Considéré comme étant « l’or noir » du monde paysan en moyenne Guinée, la culture de la pomme de terre vient de connaitre une croissance très considérable dans cette zone. Entre les années 2023 et 2024, la production est passée de 80 000 à 150 000 tonnes selon le président de la fédération des paysans du Fouta Djallon (FPFD). Dans une interview exclusive qu’il a accordée à l’équipe locale de votre quotidien électronique Guinéenews, El hadj Moussa Para Diallo (président, de la FPFD depuis 1992) explique les mécanismes qui ont favorisé ce résultat, tout en pointant du doigt les problèmes et difficultés qui empêchent une autosuffisance, sur l’ensemble du territoire national. Lisez !
Guinéenews : bonjour Elhadj. Merci de nous recevoir et de nous accorder de votre temps. Comment se portent les activités de la fédération que vous dirigez depuis 1992 ?
El hadj Moussa Para : comme vous parlez des activités de la fédération, on est sur l’ensemble des 10 préfectures de l’ancienne Moyenne Guinée c’est-à-dire de Mamou à Koundara, donc dans trois régions dont celles de Mamou, de Labé et une partie de la région administrative de Boké (Gaoual et Koundara).
Guinéenews : c’est déjà très vaste comme territoire ; quels sont, spécifiquement, vos domaines d’intervention ?
El hadj Moussa Para : on évolue sur cinq filières. La filière tomate, la filière maïs, la filière riz, la filière oignon et la filière pomme de terre. On excelle beaucoup plus sur la filière pomme de terre, car il y a beaucoup plus d’investissements avec l’accompagnement, notamment, du gouvernement guinéen.
Guinéenews : donc, on va se focaliser sur la filière de la pomme de terre qui est, comme vous le dites, une spécialité de la fédération ; dites-nous, comment se porte principalement cette filière ?
El hadj Moussa Para : vous savez, parler c’est très facile et travailler, c’est tout le contraire. On essaye de joindre l’acte à la parole. A un moment donné, on a eu beaucoup de difficultés mais, grâce donc au gouvernement Guinéen, au gouvernement actuel de la transition du général Mamady Doumbouya, l’État a mis quelques moyens à notre disposition. C’est notamment des tracteurs, notamment de l’engrais, notamment un moyen financier à un taux acceptable à travers la Société Générale de Banque. Un taux de 5% et aujourd’hui, j’avoue que ça se passe de mieux en mieux, mais ce n’est pas suffisant.
Guinéenews : avec tout cet accompagnement, on peut penser que la production a quand même été rehaussée ?
El hadj Moussa Para : oui, affirmatif ! C’est le lieu de le dire, la production en 2022, 2023 est passée de 50 000 à 80 000 tonnes. De 2023 à 2024 elle est passée de 80 000 à 150 000 tonnes. Donc, aujourd’hui on est fier de le dire, parce que dans l’ensemble de la région de la moyenne Guinée, la pomme de terre est consommée de manière acceptable ; et aussi dans la région de la haute Guinée, si nous prenons les marchés de Siguiri, de Kankan, de Kouroussa et de Dabola, elle est suffisamment consommée. Si nous prenons les marchés de la Basse Guinée, Boké, Fria, Boffa, Dubréka, Coyah, Kindia et Forécariah ; on a partout des gens qui vendent de la pomme de terre. Je ne parle pas du marché de Conakry où on inonde les différents marchés de la place, au moment de la récolte de la production nationale.
Guinéenews : donc, une production suffisante pour couvrir les besoins de l’ensemble du pays ?
El hadj Moussa Para : non ça ne suffit pas, dans la mesure où on ne couvre pas l’intégralité du pays. Dans la mesure où on n’a pas suffisamment de chambre froide à travers toutes les régions. Par exemple, que ce soit à Labé, Mamou, Dalaba, c’est presque insignifiant, le nombre de chambres froides qu’on rencontre. Pratiquement, c’est ici à Timbi-Madina qu’on en trouve, qui répondent en nombre et en qualité, aux critères requis. Quelques privés en ont, à Labé et à Mamou et j’avoue qu’il y a quelques difficultés qu’on relève, dans ce domaine. Il ne faut pas construire des chambres froides pour le plaisir de les construire. Ceux qui veulent investir dans ce secteur, veulent se rassurer de la rentabilité de leur investissement. Il faut avoir une production régulière et stable, pour les encourager à investir. Quand tu poses la question à certains, ils vont te dire qu’il faut ceci et cela. Mais, quand tu viens vers eux, ils ne sont pas organisés et des fois, c’est un peu difficile. La production, c’est vrai qu’elle n’est pas facile, mais la conservation n’est pas facile non plus.
Ce qui est grave de nos jours, c’est la pluviométrie qui a beaucoup baissé. Le temps pluvieux a diminué. Tous les arbres, on les coupe et je vous avoue que ça, c’est inquiétant. Mais bon, Dieu merci que nous sommes en contact, à la fois, avec la chambre nationale d’agriculture et le ministère de l’agriculture pour remédier à beaucoup de choses et je pense qu’on y arrivera, petit à petit.
Guinéenews : je me souviens qu’en 2017, il y a eu un problème au Fouta, avec le ‘’Mildiou’’. Est-ce que cette maladie est toujours présente dans la région ou bien elle est maîtrisée ?
