L’élection du président Alpha Condé en 2010 a soulevé d’immense espoir par rapport aux réformes de l’Etat et de la modernisation de l’Administration publique notamment pour ce qui est de la promotion des compétences et du mérite dans le choix des cadres à des postes techniques.
Pour aider à faire de ce rêve une réalité, les bailleurs de fonds n’ont point hésité à apporter leur assistance tant technique que financière pour la mise en route de ces programmes de réformes de la Fonction Publique. Ce sont des centaines de millions de dollars qu’ils débourseront pour financer le “renforcement des capacités” de la Fonction Publique guinéenne.
C’est en 1982, sous l’ancien régime que le Fonds Monétaire International (FMI) s’impliquera pour la première fois en faveur de la réforme de la Fonction publique qui était déjà pléthorique et inefficace. La principale raison étant les nominations sur des critères de loyauté au régime que des compétences. Une tradition implémentée rigoureusement par le régime révolutionnaire de la Guinée qui avait réussi avec brio à instaurer une sorte de dogme qui préférait le “politique” au “technique” et tous les postes étaient attribués par décret sans tenir compte d’une quelconque compétence.
En 1985, le nouveau régime militaire implémentera la pilule amère de compression d’effectifs en procédant à des concours de compétences. Cet acte sera suivi par d’autres réformes toutes aussi mitigées que les précédentes. Mais les mauvaises habitudes ayant la vie dure, le décret présidentiel continuait à nommer des cadres qui ne sont jamais soumis à la moindre obligation de résultats.
En 1999, un plan triennal de réforme de la Fonction Publique a été signé avec le FMI et les agressions rebelles viendront compromettre le programme. Les réformes seront complètement abandonnées jusqu’à la mort du président Conté et la parenthèse du CNDD.
A l’arrivée du président Alpha Condé en 2010, le FMI reviendra avec un plan de “réforme de la Fonction Publique”. Mais très vite, on assiste à une rebelote. On assiste à des nominations à travers des décrets plus ou moins contestables et qui privilégient les militants du parti au pouvoir (RPG Arc-en-ciel) en marginalisent ceux perçus comme favorables à l’opposition. Le résultat ne se fit pas attendre, la fonction publique, politisée, peine à exécuter les plans de développement mis en place par les partenaires étrangers et ironie du sort, le président de la République, lui-même, se plaint du faible niveau des cadres qu’il a nommés. La tragique épidémie d’Ebola, quant à elle, viendra porter un coup fatal aux réformes. La lutte contre cette maladie virale ayant été devenue une question de survie nationale.
Présentement, le Fonds Monétaire International (FMI) / Banque Mondial (BM) et l’Union Européenne financent un énième projet portant sur les réformes de la Fonction Publique avec à la clé plusieurs dizaines de millions de dollars. Ces fonds devaient servir à financer les opérations de recensement des agents de la Fonction publique et leur biométrisation…
Pourquoi, depuis la première République jusqu’aujourd’hui, les partenaires financiers de la Guinée continuent à mettre autant de fonds sans jamais pouvoir atteindre les résultats escomptés?
Cet éternel recommencement, c’est-à-dire ces échecs à répétition et qui, apparemment, ont tendance à devenir une véritable énigme dans la gestion de la fonction publique, Guinéenews s’y est penché.
Réforme de la Fonction Publique – Absentéisme, fictifs et détournements, un autre échec
Le président Alpha Condé s’est souvent plaint de l’incapacité des cadres guinéens à l’accompagner pour le développement de la Guinée. Cet aveu, il le fait publiquement et ne se prive pas à faire recours à des compétences étrangères dans presque tous les dossiers importants.
Le dernier gouvernement comme d’ailleurs tous ceux qui l’ont précédé, compte un ministère dédié à la Fonction Publique, la Réforme de l’Etat et la Modernisation de l’Administration. Il est tenu par Billy Nankouma Doumbouya. Il administrateur civil et ancien conseiller qui a remplacé Sékou Kourouma, suite aux troubles sociaux de février 2017.
Annoncée avec fanfare et bénéficiant des millions de dollars de financement de la part des bailleurs de fonds, la réforme de la Fonction publique guinéenne s’est soldée par un fiasco total. Telle est la conclusion d’une enquête de Guinéenews dont nous vous livrons ici les détails.
Une administration publique compétente, neutre et efficace est le gage fondamental pour tout développement économique. Comme c’est le cas d’ailleurs dans les pays aujourd’hui performants et développés que dans ceux en voie de développement.
