commencer par penser la possibilité d’un espace commun respectueux de la dignité de la vie humaine, autrement dit une société d’espérance où la vie vaut la peine d’être vécue.    

 

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