El hadj Moussa Para : totalement maîtrisée, non ! Mais, on a des produits pour la traiter. On voulait éviter d’en arriver là. Mais, chacun a importé des semences comme il a voulu et c’est dans ce désordre que certains producteurs de pomme de terre ont importé le Mildiou en Guinée. Et maintenant le Mildiou est rentré. Il ne va pas quitter, malheureusement. Une fois que la maladie rentre, elle ne sort pas.
Guinéenews : mais on arrive à y faire face, avec les produits ?
El hadj Moussa Para : avec les produits on arrive à gérer. On gère pour le moment. Mais il faut qu’on fasse très attention pour ne pas importer d’autres maladies pour infester les sols parce qu’une fois que c’est rentré ça ne sort pas. C’est des maladies de quarantaine. Avec le Mildiou, on peut traiter aujourd’hui. Après, la maladie mute pour autre chose. Regarder la cercosporiose de l’oranger. Aujourd’hui, il n’y a presque pas d’orange au Fouta. C’est grave. Mais, la faute à qui ? A nous ! C’est-à-dire que n’importe qui, peut faire ce qu’il veut. Quand tu dis de ne pas faire, il ne t’écoute pas. Donc, cela ne marche pas. C’est pour cela qu’au niveau de la fédération, on essaie de s’organiser pour mieux gérer, pour ne pas avoir des problèmes, pour ne pas faire rentrer des maladies avec nos semences, avec nos produits… Maintenant, si les autres aussi essaient de faire comme nous, je pense qu’on pourra gérer plus facilement, les problèmes liés à notre activité.
Guinéenews : pour finir, en tant que spécialiste du domaine agricole, quels conseils donnerez-vous à l’endroit des producteurs, qu’ils soient ou non, affiliés à votre fédération, la FPFD ?
El hadj Moussa Para : le conseil que je voudrais donner, s’adresse à la fois aux producteurs dans l’ensemble, mais aussi à vous, les journalistes. Il faut savoir, que le fait d’adhérer à une organisation ne signifie pas aimer ou ne pas aimer, telle ou telle personne. C’est pour que l’agriculture qu’elle soit mieux organisée, qu’elle marche, du mieux qu’on souhaite. Pour l’autosuffisance alimentaire qui reste l’un des principaux objectifs, pour notre pays.
Mieux que ça, il faut leur dire de sortir très tôt. Les gens sortent trop tard. Trop tard, il n’y a pas d’eau dans les cours d’eau. Trop tard, la fraîcheur est partie, la production est réduite. Trop tard tu arrives sur le marché, la production n’est pas là ; tu veux vendre plus cher …
Donc, il faut que les gens sortent très tôt. Il faut qu’ils prennent soin des cours d’eau et que les pluies qui tombent ne se retrouvent pas le lendemain dans l’océan atlantique, parce que sinon, demain et après-demain, on ne pourra pas produire. L’État ne peut pas tout faire. Il faut aussi qu’on se retrousse les manches pour avancer un peu, parce que sinon, demain l’agriculture sera à côté.
Je vous donne un exemple : de nos jours, beaucoup de produits viennent du Sénégal pour la Guinée. Ce qui n’est pas normal, parce qu’on considère que c’est un pays qui n’a pas beaucoup d’eau, alors que chez nous, il pleut plus abondamment que là-bas et on est incapable d’avoir les produits agricoles qu’on doit consommer, au quotidien.
Si aujourd’hui, au niveau de la fédération, on a réussi quelque chose avec la pomme de terre il faut que les gens s’organisent à leur tour, pour faire autre chose de plus, pour qu’eux aussi, ils réussissent. Mais, pour ça, il faut bien regarder les semences, les produits phytosanitaires, les engrais, le composte et bien travailler le sol.
Guinéenews : donc, accentuer la vigilance, en plus de s’encourager à produire ?
El hadj Moussa Para : oui, parce que si on ne travaille pas bien, tant pis pour nous. Vous voyez bien comment les gens essaient de sortir pour partir en Europe. Ce n’est pas la solution. Pour partir en Amérique, au Sénégal, en Côte d’ivoire ou partout ailleurs, ce n’est pas la solution. En un mot, il faut qu’on encourage les jeunes ; quand je dis jeune c’est à la fois les femmes et les hommes, pour qu’ils restent dans le pays et que chacun se mette à travailler. Pas à travailler dans les cafés. Les jeux de hasard, c’est bien, mais écoutez : si on s’occupe à faire un champ d’aubergine, ne serait-ce que ça, je pense que c’est dix mille fois meilleur. Mais tu retrouves des gens assis au café toute la journée. Est-ce que c’est la solution ? Je pense que non. Je ne les attaque pas ; tu peux aller travailler toute la matinée jusqu’à 13 heures-14 heures et revenir blaguer. C’est normal. Mais il faut qu’on mette les gens au boulot, qu’on les y mette franchement, parce que, sinon, on est mal barré. On va dire, c’est la faute au gouverneur, c’est la faute au ministre, c’est la faute au président… Toujours, c’est la faute à l’autre, alors que la faute est de toi-même, c’est la faute à nous tous.
Donc, il faut qu’on se lève ensemble, pour mieux travailler. Pour que notre pays puisse rêver de nourrir les pays du Sahel et même au-delà. Mais aujourd’hui, je vous dis, c’est vraiment regrettable, ce qui se passe dans notre domaine d’activités.
Propos recueillis par Alaidhy Sow, de retour de Timbi Madina, pour Guineenews.org