En Guinée bien que la population soit à 95% musulmane, le charlatanisme et autres pratiques mystiques sont monnaie courante lorsqu’il doit y avoir des élections, quand il y a des remaniements en vue dans le gouvernement ou quand des postes de responsabilité à la tête des grandes directions notamment des régies financières sont à pourvoir.
Depuis donc la réélection du président Alpha Condé, une grande partie de l’élite politique et administrative se livre à des rites magiques censés les aider à conquérir ou à garder un poste, mais aussi à mettre à mal leurs concurrents. Accéder donc au pouvoir social et devenir riche, la voie connue de tous est celle des cercles mystico-magiques.
« Tous les jours, je reçois des gens nommés à de hauts postes de responsabilité : ministres, directeurs généraux, commandants, commissaires de police… Bref, des hauts cadres du pays…. Il y a ceux qui veulent rester à leurs postes, ceux qui veulent en avoir, et curieusement, certains qui veulent empêcher les autres d’évoluer. Ceux-ci réagissent souvent par la jalousie », témoigne Dagbadjiénou Heghossou, un marabout béninois installé à Yimbaya, un quartier de la haute banlieue de Conakry.
Dagbadjiénou, ce marabout célèbre a accepté de nous ouvrir les portes de son temple privé, ce dimanche matin et nous raconte ses prouesses et les visites des ministres et autres directeurs généraux en cette période de suspens. Son lieu de culte est établi dans son domicile, dans ledit quartier, dans la commune de Matoto. Assis sur un tapi rouge, il tenait dans sa main droite une queue de bœuf, les cauris versées devant lui. Pour annoncer notre présence à ses génies, il secoue deux clochettes, pendant qu’il tient une bougie allumée de l’autre main. Il murmure ensuite quelques mots et entre en transe. Sa voix devient rauque et son regard n’est plus le même.
Après quelques minutes, il revient à lui-même et nous raconte le passage de plusieurs hauts cadres qui, selon lui, cherchent à trouver un poste au sein du gouvernement. « … Les gens viennent nombreux ces jours-ci. Parce qu’ils sont à la recherche du pouvoir, de la richesse. Depuis que les nominations sont annoncées, c’est le ballet des hauts cadres de l’administration publique ici chez moi. Il y a un ministre à la Présidence de la République, qui est venu très tôt le matin, ainsi que deux directeurs généraux des sociétés d’Etat. Un ministre d’Etat était ici il y a trois ou quatre jours ». Interrogé sur le but de leurs visites, le voyant béninois nous apprend que ces visiteurs qui font appel à lui sont généralement en quête du pouvoir, des postes juteux, d’argent, de protection et d’affection. « Tous passent ici pour soit rester en poste où avoir une promotion ».
Coût des consultations ?
« Cela dépend », répondra-t-il. Avant de continuer : « en novembre dernier, c’est-à-dire un mois avant la prestation du serment du président Alpha Condé, il a été conseillé à un directeur d’une société des séances de sorcellerie et de magie noire pour se maintenir à son poste. Il est venu me voir. Je lui ai demandé un bœuf à immoler tard la nuit et à distribuer à l’aube, à la sortie de la prière, plus une somme de7 millions gnf. On peut demander jusqu’à 14 millions gnf si ça vaut le coup ».
Les modus operandi
Après Yimbaya, nous nous sommes à Sangoyah, toujours dans la même commune, où un proche collaborateur d’un ancien ministre a attiré notre attention sur la présence de trois marabouts maliens au domicile de cet ancien ministre depuis un mois. Aujourd’hui, ce ministre qui est au garage des anciens ministres à la Présidence de la République, se bat vaille que vaille pour revenir aux affaires. D’où le rappel de trois marabouts chez lui à la maison.
« Le ministre était en séjour tout récemment au Mali, plus précisément dans le cercle Bougouni, dans la région de Sikasso. A son retour, il avait dans ‘’ses bagages’’ trois marabouts. Ils travaillent nuits et jours. Ledit ministre passe toute la nuit avec eux dans la chambre. Ils sont logés chez l’une de ses épouses où il y a un peu de tranquillité. Le vendredi dernier, deux bœufs étoilés ont été égorgés après la prière de 14 heures. La viande a été distribuée à la mosquée du quartier… Il faut compter aussi de grosses sommes d’argent distribuées aux mendiants chaque vendredi sous les ponts de l’autoroute et à ceux qui squattent dans les environs de la grande mosquée Fayçal », nous apprend sous le sceau de l’anonymat, notre interlocuteur.
