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Echec de la gestion de la crise migratoire en Guinée : autorités et parents des migrants se rejettent la responsabilité

Selon les différents rapports reçus des ONG, depuis 2014, plus de 7 000 personnes sont mortes en Méditerranée centrale en tentant de rejoindre l’Italie, faisant de cette route vers l’Europe l’une des plus meurtrières au monde. On en sait cependant beaucoup moins sur ceux qui sont morts avant même d’atteindre la mer, en traversant le désert sans fin du Ténéré, au cœur du Sahara.

Depuis donc des décennies, il ne se passe un jour sans que des centaines de jeunes guinéens ne s’engagent sur la route de l’immigration illégale. Poussés par le rêve et des ambitions, ils abandonnent tout derrière eux et empruntent des routes illégales et dangereuses pour se rendre en Occident. Un voyage périlleux au cours duquel ils subissent les pires des horreurs jusqu’à laisser leur vie. Face à cet enfer du désert qui dévore chaque jour les jeunes, les parents et les autorités restent indifférents.

De la vallée du Tillessi aux grottes d’Adrar d’Iforas, au nord du Mali, d’Agadez, au désert sans fin du Ténéré en passant sur le Plateau de Tchigai au Niger, portes d’entrée de nombreux migrants qui tentent de rejoindre la Libye pour traverser la Méditerranée vers l’Italie, on estime entre 90.000 à 200.000 personnes qui traversent cette zone désertique hostile et aride au nord-est du Niger. Avec l’espoir bien sûr d’atteindre l’Europe. La plupart d’entre eux sont de jeunes, originaires de l’Afrique au sud du Sahara dont beaucoup de jeunes guinéens.

Rappelons que ces zones tristes accueillent des milliers de migrants qui attendent pendant des semaines voire des mois avant de pouvoir monter (pour ceux qui échappent à la mort) dans le prochain pick-up ou camion en route vers la frontière libyenne et poursuivre leur voyage.

Les saisissants témoignages d’un rescapé des déserts du Ténéré, d’Agadez

Revenu de l’enfer du désert, Tidiane, un jeune vendeur de véhicules à Kaloum, raconte son calvaire et la galère de ces compatriotes guinéens dont beaucoup ont péri au cours de la traversée de cette zone dangereuse d’Afrique du Nord : « j’ai quitté le pays courant décembre 2017 pour Bamako, au Mali sur les conseils d’un ami qui lui aussi était prêt pour le voyage. Je travaillais dans l’un des parcs autos à la corniche du quartier Téménétaye, dans la commune de Kaloum. Après la vente d’une voiture, j’ai gardé l’argent par devers moi sans fait le compte rendu à mes patrons ni à mes parents. Parce que je nourrissais le désir de quitter la Guinée pour aller à l’aventure. C’est ainsi qu’un soir, j’ai pris la voiture pour Bamako d’où après un bref séjour, mon ami et moi sommes embarqués pour Nouadhibou en Mauritanie. Dans cette ville portuaire de la Mauritanie, nous n’avons pas pu trouver l’occasion pour nous rendre à Tetouan, au Maroc afin d’atteindre le Delta de Gibraltar, passage préféré de plusieurs migrants. On va alors rebrousser chemin pour braver cette fois-ci le désert du Niger. Nous voilà donc à Agadez. Quelle ne fut pas notre surprise de rencontrer dans cette ville un nombre important de jeunes guinéens dont l’âge varie entre 15 à 30 ans ! Tous attendaient, prêts, les pick-up et autres camions pour le voyage. D’autres attendaient que leurs familles leur fassent parvenir de l’argent pour négocier une place dans la pick-up pour la deuxième étape du voyage qui conduit à la frontière libyenne. Mais que de conditions difficiles ! Entassés comme des chèvres dans une pièce exiguë, chacun caressait le secret espoir de quitter la ville pour les côtes libyennes », dira Tidiane que nous rencontré en famille au quartier Yimbaya, dans la commune de Matoto.

Selon ce rescapé du désert, une fois arrivé à Agadez, il faut se cacher, s’enfermer dans les taudis sales sans issue. « Plusieurs personnes sont obligées de partager un plat. Il faut se coucher à même le sol. Certains passaient les nuits à la belle étoile à cause de la chaleur et du manque d’air », soutient le jeune aventurier, avant de continuer : « tous les premiers jours de la semaine, les camions partent pour la Libye. Ils quittent la ville, tous feux éteints et s’enfoncent dans le désert à pleine vitesse. Les passeurs ne donnent ni nourriture ni eau aux migrants, qui doivent veiller à ne pas s’endormir pour ne pas tomber des camions surchargés et mourir Nous savions que c’était risqué, nous avions vu les informations à la télévision sur les morts en Méditerranée, l’instabilité et le manque de travail en Libye. Mais beaucoup de gens y sont arrivés et cela nous avait donné de l’espoir »

