Ce genre de question n’effleure même pas l’esprit des usagers-propriétaires d’engins roulants. Elle n’a, de leur point de vue, aucun sens et ne mérite même pas d’être posée. Quel toupet, que de leur demander qui passe le premier entre eux et leur véhicule ? N’en sont-ils pas les propriétaires, eux qui ont de leur plein gré, acheté ce moyen de locomotion, pour en jouir à leur guise ? Tout cela est ridicule et ne mérite pas que l’on s’y attarde. (Photo d’archives)
Convenons-en, cette vérité est admise par tous. Personne n’en conteste l’évidence… Sauf, qu’à y regarder de près, il y a quand même un bémol. En effet, ce qui semble si probant en pratique est en même temps porteur d’une autre réalité. Un peu comme la face cachée de l’iceberg.
Dans le rapport homme-véhicule, tout semble indiquer que le second est le maitre du jeu, ou pour mieux dire, le maître tout court. Ce paradoxe est vécu un peu comme si on ne le voyait pas. Il constitue une évidence que l’on ne reconnait pas facilement, encore moins, de gaieté de cœur.
Comment peut-on arguer que le véhicule est le maître de l’homme ?
Les éléments de réponse à cette question se trouvent parsemés dans les nombreux faits et gestes de l’homme vis-à-vis de son véhicule. Nous n’en citerons que quelques uns, d’expérience. D’abord cette assertion qui en dit long, lorsqu’elle rappelle, qu’à notre époque, l’homme met autant d’amour-propre que d’essence dans son véhicule.
Ainsi voit-on des cadres, des personnages importants, qui se mettent en culotte et tricot débardeur pour laver proprement leur véhicule. Bien entendu, ils prennent bien soin de se garantir contre toute forme d’indiscrétion possible. Mais le véhicule est quand même lavé proprement et même parfumé. Ils sont aux petits soins pour lui : ils lui achètent du kleenex, du déodorant, des housses, des tapis, des bibelots, des enjoliveurs, des autocollants, des produits pour lustrer et même des petits cadres enjolivés portant versets de coran ou textes bibliques comme pour… prier pour lui ou avec lui. Allez savoir ! Et ce n’est pas tout : ils l’époussètent, le bichonnent, l’admirent du regard par ci, le lorgnent ou le caressent par là.
On n’est pas loin de croire que s’ils pouvaient en faire le tour, de leurs bras écartés, ils l’eussent embrassé à coup sûr, avec tout l’amour qu’ils éprouvent pour ce beau bijou adoré!
Devant toutes ces marques d’attention, disons même d’amitié, d’affection et de profond attachement, imaginons un seul instant, que l’épouse de l’un de ces messieurs ‘’amoureux’’, par outrecuidance ou simple maladresse, demande que son gentil mari veuille bien laver le joli et tendre poupon à la maison, en attendant qu’elle finisse une tâche ménagère pressante.
Oh ! Crime de lèse-majesté ! Offense au plus haut point ! Attaque directe ! Injure ! Insolence ! Rébellion ! Foutaise hors limite ! Les qualificatifs ne manqueront pas pour caractériser cette requête formulée par madame auprès de son époux et au profit de leur enfant à tout point incomparable à un véhicule, si grand, si beau, si coûteux, fût-il.
Cette femme va déclencher un gros scandale qui conduira à de longues assises dans les familles du couple. Elle va même risquer d’être répudiée purement et simplement, pour outrage à monsieur. Dommage pour les féministes, la phallocratie aura encore parlé !
Ainsi qu’on le voit, le véhicule est la première et la vraie coépouse d’une femme. On le présente d’ailleurs en tant que tel quelque fois. Le mari qui s’en trouve un, vient dire, l’air de rien, à sa femme : « voici ta coépouse ! »
En parlant ainsi, l’air d’une blague, le mari traduit sans le savoir, l’exacte réalité des faits qui se produisent souvent, peu de temps après. Surtout si le véhicule acheté est ‘’fatigué’’ et si les poches de son acquéreur sont ‘’trouées’’.
Or c’est bien souvent le cas. Le schéma est toujours le même: notre monsieur est nouveau propriétaire. Il a acheté une vieille voiture. Il est désargenté en plus.
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Dans un premier temps, le voilà aux anges… Jusqu’au moment où son véhicule commence à être régulièrement ‘’malade’’. Dès lors, les choses changent progressivement. Tous les jours il le conduit au garage et il ne tarde pas à accumuler les ennuis. La question se pose alors : comment y faire face ? Avec ses soucis de trésorerie et ses multiples tribulations pour faire réparer son véhicule il est vite placé devant un dilemme. Un choix à la limite de celui cornélien, bien connu: assurer les charges familiales pour vivre en paix, le ventre plein, ou dépenser le véhicule en réparations et carburant, juste pour rouler dedans, être vu et apprécié, pendant que les dettes l’étouffent.
