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L’humoriste Sow Baïlo plaint le sort des artistes et sportifs guinéens (entretien IN MEMORIAM)

Amadou Baïlo Sow ou Sow Baïlo pour les intimes, ce brillantissime et monstre de l’humour guinéen a définitivement ‘’débarrassé’’ le plancher ce 9 septembre (9/9) 2023. Il luttait farouchement contre une maladie qui a fini par l’emporter ce samedi à l’hôpital Sino-guinéen de Kipé, commune de Ratoma, en haute banlieue de Conakry. Suite à la perte monumentale de cette immense icône de la culture guinéenne, la Rédaction de Guinéenews se propose ici de vous faire revivre, en hommage à l’homme, l’une des rares grandes interviews qu’il nous a accordées en octobre 2020. Relisez !

 

 »Il s’appelle El Hadj Amadou Bailo Sow, très connu sous le nom d’artiste « Sow Bailo ». Il est le fils de feu El Hadj Ibrahima et de Hawa Sow. Il est marié et père de six enfants, dont deux garçons. Il a effectué ses études primaires à Djountou, le secondaire à Bowloko et à Konkola, puis le lycée annexe dans la Préfecture de Labé. Il a terminé ses études à l’École Nationale des Arts et Métiers (ENAM) à Conakry, où il a obtenu son diplôme de météorologue.

Plus tard, il est parti pour Cuba, où il a poursuivi ses études dans la même spécialité pendant plusieurs années. Il est ingénieur météorologue de profession et travaille au bureau d’études et de recherches de la Direction Nationale de la Météorologie.

Musicien et chanteur au début de sa carrière, Sow Bailo, très doué en comédie, a fait ses preuves pendant plus de 59 ans sur les scènes nationales et internationales.

Cet éminentissime comédien, reconnu pour ses talents indéniables, a accordé une entrevue à Guineenews dans son bureau, situé dans le quartier de Tombo, dans la commune de Kaloum.

Assez détendu et jovial, cet ingénieur et artiste comédien, avec une aisance presque innée, a répondu aux questions de Guineenews.

Né artiste, affirme-t-il, il est sur scène depuis 1961. Un parcours jalonné de succès, Sow Bailo nous a fait part de ses beaux souvenirs tout en évitant de mentionner les mauvais, de peur de les faire revenir.

Conscient d’avoir servi sa patrie sans avoir reçu que des félicitations, il a comparé sa génération à celle d’aujourd’hui.

Malgré la reconnaissance exprimée par ses admirateurs, Sow Bailo n’a tiré que son salaire de fonctionnaire comme source de revenu. Il a déclaré qu’il ne regrette rien de son parcours artistique et prévoit de produire un enregistrement de ses œuvres pour la postérité avec le soutien du jeune comédien Mamadou Thug.

Après 59 ans de carrière sur scène, Sow Bailo a admis qu’il est toujours locataire, se déplaçant en taxi ou en covoiturage pour ses déplacements.

Il a exprimé sa préoccupation quant au manque de soutien de l’État envers les artistes et les sportifs et a exprimé sa sympathie envers la nouvelle génération, espérant que demain sera meilleur qu’aujourd’hui.

Guineenews : en tant qu’ingénieur de profession, comment avez-vous embrassé cette carrière artistique et quel a été votre parcours ?

Sow Bailo : je crois que l’on naît artiste. On dit souvent que « l’art est raison et la raison est humaine », ce qui signifie que chaque être humain possède un peu de cet attribut. Ceux qui excellent dans ce domaine sont appelés artistes. Pour ma part, je suis né artiste.

