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Patrimoine immobilier de l’Etat : quel sort pour l’Imprimerie Lumumba bradée et abandonnée ?

La mise en place d’une commission de récupération des biens de l’Etat tombe à point nommé. Quand on sait que le patrimoine de l’Etat guinéen n’existe quasiment plus. Par la faute d’une gestion peu orthodoxe des biens publics, à laquelle on a assisté depuis 63 ans. Le cas de l’Imprimerie Patrice Lumumba est une illustration de cette dilapidation du patrimoine de l’Etat.

L’Imprimerie Patrice Lumumba bazardée à bas prix à un imprimeur de la place. Les locaux d’Air-Guinée liquidés fraternellement et amicalement à un homme d’affaires guinéen. Les bureaux de La Poste Guinéenne vendus à des prix dérisoires aux commerçants et aux agences de certaines banques privées, le célèbre Cinéma Liberté, au pont du 8 Novembre à Tombo, abandonné dans les mains d’un Portuguais. Les magasins de dépôts à Matam cédés aux vendeurs de pièces détachés et aux commerçants…bref. La quasi-totalité du patrimoine bâti hérité de la colonisation et du premier régime, est vendu à vil prix à des particuliers.

Après le « non » de 1958, les nouveaux dirigeants de la Guinée ont d’abord un point de vue pragmatique et fonctionnel sur l’héritage bâti colonial. Ils ont par endroits opéré quelques changements symboliques.  Le Président de la République s’installe dans le palais de l’ancien gouverneur, et l’appareil d’État occupe les bâtiments administratifs. L’habitat colonial était progressivement investi par les fonctionnaires nationaux. Les grands équipements publics et marchands conservent également leur usage. Même l’organisation urbaine, c’est-à-dire de la ville de Conakry dessinée par les colonisateurs n’a été que très partiellement remodelée. Et malgré le développement de certains centres régionaux, la concentration des activités économiques dans la seule ville de Conakry s’est accentuée. Mais hélas ! Ce bel héritage légué par les colons sera bazardé à partir de 1984 après le décès du premier président de la République.  La quasi-totalité des bâtiments publics ont été vendus.

En effet, sous le régime défunt du général Lansana Conté (4 avril 1984-23 décembre 2008), plusieurs bâtiments publics ont été cédés à certains opérateurs économiques à des prix largement inférieurs à leur valeur. Ces ‘‘ventes’’ opérées dans des conditions opaques ont profité à des ‘‘ opérateurs économiques’’ véreux et à des prête-noms connus. Aussi, la quasi-totalité du patrimoine de l’Etat acquise sous le régime de Sékou Touré a ainsi été touchée par ce bradage. Plus d’une centaine de bâtiments publics ont été bradés puis souvent loués à ce même État vendeur. Et cela au moment où le Gouvernement fait face à une insuffisance criarde de patrimoines immobiliers au point que beaucoup de services publics sont en location. Il est difficile, donc, de concevoir que les bâtiments de l’Etat aient été bradés à des prix dérisoires à des opérateurs économiques proches de l’ancien régime.

L’imprimerie Lumumba bradée à vil prix !

Le cas le plus choquant, c’est celui du complexe industriel Polygraphique Patrice Lumumba à Coléah, dans la commune de Matam. Ce joyeux, ce bien précieux, cette grande imprimerie qui était la fierté nationale et même pour toute la sous-région, a été bazardée d’une manière insolente. En ce sens que tous les Guinéens s’accordent à dire que c’était la plus grosse « bêtise » qu’a commise le régime Conté. Le propriétaire de la Nouvelle Imprimerie de Kaloum a acquis ce complexe, d’une manière banale, suite à une soi-disant privatisation de cette unité.

Feu Ibrahima Sory Touré, PDG de la Nouvelle Imprimerie de Kaloum, alors ami du feu général Lansana Conté, on ne sait comment les négociations ont été menées, aurait profité de la campagne de privatisation de certaines unités industrielles appartenant à l’Etat, pour s’accaparer sous la forme d’un bail emphytéotique, ce complexe industriel Polygraphique, abandonné depuis le décès du premier président de la République.

Rappelons qu’au début des années 60, le gouvernement guinéen avait mis en place cette imprimerie nationale de grande capacité, avec l’appui technique et financier de la RDA (Allemagne Démocratique), pour d’une part consacrer l’autonomie du pays en matière d’impression de documents de toutes sortes et, d’autre part, de s’ouvrir au vaste marché de la sous-région caractérisée à l’époque par un sous-équipement évident en structures d’impression.

Toutefois, la raison non moins avouée par le régime de l’époque était de se démarquer de l’étranger pour la production de documents de propagande idéologique véhiculés dans les publications du Parti Démocratique de Guinée. Des documents tels que des tomes du parti, la poésie militante, des revues et des journaux idéologiques…

 L’imprimerie Lumumba à l’article de la mort

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Encore hélas ! Ce joyau, ce bijou, fruit de la coopération guinéo-allemande et de la révolution, n’a plus fière allure. L’Imprimerie Patrice Lumumba fierté de toute l’Afrique de l’Ouest est devenue un prolongement de la Casse de Madina. Ses locaux servent de garage pour les containers, des gros porteurs, des magasins de dépôts de marchandises, de garages mécaniques, des boutiques, des kiosques…Bref ! Lumumba est tout sauf une imprimerie. Elle est devenue un fourre-tout.

Alors que sur le terrain, le sous-secteur de l’imprimerie est peu développé, faute d’équipements, de financements et marchés conséquents, ainsi que de ressources humaines qualifiées. Actuellement on compte plus de 107 imprimeries répertoriées, majoritairement de petites tailles, exclusivement installées à Conakry, et qui emploient plus de 1000 personnes.

Cependant, ces imprimeries ne disposent généralement pas d’équipements adéquats permettant la production de livres, encore moins avec la qualité requise, dans des délais acceptables et pour de grosses quantités. A cause de ces problèmes récurrents de coûts élevés et de mauvaise qualité, les éditeurs nationaux impriment presqu’exclusivement leurs titres à l’étranger. Dans la sous-région (Sénégal, Côte d’Ivoire, Bénin), mais aussi dans d’autres pays comme la Tunisie, l’Ile Maurice, l’Espagne, la France et, de plus en plus, en Inde, en Chine ou à Dubaï où les prix sont très compétitifs même en y ajoutant les frais de port jusqu’à Conakry.

A son arrivée au pouvoir en décembre 2010, Alpha Condé a jeté un coup d’œil sur le dossier Lumumba, mais les présumés complices de la nouvelle propriétaire lui ont détourné le regard.  Ainsi, de tous les domaines réclamés jusqu’ici, jamais le nom du complexe polygraphique Lumumba n’apparaît. Les nouvelles autorités pourront-elles revoir les dossiers de cet établissement et le remettre dans le portefeuille de l’Etat.

A la direction du Patrimoine Bâti où nous nous sommes rendus, on a trouvé une équipe « frileuse » qui n’a daigné répondre à nos questions. Le directeur et son adjoint sont toujours aux abonnés absents, lors de nos différents passages. De ce côté, personne ne veut se prononcer sur la situation des bâtiments de l’Etat occupés par des particuliers.

L’autre question qui mérite d’être posée est de savoir à quoi aurait servi ce prêt d’une dizaine de millions d’euros dont aurait bénéficié la famille Touré, pour remettre d’aplomb l’Imprimerie Lumumba ?

Prêt dont la Banque centrale se serait portée garante auprès d’une banque primaire de la place. Il serait important que le CNRD se penche sur cette affaire, pour la sauvegarde du patrimoine de l’Etat.

Louis Célestin

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