Lors de son séjour en Belgique, le président de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) a accordé une interview au correspondant de Guineenews© à Bruxelles. Au cours de cet entretien, Cellou Dalein Diallo a parlé, entre autres, de ses rencontres avec les hauts cadres de son parti en Europe, du coup d’Etat du 5 septembre, des élections à venir, de la réconciliation nationale.
Guinéenews© : vous êtes en Belgique et à l’occasion de ce séjour, vous avez eu différentes rencontres avec vos militants. Qu’est-ce qu’on peut retenir de ce séjour ?
Cellou Dalein Diallo : je suis là depuis trois jours. Je suis venu d’abord répondre à l’invitation du MR, des partis libéraux belges qui fêtent le 175ème anniversaire de la création du parti libéral belge, avant qu’il n’éclate en deux branches : l’Open Vld et le MR. Donc ça a été une belle fête. J’ai pu rencontrer d’autres invités de marque comme le Premier ministre hollandais, le Premier ministre luxembourgeois, le Premier ministre d’Estonie et le Premier ministre Belge qui sont tous des libéraux. J’ai eu des entretiens avec Louis Michel qui m’a invité hier à son domicile. On a échangé sur la situation en Guinée, sur la situation en Afrique notamment en Afrique de l’Ouest. J’ai été reçu au service extérieur de l’Union européenne où j’ai exposé un peu la situation qui prévaut en Guinée. J’ai tenté de convaincre les autorités en charge des affaires Etrangères de la nécessité d’accompagner la transition guinéenne afin qu’elle se déroule dans de bonnes conditions. J’ai rappelé que l’ordre constitutionnel déjà rompu depuis qu’Alpha Condé a décidé d’organiser le double scrutin du 22 mars et de perpétrer le hold-up électoral du 18 octobre. Donc l’intervention sur la scène politique de l’armée était un premier pas vers le retour à l’ordre constitutionnel. Il est donc souhaitable que l’Union Européenne qui a l’expertise, d’expériences des questions électorales soit aux côtés de la Guinée pour l’aider à organiser cette transition, organiser ce retour à l’ordre constitutionnel. Le bilan le plus positif, c’est que j’ai pu retrouver mes militants, animer un meeting géant où il y avait plus d’un millier de personnes à l’Université libre de Belgique dans un amphithéâtre qui pouvait accueillir autant de monde. Là, j’ai été heureux de constater que ces militants étaient toujours déterminés à continuer le combat que nous avons entamé depuis de longues années pour l’instauration dans notre pays d’une vraie démocratie, une démocratie apaisée, d’un Etat de droit capable de garantir la protection des libertés et des droits humains.
Guinéenews© : est-ce que vous avez l’impression d’avoir été entendu par les acteurs politiques au niveau de l’Union Européenne pour accompagner cette transition ?
Cellou Dalein Diallo : mes interlocuteurs au niveau des partis libéraux belges, y compris Charles Michel et les autres Premiers ministres que j’ai cités, ont promis d’être nos avocats auprès de l’Union Européenne pour qu’elle s’implique fortement dans le processus de transition en cours en Guinée depuis le 5 septembre pour aider les Guinéens activement à organiser des élections inclusives, libres et transparentes. Ils ont dit qu’ils ne manqueront pas d’apporter leur appui sur le plan de l’assistance technique, sur le plan du financement et sur le plan de l’observation électorale.
Guinéenews© : donc malgré le fait que l’Union Européenne avait dit qu’elle resterait derrière les mesures de la CEDEAO qui avait condamné le coup d’Etat, cette institution pourrait accompagner la Transition. Est-ce que ce n’est pas une façon d’affaiblir la CEDEAO ?
Cellou Dalein Diallo : non ! Ils ont réitéré leur position qui consiste à rester derrière la CEDEAO, mais ils pensent que la CEDEAO va accepter d’accompagner le processus de Transition malgré la suspension de la Guinée des instances de la CEDEAO malgré les condamnations auxquelles s’est livrée la CEDEAO, les partenaires techniques et financiers, dans l’ensemble, restent derrière la CEDEAO. Donc, les négociations continuent entre la CEDEAO et les nouvelles autorités guinéennes. Je pense qu’un compromis va être trouvé pour que tout le monde s’implique pour une Transition réussie en Guinée.