Pour ce qui est de mon parcours, je suis sur scène depuis le 30 juin 1961, avec mon maître de la 2ème année du primaire, Monsieur Bangaly Kourouma, qui est encore en vie et réside à la Bellevue, dans la commune de Ratoma. J’ai joué dans plusieurs pièces de théâtre. Je me souviens de ma première pièce, intitulée en pular « Barèatyamatamèdè » (on n’a cessé d’offrir le poignet de nourriture au chien). Plus tard, au collège, avec feu Emile Cissé, nous avons joué la célèbre pièce « Et la nuit s’illumine ». Nous sommes venus à Conakry dans le cadre théâtral pour nous produire le 24 septembre 1967, lors de l’inauguration du Palais du peuple. En résumé, depuis 1961, j’ai jonglé entre mes études et le monde de l’art. La liste des expériences dans ce métier est longue, mais cela pourrait devenir ennuyeux, car j’ai servi régulièrement dans ce domaine.

Guineenews : vous êtes sur scène depuis 1961. Quels sont vos souvenirs les plus marquants, tant positifs que négatifs, tout au long de votre carrière ?

Sow Bailo : un des souvenirs les plus mémorables est lorsque j’ai représenté la Guinée au rassemblement international des Pionniers à ARTECK, situé à 2070 km de Moscou. Ce voyage reste gravé dans ma mémoire. Un autre moment fort a été ma participation artistique lors de l’inauguration du Palais du peuple en 1967.

Je n’aime pas évoquer les mauvais souvenirs, de peur de les faire revivre (rires).

Guineenews : pouvez-vous établir un parallèle entre votre génération d’artistes ou de comédiens et la génération actuelle ?

Sow Bailo : j’ai commencé ma carrière pendant l’ère de la Révolution, où l’accent était mis sur le service au peuple et à la patrie. Les récompenses se limitaient à des félicitations. Aujourd’hui, chaque individu recherche l’argent. En Guinée, l’art et le sport n’ont jamais été récompensés par les gouvernements successifs. Bien que la nouvelle génération regorge de talents, la plupart cherchent avant tout à gagner de l’argent, tandis que nous avons consacré toute notre vie à servir et à honorer notre pays.

Guineenews : après 59 ans de carrière sur scène, de quoi êtes-vous le plus fier dans ce domaine ? En fin de compte, en quoi êtes-vous riche ?

Sow Bailo : toutes ces années passées sur scène m’ont apporté de la notoriété, de la reconnaissance et de l’amour de mes fans, mais surtout pas d’argent de la part de l’État.

Guineenews : vous n’avez donc pas reçu d’argent pour vos prestations artistiques ?

Sow Bailo : non, absolument pas. Ce métier m’a apporté de la notoriété, et partout où je vais, les gens m’interpellent pour que je les amuse avec mes sketchs comiques.

Guineenews : exercez-vous encore aujourd’hui dans ce domaine artistique ?

Sow Bailo : non, j’ai mis fin à ma carrière artistique, et il est rare que je décroche des contrats de représentation.

Guineenews : avez-vous été un mentor pour la nouvelle génération d’artistes ? Avez-vous contribué à leur épanouissement dans le domaine artistique ?

Sow Bailo : peu de jeunes artistes viennent me consulter, mais il m’arrive parfois d’aller voir et d’écouter ce qu’ils font. Certains d’entre eux me suivent et souhaitent suivre mon exemple, connaissant la contribution que j’ai apportée. Ils me contactent de temps en temps. J’ai un ami parmi la nouvelle génération, Mamadou Thug, qui me rend visite à chaque occasion.

Guineenews : pourriez-vous nous interpréter brièvement un sketch comique ?

Sow Bailo : Un jour, alors que j’essayais de faire de l’auto-stop en ville, une jeune femme s’est gentiment arrêtée pour me prendre en voiture. Une fois que je suis descendu, je l’ai remerciée en lui disant à quel point elle était gentille et belle. Elle m’a répondu : « Merci, ma grand-mère m’a dit que nous avons fréquenté l’école primaire ensemble. »

Guineenews : vous avez été impliqué dans la musique, le théâtre, la comédie et l’art en général. Pouvez-vous nous parler de vos sources d’inspiration ?

