Reconnu pour son climat spécial avec une fraicheur très particulière, le Foutah Djallon a tendance à perdre complètement ce don de dame nature qui est depuis l’aube des temps, son identité. De nos jours, cette région humide et montagneuse enregistre des températures avoisinant celle de la capitale et des régions de forte chaleur en république de Guinée, avec une avancée significative du désert, tel est le triste constat qui saute aux yeux de tout visiteur qui y met les pieds.
L’action de l’homme sur l’environnement serait la principale cause de ce phénomène qui risque de coûter très cher à la région foutanienne en particulier, et à la Guinée et la sous-région en général. Vu que la quasi-totalité des fleuves du continent y prennent leurs sources.
Parmi les multiples causes de la destruction de l’environnement, nous avons en bonne place les fabriques de briques traditionnelles communément appelé fours à briques. De nos jours, ces fours à briques cuites pullulent comme des champignons dans la préfecture de Labé en croire les services de l’environnement. Ils se compteraient par centaine.
Briques cuites, une affaire florissante
« Dans toutes les sous-préfectures il y a des fabricants de briques. Je m’excuse de dire toutes les sous-préfectures, mais la plupart en tout cas. Donc, le nombre total au niveau de la préfecture s’élevait l’année dernière au nombre de 425 personnes recensées au niveau de la préfecture de Labé. Mais comme vous le savez quoi qu’on fasse, il y aura toujours des gens qui le feront de manière clandestine. Les gens qu’on arrive pas à maîtriser sont très nombreux au niveau de la préfecture en général », déplore Diao Diallo, le chef de la section préfectorale des Eaux et foret de Labé.
Rien qu’au niveau de la commune urbaine de Labé, très rares sont les quartiers périurbains qui n’abritent pas des dizaines de fours à briques toutes installées essentiellement dans les lits des cours d’eau. « C’est seulement au niveau des cours d’eau qu’il est possible d’ériger un four à brique, car l’activité demande beaucoup d’eau. Donc il faut aller à la source sinon c’est impossible. Même ici, vous constatez vous-même qu’il n’y pas assez d’eau dans ce cours d’eau ; ainsi on a creusé des puits afin de faciliter l’opération », soutient Mamadou Kanté (fabricant de briques cuites), trouvé en pleine activité entre le quartier Daka et le secteur Maléya.
Evoluant lui à Sirenya dans le quartier Poréko de la commune urbaine, Diallo Ibrahima s’estime en règle : « non seulement nous on est recensés, mais on paye normalement les taxes à l’Etat. Donc, je peux dire qu’on travaille ici légalement. Un four ici peut produire jusqu’à 20 000 briques à la fois et quand on a tout le matériel nécessaire, c’est-à-dire le bois pour une bonne cuisson ça prend juste quelques dizaines de jours. Je ne vis que de ça avec toute ma famille et c’est un travail qu’on a hérité de nos parents, et comme on ne connait que ça, on est obligé de s’investir totalement dans la chose », soutient notre interlocuteur.
Impact et conséquences des fours à briques sur l’environnement
Pourtant la menace de ces fours à briques cuites est palpable à en croire au chef de la section préfectorale de l’environnement de Labé. Pour Mamadou Kobéra Diallo, les fours à briques cuites causent des impacts assez nocifs à l’environnement qui ne fait que se dégrader du jour au lendemain face à cette exploitation exagérée.
« Le premier, et le plus important c’est la déforestation. Parce que là on défriche, on fait la carrière et on part couper des bois pour venir calciner les briques. Ça c’est le premier impact. Le deuxième impact, c’est la destruction de l’eau parce qu’on le fait à 99% en bordure des cours d’eau. Non seulement ils creusent au niveau du lit du cours d’eau, pour faire dévier le trajet de l’eau mais aussi ils brulent à coté ; augmentant la quantité d’eau évaporée tout en détruisant tout ce qui est micro-organisme vivant aux alentours de là où on a calciné. Et les végétaux et les animaux tout va mourir même les graines qui allaient germer pour occasionner la régénération naturelle vont partir. Ça c’est le deuxième impact. Troisièmement, la terre. Là, aussi c’est de la terre qu’on ramasse, on met de l’eau, on calcine, on creuse des trous qu’on laisse sur place et ça fait des éboulements. Finalement, quand l’eau vient, ça prend la terre et ça cause l’érosion. Et cette érosion, la terre qui quitte les carrières pour fermer les cours d’eau en aval de la zone où on a créé les carrières de cuisson des briques », rappelle Mamadou Kobéra Diallo, le responsable de la section préfectorale de l’environnement de Labé.
Mais pas que ça. A la section des eaux et foret aussi, les fours à briques représentent une sérieuse menace environnementale. « Nous sommes intéressés parce que ça dégrade l’environnement. Il y a la coupe du bois vert que les gens utilisent pour la cuisson des briques. Nous, nous travaillons avec eux à partir du moment où ils utilisent ce bois, parce qu’on dit briques cuites», renchérit Diao Diallo, le chef de la section préfectorale des eaux et forêt de Labé.