Guinéenews© : il y en a qui estiment que tout parti politique qui se dit démocratique se doit de condamner la prise du pouvoir par la force. Aujourd’hui vous êtes en train de plaider pour que les gens accompagnent la transition présidée par une junte qui a fait un coup d’Etat. Est-ce que vous ne devriez pas plutôt condamner ce coup de force ?
Cellou Dalein Diallo : mais il y avait déjà un coup d’Etat que la communauté internationale n’a pas suffisamment condamné. Organiser le double scrutin en changeant la Constitution dans l’unique but de se maintenir au pouvoir est un coup d’Etat constitutionnel. Le hold-up électoral auquel Alpha Condé s’est livré à l’issue de l’élection du 18 octobre, est un autre coup d’Etat. Donc pour mettre fin à ce régime d’exception instauré par Alpha Condé, tous les recours étaient épuisés. Naturellement, on a attiré l’attention de la communauté internationale, la CEDEAO, l’Union africaine. Ces organisations n’ont pas réagi. On a essayé d’organiser des manifestations dans tout le pays qui ont mobilisé beaucoup de monde. Ces manifestations étaient réprimées dans le sang. Il ne restait qu’un seul recours, c’était l’armée qui a pris ses responsabilités, qui a décidé de déposer le tyran et de s’engager justement à restituer au peuple la souveraineté d’élire ses dirigeants aussi bien au niveau local qu’aux législatives, qu’au niveau exécutif. Je pense que le coup d’Etat avait déjà eu lieu. Comme je l’ai dit, cette prise du pouvoir par l’armée était un premier pas vers le retour à l’ordre constitutionnel d’autant plus qu’elle s’est engagée à le faire.
Guinéenews© : votre passeport avait été confisqué et vous avez été interdit de sortir du territoire. Après ce coup d’Etat, vous avez récupérer votre passeport et vous avez pu sortir du pays. Quel sentiment avez-vous en tant qu’homme libre ? Qu’est-ce que ce renversement inattendu d’Alpha Condé vous inspire-t-il ?
Cellou Dalein Diallo : […] Ça renforce ma croyance en Dieu. Je crois que c’est Dieu qui est venu au secours de la Guinée. Evidemment, l’UFDG et l’ANAD ont continué la lutte pour dénoncer et combattre la dictature. Mais sur cette chute du dictateur, il faut rendre grâce à Dieu qui nous a aidés à libérer le peuple de Guinée. Et moi, je suis naturellement le premier bénéficiaire de ce coup de force. Puisqu’immédiatement après, les nouvelles autorités ont décidé de libérer les détenus politiques dont 95% étaient de l’UFDG et de l’ANAD. Ils ont décidé aussi de restituer les locaux de l’UFDG qui étaient occupés par l’armée depuis le 18 octobre. Ils ont également restitué les droits et libertés de voyager à moi-même, à mon épouse et à tous mes collaborateurs qui étaient en liberté. Donc, c’était un sentiment de satisfaction de voir finalement le triomphe du droit sur la force. Donc la première invitation, c’est celle des libéraux belges et j’en ai profité pour rencontrer les cadres et militants de l’UFDG qui m’ont chaleureusement accueilli et ont montré toute leur satisfaction de voir enfin leur président libre de tout mouvement.
Guinéenews© : à votre avis, faut-il libérer ou non Alpha Condé ?
Cellou Dalein Diallo : je laisse le soin aux autorités qui ont dit qu’elles ne seront guidées par la justice. Mais, j’espère que les autorités feront le travail en tenant compte du droit et de la justice. Déjà, je me réjouis de constater qu’Alpha Condé soit bien traité. Parce que je ne souhaite pas qu’il y ait de la vengeance. Ils savent qu’on ne peut pas traiter Alpha Condé comme il a traité d’autres Guinéens. Il faut le traiter comme un homme digne même s’il a été un dictateur qui a violé de manière récurrente les droits humains et les libertés fondamentales.
Guinéenews© : il y a peu de temps, vous étiez en train de dénoncer les forces défense et de sécurité d’avoir commis des exactions au temps d’Alpha Condé. Aujourd’hui, vous appelez à la réconciliation alors ceux qui sont au pouvoir sont ceux-là que vous étiez en train de dénoncer hier ?
