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Politique et religion : d’un rapport complexe à une dynamique socialement constructive

Par Youssouf Sylla, analyste-juriste, à Conakry.

Les récents propos de l’Imam de Kindia déniant à une catégorie de guinéens le droit d’éligibilité sur une portion du territoire national est un acte discriminatoire qui déshonore son auteur. Ces propos méritent d’être sanctionnés par les instances religieuses de notre pays sans préjudice des poursuites judiciaires éventuelles.

Mais de tels propos ne sont pas un cas isolé. Ils s’inscrivent dans un registre plus général des dérapages à caractère ethnocentriste constatés chez certaines personnalités publiques en vue dans notre pays. Si de tels agissements restent impunis,c’est la banalisation de l’ethnocentrisme qui risque de s’installer avec tous ses effets destructeurs.

Toutefois, cette affaire doit nous faire réfléchir sur la relation qui existe entre la religion et la politique dans le contexte d’une démocratie et surtout sur la façon dont il convient de s’y prendre en Guinée pour créer les conditions d’une cohabitation constructive entre la religion et la politique, deux dimensions indiscutablement humaines.

Vassalisation de la religion par la politique

Les signes de cette vassalisation existent dans l’histoire et dans les temps modernes. Il fut un temps où le politique avait réussi à embarquer le religieux dans sa sphère pour la réalisation des objectifs de son agenda: la plénitude de son autorité et la légitimation de son pouvoir. La parfaite coalition entre les deux  pouvoirs a généré des abus qui ont été comme en France à l’origine des réactions révolutionnaires violentes. Les populations ne croyaient plus dans l’affirmation du clergé qui faisait croire que le prince est le représentant de Dieu sur terre.

La déconnection complète entre la religion et l’Etat fut donc consacrée dans certains pays et la laïcité officiellement proclamée, par exemple en France par la loi de 1905, pour baliser le nouvel ordre républicain.

Parallèlement à cette évolution, certains Etats, compte tenu de leur géographie, de leur histoire  ou de leur culture vivent aujourd’hui dans l’imbrication du religieux et du politiquedans la conduite des affaires de la nation. Ils sont estimés à une quarantaine, les Etats dont la constitution réfère directement à une religion. Le tout comme pour dire qu’en matière de séparation entre la religion et la politique, nous sommes plus dans une évolution en dent de scie que dans une évolution linéaire.

Guinée, la laïcité face à la réalité

De par sa Constitution, la Guinée est un Etat laïc qui consacre la liberté des cultes. Chacun est libre de choisir sa religion sans interférence de l’Etat. Celui-ci reconnait la liberté religieuse comme faisant partie du socle des droits fondamentaux de l’homme. Mais en ce qui concerne le rapport entre la religion et la politique, la Guinée se situe aujourd’hui à l’intersection de deux évolutions sans être dans les faits définitivement ancrée dans aucune.

Malgré le caractère laïc de l’Etat, il existe de la part des formations politiques dominantes, d’évidentes tentatives de vassalisation du religieux pour des fins de conquête ou de conservation du pouvoir. Certains religieux (soit du pouvoir, soit de l’opposition) se prêtent à ce jeu-là. En sens inverse, il existe aussi des tentatives d’affranchissement de la religion de la politique, incarnées par le discours autonome de certains religieux politiquement inclassables.

Si donc en vertu de sa constitution, l’Etat guinéen n’a pas le droit de dicter aux guinéens la religion à suivre, la question se pose de savoir si les leaders religieux, eux, ont le droit de faire irruption dans les débats politiques par des prises de position publiques? Ces interrogations demandent de bonnes réponses dans le contexte de chaque Etat, face au retour du religieux,dans le but de créer un climat propice pour la cohabitation et l’exercice libres et sans heurts de la politique et de la religion dans la cité.

Retour du religieux

Certains sociologues avaient prédit que la religion connaitra un recul face au progrès économique et à celui de la science et de la technologie. Bref, que le savant prendra la place du clergé. Ils observent aujourd’hui à leurs dépens tout le contraire. Le bien être matériel et la science sont loin de permettre à l’homme de trouver des réponses à ses questions métaphysiques qu’il se pose et qui ont notamment trait à ses origines, au sens de son existence et à sa destination.

Un autre retour en force du religieux trouve quelques explications dans l’échec des gouvernants à trouver aux gouvernés un sens à la vie en collectivité à raison notamment de l’échec de la justice, des politiques laxistes d’intégration des différentes couches sociales dans la construction du pays, de la répartition inéquitable des ressources publiques, du manque de perspective à long terme et de l’absence de toute référenceéthique chez un nombre croissant de leaders publics.

Pour une raison ou une autre, force est de constater que le retour fulgurant du religieux se fait de deux manières: soit de manière pacifique et socialement constructive; soit de manièrebrutale, entièrement destructive. Une partie du Nigeria, du Cameroun et tout proche de la Guinée, le Mali connaissent un réveil brutal du religieux à travers l’activisme d’un islam radical aux ambitions politiques affirmées et aux visions régionales incontestables.

Religion et politique, une nouvelle alliance ?

A l’heure des grandes remises en cause à la fois sur le plan social et économique sur fond de perte de repères dans un monde ultra matérialiste et égoïste, tout laisse croire que les leaders religieux prendront de plus en plus de l’importance et de la parole, comme c’est présentement le cas, pour donner du sens à la vie de ceux qui s’interrogent. Certains aussi chercheront à ravir tant bien que mal, ouvertement la vedette aux leaders politiques sur des sujets essentiellement politiques.

Avec les facilités de communication offertes par les nouvelles technologies dans un contexte de crise profonde de l’Etat, les leaders religieux ne devraient pas ignorer la responsabilité qui est la leur, dans le cadre de la moralisation de la vie publique et de l’avènement d’une société plus juste humaniste et ouverte. Mais ceci exige de leur part un niveau de formation plus élevé pour comprendre la complexité des questions sociales et politiques qu’ils abordent dans le contexte d’une société ouverte et démocratique.

Le grand défi auquel les Etats concernés par cette situation font ou feront face est ou sera d’œuvrer pour l’émergence d’une classe de leaders religieux formée aux sciences de la religion, aux enjeux du monde moderne et surtout capable de constituer un rempart solide contre l’extrémisme religieux d’ qu’ilvienne.

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