Si le pouvoir militaire semblait être le seul à ne pas redouter les sanctions prises par la communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) soutenue par des partenaires occidentaux et les Nations Unies, le débat n’est pour autant pas clos. Il se poursuit et divise les économistes entre le camp qui y voit un moyen de pression efficace contre la junte qui a du mal à se conformer aux directives de l’organisation sous-régionale et celui des spécialistes, moins nombreux qui pensent le contraire.
Dr Alhassane Makanéra Kaké qui fait partie de la seconde catégorie est longuement revenu sur sa position dans l’émission ‘’Sans Concession’’ de Guinéenews ce mardi 11 avril. Pour l’universitaire, la Guinée qu’il compare à « une jeune femme courtisée par deux parties » ne doit pas souffrir du fait des sanctions de la CEDEAO.
« Je n’allais jamais le dire publiquement…. La CEDEAO a assez de difficultés pour sanctionner la Guinée pour la simple raison que quand on dit gel des avoirs, nous ne sommes pas dans la zone-franc. Nos dirigeants n’ont pas leurs comptes en franc CFA. S’ils ont l’argent, c’est en Dollar et Euro ». Et Dr Kaké d’ajouter : « c’est prouvé ! Donc le gel des avoirs, c’est pour les gens (…) qui ont des avoirs dans leurs banques. »
Même la suspension de toute assistance et transactions financières de la banque d’investissement et de développement de la CEDEAO (BIDC) ne serait pas aussi redoutable en termes d’impact, en tout cas, à court terme », croit savoir le spécialiste.
C’est le deuxième argument qu’il avance pour soutenir sa position, tout en mettant un bémol à cette hypothèse en affirmant qu’il n’encouragerait pas nos dirigeants à ‘’brandir la coltine contre la CEDEAO.‘’
Dans la même logique, il précise : « à long terme, cette banque n’interviendra qu’avec 6 autres institutions dont le montant n’est pas déterminé. A court terme, la suspension (…) de cette banque n’aura pas d’effets. Parce que pratiquement, elle ne participe à l’investissement qu’avec d’autres entités d’investisseurs et je suis sûr, à faible taux ». Relevant auparavant à propos de ladite banque que «… les Swift ont financé en Guinée à partir de 2020, 37,5 millions de dollars au profit de Diamond Ciment SA pour financer un centre de broyage de clinker et l’usine. »
Revenant sur les difficultés de la CEDEAO à sanctionner la Guinée, l’économiste met dans la balance les 300 km de côtes maritimes, sans oublier que la proximité stratégique entre le Mali et la Guinée avec des possibilités de contournement. Même si l’option qui consiste à débarquer de la marchandise au Mali et acheminer en Guinée, souligne-t-il, relève de l’impossible. Car, explique-t-il, le Mali est continental.
« De l’autre côté, quand on ferme les frontières, des commerçants guinéens vont souffrir parce que nous importons beaucoup à partir du Sénégal et la Gambie. Du côté du Libéria et de la Sierra Léone aussi. Les effets, finalement, c’est au niveau de certains agents économiques qui ne sont vraiment pas nombreux et la sanction ne touchera pas les personnes visées », a-t-il indiqué.
Quid du secteur minier qui représente l’essentiel de l’exportation de la Guinée ?
A écouter l’invité de « Sans Concession », les mines constituent le levier que la CEDEAO n’a pas la capacité de contrôler. Parce que « les multinationales n’ont pas d’état d’âme, n’ont pas de pays, n’ont que des intérêts. »
Pour illustrer ses propos, l’universitaire affirme : « la société Lafarge a financé les terroristes en Syrie, (alors que ces derniers) luttaient contre les français, contre les européens. Cela, contre la volonté du gouvernement français qui a tout fait pour que Lafarge quitte la Syrie, sans le réussir. »
Un cas et d’autres qui font que Dr Kaké croit dur comme fer que la CEDEAO ne peut en aucun cas influencer « les multinationales qui amassent des milliards chez nous. » Ce qui serait prouvé dans une analyse stratégique faite par son centre d’études. « Nous avons étudié toutes les possibilités de sanctions contre la Guinée, les effets chiffrés et les potentiels changements stratégiques de la sous-région (…) », rassure l’invité de ‘’Sans Concession’’ avant de brandir la menace Wagner…
Toujours sur la relativité des positions des partenaires, en dépit des déclarations officielles, Dr Makanéra ne manque pas d’exemples. Il rappelle que « le président américain qui vient de se rendre en Arabie Saoudite alors qu’il avait dit : jamais avec ce pays… » Avant d’affirmer plus loin : « il y a la realpolitik qui prime sur les convictions, les relations surtout… Sans oublier, le président syrien qui dit que les relations internationales, c’est simple : il faut savoir avec qui danser et quand danser. »
Ce qui fait dire au professeur d’université que présentement, « le temps joue pour la Guinée. Surtout que tout le système de sécurité sous-régional est en train de prendre une transformation incroyable… qui fait qu’à long terme, soit la CEAEAO se réforme ou elle disparaît ».
Le talon d’Achille de la junte
Si l’universitaire est quasi intraitable sur l’inefficacité des sanctions économiques de la CEDEAO contre la junte, Dr Makanéra n’est pas moins persuadé que le contexte local pourrait réellement peser dans la balance. Par contre, suggère-t-il, la situation économique à l’interne devrait attirer davantage l’attention de la junte. En tout cas, c’est l’élément majeur qu’il faut contrôler, gérer et stabiliser, insiste-t-il.
« Si le CNRD doit s’occuper de quelque chose, c’est le volet interne en deux aspects : la cherté de la vie et la vie politique. Deux contraintes majeures pour le pouvoir militaire », a suggéré l’invité de « Sans Concession.»