Cellou Dalein Diallo : la réconciliation suppose d’abord le droit à la vérité, le droit à la justice, le droit à la réparation et le devoir du pardon viendra en ce moment des victimes. C’est une responsabilité qui revient aux victimes que nous sommes tous de pardonner lorsque le droit sera dit, le droit à la vérité, le droit à la justice, le droit à la réparation et les garanties de non répétition des crimes. Ça ce n’est pas incompatible. Au contraire, le pardon doit venir après le droit à la vérité.
Guinéenews© : vous avez proposé une durée de transition de 15 mois. Alors que certains partis politiques proposent deux à trois ans. Est-ce que cette divergence sur la durée de la Transition n’est pas une porte ouverte pour la junte de se maintenir plus longtemps au pouvoir ?
Cellou Dalein Diallo : d’abord, il faut dire que le colonel Doumbouya a réuni les partis politiques pour leur demander de proposer les termes de la Transition. Nous nous sommes retrouvés au niveau de l’ANAD. On a vu quel est le temps qu’il faut pour organiser des élections inclusives, libres et transparentes afin de mettre en place des institutions légitimes qui sont les seules capables à engager les réformes pouvant s’attaquer aux fléaux qui minent le fonctionnement de la société et les institutions. Tirant les leçons de nos expériences de la Transition de 2010 et des différentes élections qui ont été organisées dans le pays, on a identifié les actions à mener. Après, on a affecté un temps, compte tenu de cette expérience, à chaque action. Maintenant, vous mettez bout à bout les différentes actions et le temps affecté, ça vous dégage un chronogramme. Cela nous permet de dire qu’en 15 mois on peut faire le travail, étant donné que la mission principale de toute transition, c’est de mettre en place les institutions légitimes à l’issue d’élections libres et transparentes. Et quels sont les résultats qu’on y attend ? Actuellement, la Guinée est suspendue des instances de la CEDEAO et de l’Union Africaine. Il faut qu’elle retrouve rapidement sa place, parce que sa place n’est pas en dehors de ces institutions. Certains partenaires risquent de réduire ou de suspendre la coopération économique et financière. Il faut que celle-là soit pleinement reprise. Et tout ça, il faut que le pays soit aussi doté d’institutions légitimes capables d’agir au nom du peuple. Une Assemblée élue par le peuple, un exécutif élu au suffrage universel, une Constitution adoptée par le peuple et puis un Haut Conseil des Collectivités pour les élus locaux. Voilà des institutions légitimes en place. Et tout ça donne une certaine crédibilité à la Guinée qui lui permettra de jouer pleinement son rôle aussi bien dans l’intégration sous-régionale que dans le bon fonctionnement de l’Union Africaine.
Guinéenews© : donc pour vous, c’est le prochain président qui doit engager toutes ces réformes ?
Cellou Dalein Diallo : non, il faut d’abord une Assemblée élue pour voter les lois pour effectivement s’attaquer aux fléaux qui minent le fonctionnement de notre société. Il y en a beaucoup.
Guinéenews© : quel est l’ordre des élections que vous souhaitez ? D’aucuns estiment qu’elles doivent commencer par les locales, municipales, législatives avant la présidentielle. Alors que d’autres pensent à un couplage parce que, selon eux, cela permet une économie d’argent et de temps ?
Cellou Dalein Diallo : on peut organiser séparément les élections…Mais, cela coûtera beaucoup d’argent et beaucoup plus de temps. On peut coupler deux élections sur les trois. Ça dépend. On peut faire l’élection présidentielle et les élections législatives. On peut même coupler les élections législatives en deux. Faire les élections locales et le scrutin uninominal à un tour, parce que tout cela, ce sont des élections locales au niveau de la circonscription pour le député uninominal et locales pour les élections communales. Après, on fera la liste nationale et la présidentielle ensemble. C’est une option, il ne faut pas l’exclure, tout comme on peut faire les élections locales à part et coupler l’élection présidentielle aux législatives.
Guinéenews© : quelle est la proposition de l’ANAD ?
Cellou Dalein Diallo : nous avons pensé qu’il serait bon de coupler la présidentielle aux législatives après avoir organisé les élections locales.
Guinéenews© : comment se porte aujourd’hui l’UFDG et quels sont vos relations avec Ousmane Gaoual Diallo ?
