Les deux Africains, qui ont eu le mérite de conduire les affaires du monde à l’ONU, n’ont pas été ménagés par les turpitudes et les vicissitudes de l’histoire. Ce qui ne s’est jamais produit pendant la guerre froide, s’est produit entre les alliés de la seconde guerre mondiale; la guerre en Yougoslavie, qui a fait 5000 victimes, considérée comme un génocide, et l’autre génocide, au Rwanda, n’ont pas pu être stoppés, en plus de la guerre en Irak, qui a ouvert la boîte de Pandore au Moyen-Orient. (Crédit-photo: Radio Ocapi)
En Yougoslavie, les Russes prenaient encore parti pour les Serbes contre les Croates ? Même cette guerre était vue comme musulmans et chrétiens, il n’en demeure pas moins que ceux qui tiraient les ficelles, étaient Russes et occidentaux. Il n’en était pas de même au Rwanda, où les alliés Français et Belges, d’un côté, et Américains et Anglais, de l’autre, se tiraient le tapis sous les pieds.
Après la Conférence de la Baule de 1988, quand François Mitterrand avait réuni les chefs d’Etat des anciennes colonies d’Afrique pour conditionner l’aide française au développement à la démocratisation et à l’alternance politique, était-ce réellement cela ou était-ce pour asseoir son autorité politique et s’assurer la mainmise sur eux. La question se pose. Puisque ce qui s’est passé au Burkina Faso avec l’assassinat de Thomas Sankara n’avait rien de commun avec la démocratie et l’alternance… Est-ce cela avait réveillé les Américains ? Allez savoir… Mais en mettant les choses bout à bout, on pourrait s’en faire une idée.
En effet, en 1993, Bill Clinton venait d’arriver à la Maison Blanche, succédant à George Bush-père qui avait succédé aux deux mandats de Ronald Reagan 80-88. Le monde sortait à peine de la fin de la guerre froide avec la chute du Mur de Berlin et la déliquescence de l’URSS.
Brejnev mort, Andropov mort, Tchernenko mort, Gorbatchev affaibli, bipolarité kaput, il n’y avait plus que le camp occidental à la barre pour former un grand panier de crabes. La recomposition de l’échiquier politique mondial était urgente. La première déclaration du beau Bill était univoque: nous prendrons des marchés français, en Afrique ». L’année suivante, en 1994, il y a eu ce qui s’est passé au Rwanda, alors dans le giron de la Francophonie. On ne nous a jamais dit clairement s’il y a-t-il eu accrochages entre les soldats occidentaux de la Force de l’ONU en place, mais la mort de nombreux parachutistes belges dans des conditions floues peut laisser dire autre chose, le missile qui avait abattu l’avion de Juvénal Habyarimana, aussi.
Pendant des années, les deux camps s’accusaient pour laisser planer le doute. Les Casques bleus de l’ONU étaient entre ordres et contre-ordres venant de la hiérarchie jamais clairement identifiée.
Kofi Annan, l’envoyé spécial du Secrétaire général de l’ONU, Boutros-Boutros Ghali, était partout et nulle part, mais n’a rien pu faire. Le génocide n’a été arrêté et stoppé que quand les rebelles rwandais venant des pays anglophones de l’Afrique de l’Est (Ouganda, Kenya, Tanzanie) ont pris le Pouvoir. Le Rwanda basculera dans le Commonwealth. La France perdait un marché.
A peine le calme rétabli au Rwanda, une insurrection venant du même Rwanda balaya Mobutu du Zaïre. On avait cru que les Lumumbistes étaient à la manœuvre, que nenni, c’était Laurent Désiré Kabila bien soutenu par le Rwanda et les pays anglophones de l’Est.
L’ambassadeur français à Kinshasa, qui observait les scènes d’émeutes derrière des vitres (tintées ?) au deuxième ou troisième étage de sa résidence, reçut une ‘’balle perdue’’, disait-on. Les choses étaient sérieuses. Mobutu dira qu’il «a été poignardé dans le dos ». A qui faisait-il allusion, allez savoir…Tout de même le Zaïre basculait dans le camp anglo-Saxon sans le laisser paraître, mais la RDC de Joseph Kabila, qui tient tête aux injonctions de Bruxelles et de Paris, et le passage de la ‘’comète de Haley’’ pour changer la donne politique en RDC est édifiante.
Les Francophones perdaient un deuxième marché. Et si Pierre Nkurunziza en fait à sa tête, il y a des questions à se poser sur l’influence des Européens sur le Burundi…
Dans tous ces cafouillages, que pouvaient représenter Boutros-Boutros Ghali et Kofi Annan dans cette bataille des mastodontes, fussent-ils des hauts fonctionnaires de l’ONU, pas sous-ordre mais pas indépendants et souverains ? Cependant, ils ont remué ciel et terre pour essayer de lutter pour la paix, pour désamorcer la crise, sans y parvenir.
Kofi Annan était envoyé et renvoyé de gauche à droite à la recherche de l’aiguille, dont un grand de ce monde avait dessus le pied. Reconduit pour le deuxième mandat, en 2001, c’est la guerre en Afghanistan et enIrak qui prenait son envol. Cette fois-ci, c’était une affaire d’orgueil et d’amour-propre à l’Amérique et personnelle à George Bush-fils.
A peine élu à la suite des deux mandats de Bill Clinton, Bush-fils a été confronté aux attaques de Al Qaeda de Oussama Ben Laden. Tout le monde a vu le président américain garder son calme pour ne pas affoler les enfants d’une classe, en Pennsylvanie, quand la nouvelle des attaques sur le Word Streets Center et sur le pentagone lui fut susurrée dans les portugaises. Il déclarera, plus tard, que c’est une croisée, avant de venir dans une mosquée, en chaussettes, pour rectifier le tir.
Suite à ce plus grand camouflet infligé à la plus grande puissance du monde, sur son sol, Saddam Hussein n’a pas tenu sa langue, il s’en était même réjoui publiquement, sa condamnation à mort.
A la recherche de Ben Laden, pisté en Afghanistan, une grande coalition internationale était derrière les USA, l’ONU avait même donné son aval. Mais, pour aller chercher Saddam Hussein, l’ONU s’était opposée bec et ongle, Jacques Chirac s’était opposé plus farouchement, le Conseil de Sécurité n’avait pas donné son aval. Qu’à cela ne tienne, vaille que vaille, l’Uncle Sam était allé sans l’ONU. Il n’y avait personne pour l’arrêter. Que pouvait Kofi Annan, tout auréolé du prix Nobel de la paix ?
Malgré tout ce qu’on pourrait considérer comme échecs et déboires de l’ONU, Kofi Annan a pu tirer son épingle du jeu de ce chaos par sa modestie, par son talent de négociateur, par sa fermeté et par son sang-froid. On l’a vu avec Saddam Hussein, tous deux détendus, comme si de rien n’était, alors que les attaques étaient imminentes sur Bagdad… Ceux qui s’étaient entêtés pour aller outre ses recommandations et prescriptions, ont eu à constater avec amertume, après coup, que sa vision était plus juste que la leur.
La particularité de Kofi Annan qu’il faut mettre plus en évidence est que, malgré et en dépit de cette foule d’échecs, il a eu la reconnaissance des hommes, et à juste titre, le prix Nobel de la paix lui a été décerné. Son Nobel, à lui, même Alfred l’approuvera, dans l’autre monde…