Etat des lieux…
Le budget 2017 de la Fonction Publique est, selon Billy Nankouma Doumbouya lors de la présentation au Parlement, de 86 milliards 39 millions 707 mille 202 (FG 86.039.707.202 ou USD 9.554.659.32). Au 13 novembre 2017, son taux d’exécution était de 77% soit 68 milliards 584 millions 262 mille 158 FG. Pour l’année 2018, les prévisions du département portent sur un budget de 105 milliards 545 millions 537 mille de FG.
Les grands chantiers annoncés avec fanfare avec l’appui des bailleurs de fonds, portaient sur des axes prioritaires bien définis que sont: la grille indiciaire, l’assainissement du fichier de la fonction publique, les opérations de recensement biométrique des fonctionnaires, la modernisation de l’administration, le projet d’école normale d’administration (ENA).
L’absentéisme est le principal défi de tous les gouvernements guinéens depuis l’indépendance. La blague étant : « l’Etat fait semblant de nous payer et nous faisons semblant de travailler ».
En effet, le tableau des effectifs de la Fonction Publique par tranche d’âge et sexe se présente comme suit : femmes de moins de 30 ans 2 581 ; de 30 à 40 ans 25 122 ; de 41 à 50 ans 7 839 ; de 51 à 65 ans 7 185 et plus de 65 ans 208. Hommes de moins de 30 ans, 4 864 ; de 30 à 40 ans 31 741 ; de 41 à 50 ans 20 125 ; de 51 à 65 ans 19 544 et de plus de 65 ans 518.
Tranche d’âge | Femmes | Hommes |
Moins de 30 ans | 2.581 | 4.864 |
30 à 40 ans | 25.122 | 31.741 |
41 à 50 ans | 7.939 | 20.125 |
51 à 65 ans | 7.185 | 19.544 |
Plus de 65 ans | 208 | 518 |
On dénombre un total de 7 445 fonctionnaires de moins de 30 ans, 46 763 de 30 à 40 ans, 27 964 de 41 à 50 ans, 26 729 de 51 à 65 ans et 726 de plus de 65 ans. Ce qui donne un effectif total de 109 627 fonctionnaires.
Tranche d’âge | Nombre de fonctionnaires |
Moins de 30 ans | 7.445 |
39 à 40 ans | 46,763 |
41 à 50 ans | 27.964 |
51 à 65 ans | 26.729 |
PLus de 65 ans | 726 |
Total | 109.627 |
Comme on le voit, l’effectif de la fonction publique est vieillissant du fait, dit-on, des recrutements massifs et fantaisistes de fonctionnaires opérés depuis plusieurs années sans pour autant procéder à la mise à la retraite de vieux cadres dont certains occupent les mêmes postes depuis belle lurette.
Indiscipline et embauches de complaisance
Alors que les bailleurs de fonds exigeaient un effectif de 40 000 fonctionnaires plafonnable à 49 000 fonctionnaires, sous le régime de feu Général Lansana Conté, de 1990 à 1993, pour des raisons politiques, l’approche des élections était souvent l’occasion de procéder à des recrutements en masse de nouveaux fonctionnaires sans tenir compte des postes vacants et sans poste budgétairement autorisé.
Conséquence, un nombre important de fonctionnaires se trouvent de nos jours sans postes.
En 2016, on a dénombré par exemple 7 000 fonctionnaires non-postés. Si vous multipliez ce chiffre par un salaire de base de 1 500 000 FG, vous-vous retrouvez avec 126 milliards de Francs guinéens jetés dans la rue. Désormais, au lieu que le travail soit payé, ce sont des individus sans rendement qui sont indument payés. Pire, la plupart d’entre eux exercent dans d’autres activités, soit en Guinée ou hors du pays. Alors qu’il y a des centaines de diplômés avec la volonté de servir qui sont sans emploi. Des situations dichotomiques qui font que la Fonction publique qui devrait être la clé de voûte du développement du pays est loin de l’être.
Recensement biométrique « saboté »
Pour mettre fin à cette situation dramatique, le président Alpha Condé a instruit une nouvelle réforme de la Fonction publique à travers l’assainissement du fichier de la fonction publique, les opérations de recensement biométrique des fonctionnaires, la modernisation de l’administration, le projet d’Ecole normale d’administration (ENA). L’opération de recensement biométrique du fichier de la fonction publique a permis de récupérer un montant de 30 milliards de FG et de déceler plus de 35 000 fonctionnaires, contractuels et pensionnaires civils fictifs, selon Eugène Yomalon, Secrétaire général dudit ministère.
Toujours selon lui, sur un total de 91 095 fonctionnaires toutes catégories confondues, dont 56 074 pensionnaires civils, 10 694 contractuels et 24 327 fonctionnaires, seulement 55 802 fonctionnaires ont été identifiés physiquement et recensés par les opérations de la biométrie.
