La Mairie de Kankan a choisi Energie, un quartier riverain du fleuve Milo, pour la construction d’un centre de loisirs. Ainsi, depuis quelques temps, les travaux de grandes envergures sont engagés sur le site avec pour corolaire la destruction à grande échelle de la flore et sa population faunique sur un pan important des berges du fleuve. Ce sont plusieurs essences végétales qui sont en train d’être massacrées dans la plus grande passivité des autorités locales et des populations.
Autrefois dense, les arbres et arbustes qui enveloppaient le fleuve sur ses deux rives font aujourd’hui place à un décor dégarni, clairsemé et totalement insoutenable. Comment le Conseil Municipal censé protéger l’environnement, peut-il être se l’auteur d’un tel désastre ? Enquête.
Sur l’une des rives du fleuve Milo, sous le grand pont, du côté du quartier Energie, c’est un vaste espace de plusieurs hectares qui est clôturé et en cours d’aménagement. Les berges du fleuve s’y trouvant subissent la loi des bulldozers et autres tronçonneuses. Le Conseil municipal y a posé sa pioche pour la construction d’un centre de loisirs, apprend-t-on.
Lors de notre visite, il nous a été donné de constater sur le chantier, près d’une centaine d’ouvriers à l’œuvre. Des maçons, des charpentiers, des chauffeurs de camions, des ferrailleurs et soudeurs y travaillent sans relâche sur les gros troncs d’arbres abattus. Ils s’emploient activement à découper les branches, racines des arbres déjà ravagées. Ces ouvriers assènent des coups de bûches aux grosses racines des essences qui résistent encore. Par terre, des bois découpés entassés, de quoi remplir une dizaine de camions remorques.
Sur les lieux, impossible pour nous de trouver le moindre interlocuteur courageux parmi ce monde d’ouvriers pouvant vous expliquez ce spectacle de désolation qu’ils sont train de semer. Pire, ces travailleurs, sans s’encombrer du moindre scrupule, nous interdissent de réaliser la moindre image du site.
Une action aux lourdes conséquences pour les riverains !
La berge qui est censée être protégée et reboisée, est détruite au su et au vu de tous ! Face à cette catastrophe qui menace le fleuve Milo, certains activistes écologistes de la ville comme Djiba Camara ont tenté d’arrêter cette hémorragie végétale. Pour lui, ce projet de construction le long de la berge du fleuve Milo, est inacceptable : « tandis qu’on reboise les bordures du fleuve Konkouré, ils sont en train de déboiser celles du Milo. C’est complètement absurde. Avant qu’ils entament leurs travaux, on pouvait y compter plusieurs centaines d’arbres. Mais aujourd’hui, il n’en reste même plus 10 à cause du désir insatiable de certains cadres qui prétendent être en train de construire un lieu de loisirs pour la population. Construire un lieu de loisirs en rasant des arbres… On le sait tous qu’on n’a pas besoin de démontrer que la déforestation est néfaste pour notre écosystème et qu’elle nous met tous en danger », s’alarme-t-il.
Ce jeune activiste écologiste n’est pas le seul qui exprime sa frustration vis-à-vis de ce chantier de construction. Les femmes qui y pratiquaient l’extraction du sable et cultivaient des cultures maraichères et qui ont été expulsées des lieux, ont condamné l’occupation de cet espace qui était leur gagne-pain.
Tiranké Kaba, veuve, témoigne : « depuis le temps de feu président Sékou Touré, nous faisions l’extraction de sable ici. Cela permettait de désensabler le fleuve et nous permettait aussi de gagner de l’argent pour subvenir aux besoins de nos progénitures. Et comme on était là, personne n’osait venir jeter des ordures. Il y avait de la forêt à perte de vue. D’ailleurs quand ils sont venus nous déloger, nous sommes allées plaider notre cause auprès du maire. Mais il n’y a eu aucune réaction de sympathie en notre faveur. Ils nous ont dégagées pour barricader l’espace. »
Dame Tiranké et son groupe ne sont pas les seules victimes. Ce chantier a mis fin aux activités des jeunes laveurs de motos et de véhicules. Ceux qui sont réticents et qui y débrouillent toujours, leurs jours sont comptés. Ils interpellent les nouvelles autorités du pays afin qu’elles interviennent pendant qu’il est temps. « Ici, c’est une berge qui mérite d’être exploitée sans couper les arbres. Et c’’est ce que nous faisons jusqu’ici. Les Services des Eaux et Forêts venaient à chaque fois nous trouver ici pour nous demander de veiller sur les arbres… Alors nous demandons aux nouvelles autorités de faire arrêter le chantier… », a plaidé un jeune laveur de véhicule.
Qui a cédé l’espace pour la construction de centre de loisirs ?
Si on en croit aux témoignages de certains conseillers communaux, le projet de construction sur les berges du fleuve Milo, au quartier Energie, n’a pas été décidé inclusivement par le conseil communal. « Un jour, le maire nous a tous convoqués à une réunion extraordinaire et nous a informés que ces berges du fleuve seront consacrées à la construction d’un lieu de loisirs. Rien de plus. Aucun parmi nous les conseillers, ne connaît les détails financiers, c’est-à-dire le coût d’investissement pour la réalisation de centre. C’est le maire lui seul et celui qui est en train de financer qui sont à la baguette. Comme nous sommes sous l’ère de nouvelles autorités, nous espérons que leurs actions ne se limiteront pas à Conakry. Qu’ils exigent aussi des comptes à l’intérieur, notamment à Kankan où il y a beaucoup de graves dysfonctionnements et autres déprédations », nous apprend Lancinè Condé, conseiller municipal.
Par ailleurs, sollicité par Guinéenews pour connaître les détails en liens avec ces détails financiers de ce projet ainsi que les accusations et le flou qui l’entoure, le maire de la commune urbaine de Kankan, Mory Kolofon Diakité, n’a pas souhaité nous recevoir.
Ce projet d’après sa maquette, est financé, même si le montant ne figure nulle part, par la commune. Mais selon certaines indiscrétions, il s’avère qu’il est en réalité financé par un opérateur économique du nom de Mohamed cinq Kaba. Ce dernier, joint au téléphone, nous a aussi laissé entendre qu’il n’est pour le moment en mesure de nous faire aucun commentaire à propos.
A qui profite cette dévastation de l’environnement en cours sur les berges du fleuve Milo ?
Cette question, nous l’avons posée au commandant de la section préfectorale des forêts et faunes de Kankan. « C’est un projet qui vient du sommet. Nous, nous disons que l’opérateur économique (Mohamed 5 Kaba) est un fils de la région et qu’il vient pour contribuer au développement de la ville… Il possède déjà à Conakry 2 autres endroits de ce genre sur les berges du littoral. Donc en accord avec l’ex-préfet de Kankan, Amara Lamine Soumah, le maire nous a informés. Selon les plans qu’ils nous ont été présentés, il n’est pas question de faire disparaître les arbres sur la berge. C’est un espace de loisirs pour les citoyens mais qui devrait répondre aux normes écologiques. Donc les arbres qui sont coupés devront être remplacés. Nous y veillerons. », rassure le capitaine Kpogomou Nyankoye, responsable local des Eaux et Forêts à Kankan.
A signaler que malgré les impacts visibles de cette déforestation, les travaux de ce chantier de construction d’un centre de loisirs sur la berge du fleuve Milo se poursuivent à grand pas et au grand dam des populations qui sont les premières victimes.