Une pratique dénoncée et condamnée par El Hadj Safioulaye Bah, le préfet de Labé : « c’est une catastrophe pour la région et pratiquement pour toute la Guinée. C’est ce qui amène à une coupe abusive et ce ne sont pas des bois morts qu’ils utilisent, mais c’est des bois vers qu’ils coupent. Et cela est une grande catastrophe et le désert s’approche avec cela, parce qu’il n’y a pas de reboisement, il n’y a pas une politique qui fait que ceux qui coupent reboisent. Donc, c’est une catastrophe, le désert avance de 5 kilomètres par an », déclare le préfet de Labé.
« Un mal nécessaire »
A la lumières de toutes ces informations qui prouvent à suffisance le côté très nocif de ces fours à briques cuites sur l’environnement, l’Etat semble accompagner et voire même cautionner cette pratique. Ce, en réclamant des taxes en lieu et place d’une réglementation et une répression. « D’abord pour une information générale, les fours à briques, c’est un mal nécessaire. Je le dis parce que c’est difficilement qu’on pourrait se passer de cette chose parce que tout le monde n’a pas les moyens de faire les briques en ciment. Donc, ils doivent payer une taxe avant qu’ils ne coupent les bois. Donc, nous leur donnons ce qu’on appelle ‘’l’autorisation de coupe ou le permis de coupe.’’ Donc, il y a une taxe à payer avant la coupe. Mais le cas particulier de cette année, au moment où les gens là devaient payer ces taxes, ç’a coïncidé à l’arrivée de la maladie et les gens ont été réticents et quelque part le gouvernement a allégé les taxes pour la population ; c’est dire que cette année, il n’y a pas eu de taxe sur les fours à briques », reconnait le chef de la section des eaux et foret de Labé.
A la question de savoir à combien s’élève cette taxe de coupe de bois vert, Diao Diallo est on ne peut plus clair : « ça dépendra de ce que l’intéressé voudra couper. Donc, c’est en volume que l’intéressé coupe. Et ça dépendra aussi de la nature du bois parce qu’il y a le bois rouge et le bois blanc. Si c’est le bois rouge, le volume peut coûter jusqu’à 150 000 GNF. Donc, c’est selon les catégories de bois à couper. Ça varie de 50 000 GNF à 350 000 GNF», soutient le responsable de la section des eaux et forêt.
Interrogé sur la même question, Mamadou Kobéra Diallo de l’environnement a clairement soutenu que les fabricants de briques cuites n’ont aucune taxe à payer auprès de son service. Que l’essentiel de la taxe est gérée par la section des eaux et forêt.
Des pistes de solution pour enrayer le fléau
Comme piste de solution à ce problème environnementale qui interpelle à la fois tout le monde, les soldats de l’environnement en service dans la préfecture de Labé n’ont pas manqué d’arguments. Mamadou Kobera Diallo propose : « pour lutter contre ces impacts lié aux fours a briques cuites ; la première c’est de ne pas accepter les fours à bordure des cours d’eau. Deuxièmement, faire payer des taxes élevées et conformément aux dispositions pour décourager ceux qui le font. Et troisièmement, c’est d’assurer le suivi pour ne pas qu’on coupe le bois n’importe où », recommande-t-il.
Et de poursuivre : « maintenant, l’action phare que nous avons par rapport à ça et cela est en projet, c’est de faire remplacer ces briques cuites par des briques en terre stabilisé qu’on appelle BTS dont l’Etat a déjà envoyé des presses un peu partout dans les préfectures et des échantillons sont faits, quelques maisons sont construites en brique BTS. Mais malheureusement, jusqu’à présent cette pratique n’a pas connu un important tonus pour deux raisons. La première c’est une nouvelle technologie. La deuxième, les briques à terre stabilisée jusqu’à présent c’est un peu plus cher que les briques à terre cuite en raison du ciment qu’on mélange à l’argile pour faire la brique. Mais dans tous les cas, c’est des tentatives qui sont en train d’être faites pour essayer de remplacer ces briques par des briques BTS. De l’autre côté, aussi, on encourage beaucoup l’utilisation des briques en béton parce qu’il y a des briques que les chantiers font en ciment. Là aussi c’est des briques qu’on peut utiliser pour remplacer les briques en terre cuite. Mais c’est des briques qui sont encore un peu plus chères que les briques cuites. C’est pourquoi jusqu’à présent cela n’a pas une grande envergure », explique Kobera Diallo.
