Valéry René Marie Georges Giscard d’Estaing né le 2 février 1926 à Coblence (Allemagne) est décédé mercredi 2 décembre à l’âge de 94 ans, entouré de sa famille, dans sa propriété d’Authon dans le Loir-et-Cher.
L’ancien président français avait été hospitalisé à plusieurs reprises ces derniers mois, en raison de problèmes cardiaques. « Son état de santé s’était dégradé et il est décédé des suites du Covid-19« , a écrit sa famille dans un communiqué transmis à l’Agence France-Presse (AFP).
Valéry Giscard d’Estaing, dit « VGE » ou « Giscard », polytechnicien et énarque, avait décroché un double bac philosophie et mathématiques à 15 ans, et restera avant tout dans les mémoires comme le plus jeune président de la République, jusqu’à Emmanuel Macron. Il fut le troisième Président de la Ve République, élu en 1974 pour les Républicains Indépendants, face à François Mitterrand. Une image de jeunesse et de modernité écornée au fil de son septennat.
En Guinée, on garde toujours les souvenirs d’un homme dont la visite a occasionné la « rupture de l’ostracisme français contre la Guinée ».
En 1978, plus précisément du 22 au 25 novembre, le président français Valéry Giscard d’Estaing, a effectué une visite officielle en République Populaire Révolutionnaire de Guinée, dirigée de main de fer, par feu Ahmed Sékou Touré. Cette visite historique concoctée et minutieusement préparée par l’Ambassadeur français d’alors, André Lewin, a été le déclencheur de la normalisation des relations entre la France et la Guinée d’une part, mais aussi la réconciliation du Président Sékou Touré avec le président Sénégalais, Léopold Sédar Senghor et le président Ivoirien Félix Houphouët Boigny, d’autre part.
« C’est…. à propos de la Guinée que j’ai été le plus impliqué, depuis 1974 jusqu’à une période toute récente. Après avoir, dans le cadre d’une tournée de l’Afrique de l’Ouest, accompagné le secrétaire général de l’ONU en Guinée en mars 1974, j’ai été chargé de m’entremettre d’abord pour la libération d’un détenu politique de l’Allemagne fédérale, qui portait le nom, assez symbolique pour un Allemand, d’Adolf Marx, arrêté en 1970 après la tentative de débarquement portugais à Conakry ; en trois mois d’allers et retours entre Bonn, New York et Conakry, j’ai pu le faire libérer… Voyant ce résultat, Valéry Giscard d’Estaing, alerté par Louis de Guiringaud, notre représentant permanent à New York et futur ministre des Affaires étrangères, a pensé que je pouvais obtenir un résultat similaire pour faire libérer la vingtaine de Français détenus depuis quatre ans au sinistre camp Boiro de Conakry, et rétablir des relations diplomatiques normales entre la Guinée et la France, détériorées ou interrompues depuis le « non » de Sékou Touré et du peuple guinéen au référendum du 28 septembre 1958 proposé par le général de Gaulle. Au prix de péripéties sur lesquelles je reviendrai, la normalisation et la libération des Français furent obtenues le 14 juillet 1975, date symbolique choisie par Sékou Touré au nom de la Révolution guinéenne ! Quelques mois plus tard, j’étais nommé ambassadeur de France en Guinée.
Pour faciliter la visite officielle dans ce pays de Giscard d’Estaing, qui marquerait en 1978 la vraie rupture avec l’ostracisme manifesté pendant près de vingt ans par la France officielle envers la Guinée de Sékou Touré, il valait mieux que ce dernier se réconcilie pour de bon avec ses voisins Senghor et Houphouët-Boigny. D’autres leaders africains, comme le Libérien Tolbert et le Togolais Éyadéma, s’y employèrent de leur côté, mais je fis tout ce que je pus de mon côté, avec le concours de mes collègues Raphaël-Leygues à Abidjan et Wibaux à Dakar, pour convaincre les leaders sénégalais et ivoirien de la possibilité d’une réconciliation après des années d’injures, de soupçons et de ruptures. Je fus même prié à deux reprises par Senghor de venir le voir à Dakar, pour en quelque sorte lui expliquer comment je m’y étais pris avec Sékou Touré. Et, bien entendu, il m’avait également fallu persuader Sékou Touré que le chemin d’une réconciliation complète avec Paris passait également par Dakar et Abidjan. Finalement, ce fut en mars 1978 la réconciliation de Monrovia. Il n’y eut plus aucune ombre entre les trois leaders à partir de là, et Giscard d’Estaing put sans réticences venir en Guinée quelques mois plus tard… »
A Conakry, le président français prononce un discours émouvant qui sonne l’heure de la réconciliation :
« … M. le Président, une rencontre, c’est toujours émouvant et c’est beaucoup plus émouvant lorsqu’elle se produit vingt ans après `1958 ` date ` l’indépendance. Monsieur le Président de la République, le temps passe vite. En vous écoutant tout à l’heure, je me disais mais la réconciliation, c’est déjà hier ! Et le problème pour nous c’est de donner un contenu, une densité aux nouvelles relations que nous avons voulu établir entre nos deux peuples. Le communique qui a été lu tout à l’heure décrit à mon avis de façon excellente ce que doit être le contenu de ces relations. Et donc je ne rentrerai pas dans le détail de chaque rubrique. Je fais simplement à mon tour, après vous, quelques commentaires. D’abord sur-le-plan des relations bilatérales, j’ai toujours pensé que les relations bilatérales entre tous les états, mais en particulier entre les états qui pratiquent la coopération, que ces relations devaient être marquées très fortement d’un sceau égalitaire. Pas plus que les individus ne l’acceptent dans le monde moderne, pas plus les Etats, quel que soit leur type de développement ou d’organisation sociale, ne peuvent admettre à l’heure actuelle l’inégalité dans les relations et c’est pourquoi je considère que nos relations doivent être fondées sur un principe d’égalité et vous y avez ajouté un autre principe qui est celui de la réciprocité des intérêts, non pas des intérêts au sens le plus sordide, mais je veux dire des intérêts dans l’action qui est conduite de part et d’autre. Lorsque nous déciderons de choses à faire ensemble, nous devrons prendre en considération non seulement notre propre intérêt, mais aussi et chaque fois l’intérêt de l’autre et c’est ainsi que je souhaite que se développe entre nous un certain nombre d’actions… Dans environ deux mois que doivent s’ouvrir les négociations portant sur les différentes conventions que nous devons établir en premier. D’autre part, nos ministres ont déjà étudié un certain nombre de secteurs dans lesquels pourront se développer dans un bref délai et je vous dirai même à très bref délai une coopération utile pour les deux pays. Si bien que derrière notre rencontre, Monsieur le Président de la République, il y aura le suivi des faits et à la fois sur le plan des accords et sur le plan des décisions, cette coopération sera rapidement vivante
… Monsieur le Président de la République, voici donc une étape franchie et il y en aura une autre, ce sera à votre tour, votre rencontre avec le peuple français. Je souhaite que vous le sentiez après vingt ans d’absence et donc les couleurs riantes que la jeunesse doit donner à vos souvenirs… »
C’était ainsi parti pour la normalisation des relations franco-guinéennes après vingt ans de brouille. Cette visite de trois jours est encore dans les mémoires comme celle qui a montré le chemin de la réconciliation entre la France et la Guinée.