Ainsi, un total de 35 293 agents (fonctionnaires, pensionnaires civils et contractuels) seraient des fictifs qui, depuis des années, sont payés par l’État guinéen.
Selon nos sources, le recensement ayant permis de déceler la haute magouille dans l’administration publique, il a été « saboté » par des hauts placés de l’Etat, pour reprendre les termes d’un haut cadre du département de la Fonction publique. Pour cause, le contrôle biométrique a permis de détecter dans le fichier de la Fonction publique des noms d’épouses d’anciens ministres, d’enfants ou proches de ministres en fonction et bien d’autres fonctionnaires vivant hors de la Guinée ou encore exerçant dans le secteur informel.
Plusieurs d’entre eux sont connus des responsables de services qui se taisent dessus par complicité. Même si les Directeurs des ressources humaines (DRH) sont parmi les personnes pointées du doigt d’avoir favorisé cette pagaille, ils auraient été eux-mêmes surpris de découvrir des photos de personnes proches de leurs chefs hiérarchiques qui n’ont jamais servi dans l’administration publique. L’arrêt du contrôle de présence et la disparition des pointeuses électroniques en sont une preuve palpable de la volonté affichée de personnes tapies dans l’ombre d’empêcher la transparence dans la gestion administrative.
Contrôles de complaisance
Depuis, l’on procède à un contrôle de présence non efficace comme en témoigne ce cadre qui a requis l’anonymat : « Je suis de la Fonction publique, j’ai la volonté de travailler mais, je n’ai aucun poste et je ne peux pas aller poireauter dans les couloirs de mon département. Ce qui me choque, c’est la manière dont le contrôle de présence est actuellement effectué. Je suis allé pour le contrôle, on m’a appelé, j’ai répondu présent, on m’a demandé mon numéro matricule, j’ai donné et c’était fini. Ce qui veut dire que je peux donner mon numéro matricule à n’importe qui pour répondre à ma place. C’est vraiment dommage pour notre pays. »
Informé de cette situation, semble-t-il, le président de la République, très en colère, aurait demandé le changement des DRH et l’implication des gendarmes dans l’opération de contrôle des effectifs pour arrêter les fraudeurs. Au niveau du département en charge de la Fonction publique, la proposition avait même été faite de procéder au remplacement surprise des DRH. Ainsi, en Conseil des ministres, le projet avait été présenté par l’ancien ministre Sékou Kourouma. Malheureusement, ce projet n’aurait bénéficié d’aucun soutien de la part de ses collègues ministres, dit-on. Et pour des raisons non encore connues, le contrôle biométrique s’est simplement arrêté.
Les mêmes gestionnaires qui sont dans les mêmes postes depuis le régime défunt, continuent de protéger les fonctionnaires fictifs et des absents contre des pourcentages récupérés sur les salaires. Des systèmes frauduleux bloqués suite au recensement biométrique, ont été de nouveau débloqués par ceux qui en ont fait un système de gestion.
Selon nos sources, d’autres DRH en service à l’intérieur du pays, continuent de gérer collégialement avec des collègues de Conakry les transferts des noms de personnes décédées. Un business qui leur apporterait des centaines de millions de francs guinéens encaissés au détriment des caisses de l’Etat.
Existence de fichiers parallèles… un autre moyen de piquer l’argent de l’Etat
Selon nos propres constats, il existe une grande différence entre le fichier issu du recensement biométrique et celui existant au niveau du département de la Fonction publique. Pour permettre aux sortants de l’ENA de mettre leur compétence au service de l’Etat, le département envisage de procéder à la mise à la retraite d’au moins 4 000 fonctionnaires ayant largement dépassé l’âge de la retraite et ce, dans les mois à venir. Il s’agit précisément des cadres nés en 1953. Seulement la surprise des autorités du département en charge de la Fonction publique aura été grande de découvrir que des cadres nés en 1953 appelés à faire valoir leur droit à la retraite, ont trouvé moyen de changer leur date de naissance enregistré dans le fichier original. C’est ainsi qu’on peut trouver des cadres nés en 1953, selon le fichier issu du contrôle biométrique, avec des dates de naissance de 1960 ou 1965 dans le fichier existant au niveau du département de tutelle. «La vérité étant connue, nous ne tolérons pas ces cas de fraude. Tous ceux qui ont l’âge d’aller à la retraite, conformément aux résultats du contrôle biométrique, iront à la retraite », annonce avec fermeté Eugène Falikou Yomalon, Secrétaire général du département en charge de la Fonction publique.
A suivre…