Sow Bailo : Disons que je m’inspire de tout ce que j’observe. J’ai rejoint un orchestre le 8 novembre 1968, il s’agissait de la deuxième formation orchestrale du Kolima Jazz de Labé. En 1970, j’ai intégré l’orchestre fédéral en tant que chanteur. Mes sources d’inspiration sont variées, et elles me viennent à tout moment.

Guineenews : avez-vous des regrets de n’avoir pas été récompensé pour vos services artistiques ?

Sow Bailo : non, je n’ai aucun regret, car ce métier m’a permis d’être reconnu et d’entrer en contact avec de nombreuses personnes. Je n’ai absolument aucun regret.

Guineenews : quelles sont vos projets futurs dans ce domaine artistique ?

Sow Bailo : Oui, j’ai un projet en cours qui m’a été présenté par Mamadou Thug. Il s’agit de l’enregistrement de mes œuvres pour les générations futures. Nous avons commencé ce projet, mais il est actuellement en pause. J’espère qu’il aboutira à l’avenir.

Guineenews : vous avez visité les lieux saints de l’islam, mais vous n’avez pas pris votre retraite après le pèlerinage. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous continuez à vous investir dans ce domaine artistique ?

Sow Bailo : C’est assez simple. C’est tout ce que je sais faire pour ma patrie. J’ai à cœur de faire tout ce que je peux pour la Guinée. Peu importe ce qui adviendra, je suis guinéen.

Guineenews : avez-vous des reproches ou des griefs que vous aimeriez partager avec nous ?

Sow Bailo : Je fais de mon mieux pour ne pas me mettre en colère, et je peux dire que je suis rarement en colère, voire jamais. En ce qui concerne le domaine artistique, je n’ai aucun reproche à faire à qui que ce soit. Tout le monde m’apprécie, et j’essaie de rendre la pareille. Ce n’est pas facile, mais j’essaie.

Guineenews : avez-vous des suggestions concernant les structures gouvernementales responsables du secteur artistique ?

Sow Bailo : Je dirais que l’État ne s’occupe ni du secteur artistique ni de celui du sport. C’est regrettable de constater que les artistes et les sportifs guinéens ne sont pas récompensés comme ils le méritent. Pour illustrer cela, je rappelle que le célèbre artiste émérite, feu Sory Kandia Kouyaté, qui a reçu le disque d’or de l’Académie Charles Cross, est décédé alors qu’il était encore locataire à la SIG. Une situation pareille ne devrait pas exister en Guinée. J’ai vu Hadja Kadé Diawara vivre dans la détresse totale pendant ses derniers jours. J’ai également suivi l’appel à l’aide de Jeanne Macauley, une éminente artiste de l’époque de feu Fodéba Keita. Il est inacceptable que cette situation perdure, ce qui montre qu’il n’y a aucune reconnaissance pour les artistes et les sportifs guinéens.

Guineenews : Avez-vous des conseils à donner à la jeune génération qui poursuit une carrière artistique ?

Sow Bailo : Je ne peux que les encourager en espérant que demain sera meilleur qu’aujourd’hui. Je souhaite tout le meilleur pour la Guinée. Lorsque je vois des artistes et des sportifs se battre pour leur pays, cela me réjouit énormément. Cependant, je ressens de la compassion pour leur situation. Personnellement, après 59 ans de carrière sur scène, je suis toujours locataire. Je suis un piéton, et tout le monde le sait. Pour vous faire sourire, je vais partager une anecdote. Après avoir participé à un spectacle au cinéma 8 novembre aux côtés des regrettés Italo Zambo, Yakhouba Pèssè et Kèndèka, nous avons pris une photo de groupe. Récemment, ma femme en fouillant dans mes archives a retrouvé cette photo et m’a dit : « Regarde, tu es là sur la photo avec Italo Zambo, Kèndèka et Yakhouba Pèssè. » Je lui ai demandé de refermer cet album, car ces trois autres artistes sont décédés, et je ne veux pas que Dieu se rappelle que je suis encore en vie.

Entretien réalisé par LY Abdoul pour Guineenews

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