Et que dire de cet autre directeur général, qui depuis quelques jours, se promène avec un albinos dans sa voiture. Celui-ci tient ses téléphones, son sac et déroule son tapis à chaque occasion de prière ? « Je ne comprends pas le comportement du patron ces derniers temps. Depuis son retour de la campagne présidentielle, il héberge chez lui à domicile un jeune albinos qu’il a ramené du village de Ouladala. Ce dernier est devenu presque son protocole, l’homme à tout faire désormais », nous confie une autre source requérant toujours l’anonymat.
Pourquoi les ministres se livraient-t-ils à de telles pratiques ?
Dadjeigbenou H, le marabout béninois qui officie à Yimbaya, répond qu’il y en a même qui le font ouvertement : « un jour, une dame écœurée par mes prescriptions, a dit à son mari en ma présence : “tu es un médecin, donc un scientifique, et tu immoles des moutons aux esprits !”
-Et le monsieur a répondu : “toi et les enfants, vous n’êtes pas des millions, moi je veux des millions”.
-Elle a demandé : “tu peux répéter ça devant la famille ? ”
-L’époux répond : “oui” et il l’a répété devant les deux familles que si les esprits lui demandent de tuer sa femme, il va la tuer. »
A écouter le voyant béninois, on peut dire sans risque de se tromper que l’importance de l’ésotérisme dans les arcanes du pouvoir s’explique en partie par les croyances populaires qui lient souvent pouvoir et sorcellerie. Dans plusieurs ethnies africaines, existent des sociétés secrètes qui sont en relation avec les ancêtres et le monde invisible de la sorcellerie.
Puissantes, elles jouaient et jouent encore un rôle important de régulation sociale. Richesse et ascension sociale sont aussi associées à la sorcellerie. Il arrive par exemple que les habitants des grandes villes craignent de retourner dans leur village d’origine : ils redoutent d’y être victimes d’actes de sorcellerie, hostiles de la part de villageois jaloux de leur réussite en ville. À l’inverse, ceux qui deviennent rapidement riches sont soupçonnés par les autres d’avoir eu recours à des pratiques magiques.
« Une personne qui s’enrichit trop vite est accusée de vendre les siens de cette manière, surtout si le taux de mortalité semble anormalement élevé dans son entourage », comme l’ont expliqué l’anthropologue Séverin Cécile Abéga et le sociologue Claude Abé.
Les pratiques irrationnelles des responsables sont cependant aussi encouragées par le fonctionnement arbitraire et la stratégie souvent incompréhensible des différents régimes : l’impossibilité de se fier à son mérite et à ses compétences pour avoir un poste de responsabilité, ou tout simplement « réussir » socialement, oblige à imaginer d’autres voies. Des groupuscules ésotériques se sont ainsi constitués et sont devenus, pour certains, d’importants réseaux d’influence et de recrutement pour le pouvoir. La Franc-maçonnerie, Rose-Croix, Ordre des rameaux, le mouvement raëlien, la Scientologie, la Secte Moon, l’ordre du Temple Solaire… Et que sais-je encore, figurent aujourd’hui parmi les sectes les plus connues.
Depuis la fin des années 1990, la Franc-maçonnerie semble être à son tour devenue l’un des premiers réseaux d’influence et de recrutement au sein de la classe politique et d’affaires du pays. Ces groupes ésotériques pratiquent la magie, la géomancie, le satanisme mais se livrent aussi à des actes criminels, constaté dès le début des années 1990 dans les pays africains.
Certains de leurs cultes « exigent par exemple l’offrande de sacrifices humains ou de certaines parts de l’organisme humain – cas du cerveau, des organes sexuels, du cœur. D’autres vont jusqu’à l’élimination physique des gens et à leur démembrement », dira un expérimenté, un ancien des clubs, aujourd’hui reconverti en homme de Dieu.