Toujours comme piste de solution, le chef de la section préfectorale de l’environnement propose : « si l’Etat parvenait à diminué le prix du ciment pour que les gens puissent faire des briques à ciment et subventionner les briques en terre stabilisée, ça serait salutaire. Mais on est sur les démarches pour que ça soit fait, parce que c’est inclut dans beaucoup de politiques de sauvegarde de l’environnement. C’est inclut, subventionné les actions de protection de l’environnement », ajoute Diao Diallo.
De son côté, Diao Diallo des eaux et foret s’appuie sur la réglementation du secteur : « c’est d’accepter de se faire recenser ; ensuite accepté les conseils pratiques des agents des eaux et forêt, c’est-à-dire de ne pas faire des fours à briques sur les lits des cours d’eau parce que ç’a un intérêt immédiat, parce que si cette année tu fabriques des briques sur le lit du cours d’eau, tu détruits le cours d’eau ; l’année prochaine tu n’auras plus ou faire des briques», estime-t-il.
Briques à terre compresse, une initiative du chef de l’Etat
Visiblement touché par ce problème, le chef de l’Etat a depuis quelques années, envoyé des compresses dans la quasi-totalité des préfectures, en tout cas de la région administrative de Labé pour encourager la fabrication de briques écologiques en lieu et place des briques cuites qui coûtent beaucoup à l’environnement. « Effectivement, monsieur le président de la république a eu l’initiative dans le cadre de la lutte contre la déforestation et la coupe abusive de bois, de trouver une entreprise qui fabrique des briques en terre mélangée à du ciment», reconnait El hadj Safioulaye Bah, le préfet de Labé.
« Cette entreprise c’est la SONAPI (société nationale d’aménagement et de promotion immobilière) qui a l’image de l’Afrique du sud, a construit ces bâtiments témoins ici au niveau de la gendarmerie. Donc, c’est vrai c’est quelque chose de très économique et très écologique, parce qu’il suffit d’avoir une presse, la terre, l’argile nécessaire que nous avons ici, mélangée un peu de ciment et compresser. On les empile aussi pour la jonction des briques. On n’a pas besoin de ciment et ensuite on a sa maison. Et également elle maintient la fraîcheur. Donc, c’est une très bonne idée ; nous espérions que la population, au vu de ces maisons témoins, aura envie de construire avec ce genre de matériaux. Mais, seul un individu, un certain monsieur Madiou Thiaghé pour la construction de son école a pris cette façon de construire. Mais si toutefois la population s’appropriait de ce système de construction, qui est d’une faciliter extraordinaire, on aurait évité cette catastrophe », déclare le préfet.
Boubacar Keita, le directeur général de la SONAPI reconnait le désintéressement de la population à l’égard des briques en terre stabilisé (BTS) : « ça ne fonctionne pas actuellement à Labé, parce qu’on était allé pour faire un lancement et démontrer aux gens ce qu’on peut faire avec les briques en terre stabilisé. Pour cela, on a fait un échantillon de quelques trois bâtiments dont un R+1 (rez-de-chaussée plus un étage) et deux bâtiments, rez-de-chaussée. Ça c’est un investissement du gouvernement. Mais vous savez, la promotion immobilière ça prend du temps ; c’est un travail de longue haleine », soutient l’expert.
L’autre revers de la situation, c’est que malgré ce désintéressement des populations, visiblement l’Etat manque de politique de valorisation des briques BTS. Car pour qui connait, entre 2019 et 2020 il y a eu des chantiers dans l’ensemble des 33 préfectures de la république de Guinée à travers le programme ANAFIC (agence nationale de financement des collectivités). Mais très malheureusement, nulle part dans ces 33 préfectures, les briques écologiques n’ont été utilisées dans la construction des édifices en question. Dans le meilleur des cas, c’est des briques en ciment qui ont été exploitées. Cela alors que ce programme national était l’occasion en or de promouvoir ces briques BTS.
Pourtant, même les ouvriers préfèrent de loin les briques écologiques dans les chantiers : « avec ce genre de briques, on n’a pas de problème et ça consomme moins de ciment. Par exemple quand tu utilises des briques en ciment; tu vas gagner en temps et en énergie car l’entreposage des briques les unes sur les autres va être très facile. Et lors du crépissage tu vas utiliser moins de ciment par rapport aux briques cuites. Mais, les gens ne comprennent pas cela, sinon nous maçons, on préfère travailler avec les briques en ciment», explique maître Boubacar Barry, maître-maçon à la tête d’une équipe de plusieurs apprentis.
Si malgré tous ces efforts fournis même par la première autorité du pays, on n’arrive pas à inverser cette tendance, on comprend aisément que la paresse doublée de la mauvaise foi des responsables des secteurs concernés reste et demeure la principale gangrène qui favorise ce fléau qui commence déjà à peser lourd sur la balance. L’administration de la base au sommet, favorise le contournement des lois et règles. Voilà pourquoi, nous devons savourer ensemble les fruits de cette mauvaise gestion qui a de la peine à prendre fin, avec la destruction de l’environnement à outrance.