Auteur : Kabinet Fofana, politologue, chroniqueur de Guinéenews©
En l’espace de quelques jours, la Guinée a beaucoup perdu. On a perdu un jeune intellectuel, de manière barbare, qui incarnait l’excellence de la formation guinéenne et représentait l’avenir du pays. On a perdu probablement le chanteur le plus doué de sa génération, Kerfalla Kanté, dont la mélodie et le timbre de voix ne laissaient personne insensible. Et aujourd’hui, on vient de perdre un grand commis de l’État, en la personne de Maître Kélèfa Sall, ancien président de la cour constitutionnelle. Les hommages sont unanimes, ils devraient l’être et le rester car les défunts les méritent largement. Sauf qu’en Guinée, peut-être plus qu’ailleurs actuellement, la politique politicienne, poussant toutes les limites de la bienséance et de la morale, pollue ces moments de communion nationale. C’est triste et désolant !
Aussi bien que ceux qui ont polémiqué sur le prétendu engagement politique à l’Union des Forces Démocratiques de Guinée (UFDG) du Dr Mamoudou Barry, à peine arraché à notre affection, que ceux qui, aujourd’hui, se précipitent à gloser sur les raisons du décès de Me Sall qu’ils imputent plus ou moins clairement au pouvoir en place et spéculent même sur les prochaines obsèques de l’ancien président de la cour constitutionnelle. Tous se doivent de garder raison et laisser la famille du défunt faire son deuil dans la dignité et la tranquillité.
Monsieur Sall, devrait-on le rappeler, à l’investiture du président de la République, lui avait fait l’invite de ne point succomber « aux sirènes révisionnistes ». Il est fort à parier que l’opinion publique ne retienne finalement que cette injonction qui est brandie comme étant le principal motif de sa révocation alors même qu’il y a eu une désapprobation par vote, me semble t-il, de ses pairs. Bref. Quoi qu’il en fut, comment peut-on assimiler à de la démagogie des hommages que l’État à travers ses représentants temporaires, organiserait pour services rendus à la Nation ? Pis, comment pour des raisons de manoeuvres politiciennes peut-on aller jusqu’à attribuer la mort de Me Sall à un quelconque dissensus avec le pouvoir en place et comme si cela ne suffisait pas, comment ose-t-on demander à la famille de refuser des obsèques nationales sous prétexte que Me Sall était en conflit ouvert avec le président de la République ?
Au-delà de la manipulation politique, de telles attitudes confinent à une certaine inculture des mœurs républicaines. C’est ignorer tout de la dimension mémorielle de l’État. Autrement dit, quid de la pérennité de l’État et de sa dissociation de la personne d’un quelconque responsable politique fut-il le président de la République ?
A l’aune de la continuité et du caractère impersonnel de l’Etat, on ne devrait confondre l’Etat aux conjonctures politiques. C’est une tradition républicaine que l’État rende hommage à une telle figure en raison des hautes responsabilités qu’il a eues. Le Panthéon en France abrite de grandes figures qui ont remarquablement marqué la marche de cette Nation et ce, même quand elles n’ont pas été en phase avec la politique générale qui prévalait alors. Peu importe donc la prétendue divergence du regretté Sall avec le président de la République en lien dit-on, avec son discours appelant celui-ci à s’astreindre au respect scrupuleux des dispositions de la constitution.
A contrario, on devrait plutôt fustiger le gouvernement qui n’organiserait pas de dignes obsèques en l’honneur d’un ancien président de la cour constitutionnelle. Même le simple fait qu’il ait été jusqu’à son dernier souffle juge à la même cour et qu’il ait été le premier président de la cour constitutionnelle, suffisent pour qu’il soit drapé des couleurs de la Nation et qu’on lui chante l’hymne à son honneur. Il mériterait qu’on lui déclame le « douga« en l’honneur des grands hommes. Ne dit-on pas « aux grands hommes, la patrie reconnaissante » ?