Dans bon nombre de cas, le choix est vite fait. Avec un simulacre d’hésitation comme pour atténuer l’effet ahurissant de l’option, on entend dire: « je répare et carbure la voiture d’abord. » Les arguties ne manquent pas pour s’aménager une bonne excuse pouvant couvrir ce type de comportement à la limite de l’invraisemblable. Les adeptes de ces ‘’topos-bêtisiers’’ cherchent avant tout à s’auto convaincre eux-mêmes : « pour commencer, je vais réparer la voiture et la carburer pour sortir régler les quelques affaires que j’ai en instance. Comme ça, je suis rassuré de trouver de l’argent pour la famille et accessoirement aussi, pour le véhicule en cas de nouvelle panne. »
Entre vivre cette réalité et conclure que ‘’l’homme est l’esclave de l’esclave technique‘’ est un pas qui est vite franchi. Pour beaucoup, tout laisse à penser que l’homme est entrain de s’abandonner au diktat de l’outil qu’il a lui-même conçu et fabriqué pour sa félicité.
Cette tendance ou image est entrain de gagner du terrain au point de faire partie de nos us. Déjà, dans les salutations d’usage, la voiture figure en bonne place. A preuve, quand l’on rencontre un détenteur de véhicule, dans le quartier ou ailleurs, l’échange de politesses fait toujours référence à son engin, surtout s’il n’est pas au volant de celui-ci : « bonjour !… ça va ?…Et la voiture ? On peut ne rien y ajouter concernant sa famille, ses enfants. Rien ne compte. Le véhicule d’abord et… surtout !
Tenez, les amoureux du véhicule sont tellement accrocs à cet outil qu’ils le font passer avant tous les autres besoins supposés fondamentaux auxquels bien de gens aspirent. Ainsi acceptent-ils de garer, l’air de rien, un de grande valeur qui leur appartient en propre, devant un « deux chambres-salon » en location.
En plus, et c’est peut être une boutade pour clore cette réflexion, vous pouvez faire de nombreux tords à bien des personnes et réussir à vous faire pardonner. Par contre, gare à vous, vous risquez gros, si vous leur abimez la jolie peinture nacrée ou en polyuréthane de leur beau carrosse lustré, qu’ils adorent. C’est comme si vous les aviez tués. Vraiment !
N’est-ce pas que tout cela est curieux, quoique bien réel ? On est en droit de se poser des questions. Les psychologues, sociologues, anthropologues et autres chercheurs pourraient sans doute mieux nous situer.
En attendant, à nous de refuser cette tendance à l’assujettissement garanti vers lequel notre amour, notre obsession pour l’automobile est entrain de nous conduire. Comprenons que la qualité d’un véhicule si enviable et extraordinaire soit-elle, n’égalera jamais l’être humain que nous sommes, créé par Dieu.
C’est nous qui fabriquons le véhicule. Pour qu’il nous serve d’outil et non de maître ! Nous l’utilisons pour nous déplacer. C’est une aberration que d’inverser cette logique.
Le véhicule, ce simple outil, cet assemblage de matériaux divers nous rend, il est vrai, des services immenses. On ne peut pas imaginer la vie de l’homme aujourd’hui sans lui, à son service. Il est, à juste titre, considéré comme un réel miracle des temps modernes. Il serait difficile pour ne pas dire impossible d’envisager, même un court instant que nous nous en séparions.
Mais pour autant, il faut noter que ce même véhicule dont nous vantons ici les grands mérites et la grande utilité, nous tue et nous blesse, si nous en faisons mauvais usage. En plus, on a beau l’aimer et l’entretenir du mieux que l’on peut, il n’exprimera jamais une quelconque gratitude à notre endroit, pour amabilités ou services rendus. Et si nous nous mettons devant lui pendant qu’il roule, et bien, soyons rassurés qu’il nous écrasera sans hésitation et sans jamais se retourner ou s’arrêter pour exprimer le moindre regret.
L’effet recherché de cette réflexion est de faire d’une situation que nous vivons au quotidien, sans nous y attarder, une satire qui ‘’flashe’’ les réalités qui nous entourent.
Si elle vous éclaire un peu plus, et bien…c’est tant mieux ! L’objectif sera atteint, car vous aurez été de ceux qui ont compris que nous ne devons point nous laisser dominer par ce que nous avons, nous-mêmes, créés.