Le pauvre ! Il va s’engager, lui et son compagnon, sur la route incertaine du désert, et connaitre, quelques heures après leur embarquement, un drame qu’il n’oubliera jamais. «… Au moment où on parcourait le désert de Ténéré, Notre pick-up fut pris à partie par un convoi de trafiquants (des Jihadistes, ndlr). Panique ! Le chauffeur nous abandonne dans le véhicule et prend la fuite. C’était la débandade. Mais aller où dans le désert ?  Les trafiquants récupèrent alors le pick-up et disparaissent. C’était le début de notre calvaire. On s’engage désespérément à continuer à pieds. C’était difficile et douloureux dans le désert. La faim, la soif et la fatigue eurent raison du groupe. A chaque kilomètre, on abandonnait ceux qui étaient fatigués. Ils mourraient sur place. Je revois encore les images. Mon compagnon, mon frère, mon ami Ali ne pouvant plus marcher ni parler, a rendu l’âme dans mes bras. Plus de 20 personnes du convoi sont mortes et les corps abandonnés dans le sable chaud. C’est terrible ce qui se passe dans cette partie d’Afrique. Après un jour de marche, nous sommes tombés sur les militaires Tchadiens (de la mission Onusienne) qui patrouillaient sur les lieux. Ils nous ont récupérés et nous ont sauvés. Escortés jusqu’à Tombouctou, on a regagné après Bamako où on a été pris en charge par une ONG. Mais, il faut retenir que beaucoup de nos frères périssent dans le désert en Afrique du Nord. Que les parents et nos autorités ouvrent les yeux de ce côté. Sinon, c’est un véritable drame humain devant lequel tout le monde reste indifférent », conseille le jeune Tidiane qui promet de dissuader ses amis qui caressent le désir de prendre le chemin de l’immigration illégale.

L’indifférence des autorités

Les médias guinéens et surtout étrangers racontent régulièrement l’horreur de l’émigration irrégulière et renvoient les visages juvéniles de ces milliers de jeunes guinéens engloutis dans l’Atlantique et la Méditerranée sur le chemin d’un espoir vers un avenir meilleur qu’ils ont cultivés en eux. Mais hélas ! Cette réalité que vivent les familles guinéennes au quotidien, est reléguée au second plan par les autorités. La douleur se fait encore plus sentir quand certains politiques imputent les drames aux familles des victimes. Cette réaction évidemment aggrave la colère de l’opinion publique, qui perçoit cette posture comme une manœuvre visant à se dédouaner et à se décharger de toute responsabilité : « il n’y a jamais de réaction. Le mutisme du président Alpha Condé et de son gouvernement est frappant, d’autant qu’ils se servent très souvent des réseaux sociaux pour communiquer sur différents sujets. Le Chef de l’Etat est souvent présent pour des drames à l’étranger, mais rarement quand cela arrive dans son pays », fustige El hadj Saliou Diallo, père d’une victime. Et le vieil homme n’a pas manqué de rappeler que le président de la République, lors de ces différentes campagnes sur le terrain, avait fait la promesse de créer plus d’un million d’emplois.

L’histoire de ce jeune homme qui a vu ces frères guinéens mourir de faim et de soif dans le désert sans fin de Ténéré, au Niger, est émouvant. Son compagnon mort dans le désert et dont le corps a été abandonné sur le sable, rêvait de rejoindre l’Italie afin d’atteindre son rêve d’avoir de l’argent pour aider sa mère et ses frères. Assoiffé, affamé et épuisé sous un soleil d’aplomb, il n’est pas arrivé au bout d’un voyage qu’il avait secrètement organisé, sans avertir ses parents.

Pour Aïssatou Soumah, enseignante à l’école primaire de Madina-SIG, la douleur est immense de voir de nombreux candidats à l’exil. « Les jeunes n’ont plus de perspectives d’avenir. Ils n’ont plus de visibilité sur leur futur et ne croient plus dans leurs chances de réussir au pays », déplore-t-elle.

Du côté des autorités, on soutient que des efforts ont été faits et continus d’être faits sur le terrain. Ainsi, au ministre de la jeunesse et Emploi Jeunes, On nous apprend que des caravanes et autres rencontres ont été organisés à travers le pays. Les jeunes seraient informés des risques de l’immigration clandestine.

« Face à la mobilisation et aux répercussions de cette migration sur la société, c’est essentiel de continuer à agir. On va d’ailleurs prendre d’autres initiatives. J’ai été contacté par l’Organisation internationale des migrations pour réfléchir à l’après », a promis un responsable de la direction de l’Emploi Jeune.

En somme, on s’accuse mutuellement dans la gestion de la crise migratoire. Les gouvernants pensent que les parents des migrants sont complices du départ de leurs enfants. On soutient de ce côté que ce sont les parents qui organisent eux-mêmes les voyages. Quant au parents des candidats au départ et des victimes, ils pensent que les autorités ne font pas assez pour « freiner l’hémorragie » et aller au secours des jeunes en détresse au Niger, en Mauritanie et dans la Méditerranée.

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