Cellou Dalein Diallo : l’UFDG, d’abord, se porte bien. Vous savez qu’on vient de faire un entraînement concluant. On a participé avec succès à l’élection présidentielle du 18 octobre 2020. Ça veut dire qu’on a gagné largement l’élection dans les urnes, mais M. Alpha Condé, comme toujours, est déclaré vainqueur. Maintenant, au niveau de l’UFDG, je pense que les gens sont motivés, ils ont bien salué la prise du pouvoir par l’armée, la chute d’Alpha Condé. Bambeto, Cosa, Hamdallaye, ces quartiers l’ont suffisamment prouvé. Vous savez, ce sont les fiefs de l’UFDG. Ils sont sortis applaudir le colonel Doumbouya à plusieurs reprises et aussi le colonel qui leur a fait honneur de rendre hommage aux victimes en se rendant au cimetière de Bambéto.
Guinéenews : mais est-ce que tout va bien avec Ousmane Gaoual Diallo ? Cellou Dalein Diallo : oui, je pense, jusqu’à preuve du contraire…
Guinéenews : depuis sa sortie de prison, il est moins présent dans les médias. Une absence qui est sujette a beaucoup d’interprétations pourtant ?
Cellou Dalein Diallo : je pense qu’après la prison, Ousmane Gaoual est en train de prendre un peu de force pour revenir encore avec plus de rigueur pour participer au combat que nous sommes en train de mener. Mais après la prison, les gens peuvent être traumatisés, c’est sans doute… Sans compter qu’il y a souffert du Covid-19 et il a été longtemps malade. Il est allé se faire soigner en France. Nous considérons qu’il est en convalescence et que bientôt, il va reprendre sa place au sein de la direction du parti.
Guinéenews : quel est ce cadre du RPG AEC dont vous avez annoncé l’adhésion à l’UFDG ?
Cellou Dalein Diallo : non, il viendra. Il se fera connaître.
Guinéenews© : il y en a qui pense que c’est Souleymane Doumbouya ?
Cellou Dalein Diallo : la personne viendra se présenter. Je pense que c’est un cadre d’un niveau un peu plus élevé que celui dont vous parlez.
Guinéenews® : le vendredi dernier, il y eu un jeune, le gestionnaire du marché de Taouyah, qui s’est suicidé à Koloma. Il se serait suicidé parce qu’il ne s’entendait pas avec le maire de Ratoma. Selon Bakary Keita, le Secrétaire du comité des jeunes de l’UFDG, le maire aurait retiré des mains de Souleymane la gestion du marché pour placer ses amis. Qu’est-ce que vous en dites ?
Cellou Dalein Diallo : ce n’est pas l’UFDG qui gère. Le maire est issu des rangs de l’UFDG. Il est élu de l’UFDG. Je n’ai pas d’éléments mettant en évidence que le jeune s’est suicidé en raison d’un malentendu qui existerait entre lui et le maire.
Guinéenews© : mais c’est ce qu’a affirmé un autre cadre de l’UFDG ?
Cellou Dalein Diallo : oui, c’est possible. Il doit avoir ses sources. C’est à mon absence que j’ai vu cette déclaration. J’ai déjà demandé que les investigations soient menées pour s’assurer que la cause probable du suicide de Souleymane Diallo est le malentendu qui existerait entre lui et Soumah. On va essayer, à l’interne, de savoir quelle est la réalité et essayer de s’adresser justement à ce malentendu de manière à ce que l’unité du parti et sa cohésion ne soit pas affectée.
Guinéenews© : la mise en place du gouvernement a pris du temps ainsi que celle du CNT… ?
Cellou Dalein Diallo : la mise en place du gouvernement relève des nouvelles autorités. C’est le Président et le Premier ministre qui doivent former le gouvernement. Nous sommes patients et nous souhaitons qu’ils diligentent la mise en place du CNT et du gouvernement. Mais ceci dit, c’est de leurs responsabilités.
Guinéenews© : votre mot de fin ?
Cellou Dalein Diallo : c’est de remercier les militants de l’UFDG et de l’ANAD de la Belgique pour d’abord la mobilisation grandiose à laquelle on a eu droit à l’occasion du meeting, mais aussi leur présence chaleureuse à mes côtés depuis que je suis arrivé. Ils ont bien organisé mon séjour si bien qu’il a été agréable et utile.
Entretien réalisé par Bassamba Diallo depuis Bruxelles, Belgique en collaboration avec Alhassane Bah.