La coton-culture fait partie des filières où l’arrivée au pouvoir d’Alpha Condé en 2010 a suscité beaucoup d’espoir. Surtout avec les promesses et autres déclarations de bonnes intentions à l’endroit des acteurs du secteur agricole. Mais dix ans après, on est loin du compte. Et pour ne rien augurer de bon, le sujet est devenu tabou chez certains dirigeants.
Il est quasi-impossible de trouver un interlocuteur parmi les officiels guinéens pour aborder le sujet de la préoccupante filière du coton. Toutes les tentatives auprès des responsables du projet à Kankan se sont soldées par un échec. Les quelques rares voix qu’on a pu entendre ces dernières années, sont restées dans l’ombre.
Au micro de Guineenews il y a quelques années à Kankan, un technicien du projet, sous le sceau de l’anonymat, suggérait que c’est «plus de volonté politique des gouvernants qui permettra à la filière coton de Guinée, de disposer de fonds nécessaires à son développement et surtout rassurer les paysans qui malgré toutes ces péripéties, sont engagés à poursuivre l’aventure de la coton-culture ».
Cela dit, pour notre source en ces temps, «le plus urgent, (c’était) l’enlèvement de plus de 2 000 tonnes de coton-graines représentants la récolte de la dernière campagne des mains des producteurs et l’envoi de 200 tonnes d’engrais NPK SB pour les 500 hectares de superficies cultivées au compte de la campagne en cours ».
Guineenews avait tiré la sonnette d’alarme
Mais en remontant l’histoire du projet, cette triste réalité était tout sauf inattendue. Déjà, Guineenews tirait la sonnette d’alarme dans une de ses publications titrée «Le projet coton de Kankan: Est-ce le début de la fin de cet autre projet budgétivore?». Malheureusement, rien n’a été fait pour éviter cette mort programmée de ce secteur pourtant pourvoyeur d’emploi et de ressources pour l’Etat et les opérateurs privés. Alors que «l’extrême vétusté de l’usine d’égrenage, les mauvaises conditions de conservation du coton et l’amateurisme manifeste dans la gestion de cette autre filière agricole», avaient été déjà signalés par une source anonyme.
Notre interlocuteur déplorait le fait que «la pluie a détruit 150 tonnes de coton graines et au moins 200 balles de fibre de coton». Ajoutant que « sur les 12 000 tonnes de coton graines produites pour l’année 2015, près de 600 tonnes attendaient encore d’être acheminées à l’usine de Kankan ».
D’où «une dégringolade en cours » qui risquait de s’empirer car, expliquait-il, « pour une prévision de 17 000 hectares au compte de la campagne 2016, seulement 10 500 hectares ont été mis en valeur», avait renchérit notre interlocuteur».
Cela, «malgré donc les milliards de francs guinéens que le gouvernement débloque chaque année (71 milliards en 2015) en faveur du Projet de Développement de la Filière Coton en Guinée (PDFCG) et le versement au prestataire technique Français Géo Coton de la somme d’un million d’Euro par campagne », dénonçaient les observateurs. Et de prévenir, «qu’à cette allure, le cap des 25 000 hectares projetés à l’échéance 2017 qui aboutirait à la création d’une société cotonnière mixte avec Géo Coton ne serait pas pour demain ».
Au-delà des déclarations de bonnes intentions
Une sorte de prémonition qui tend à devenir réalité, malgré les déclarations de bonnes intentions. En dépit du démenti apporté par le Directeur Général Adjoint du Projet de Développement de la Filière Coton en Guinée (PDFCG), en réaction à l’article de Guineenews d’alors. Même si dans l’interview, Bakari Kaba reconnaissait que «la campagne 2015-2016 a été émaillée de difficultés dans l’égrenage dues à la vétusté de l’usine ». Et que «le succès de la campagne 2015-2016 avec une production qui est montée à 12 581 tonnes de coton graine contre 5322 tonnes en 2014-2015 a dévoilé la limite de cette usine qui, dans son état actuel, ne peut pas passer le cap des 10 000 tonnes». Remerciant de passage le président Condé dont «le décret créant le Projet de Développement de la Filière Coton en Guinée (PDFCG) avec un contrat d’assistance technique de Géo Coton », a permis «la réalisation de 6 campagnes cotonnières y compris celle de 2016-2017 que nous avons entamé en Mai dernier…».
À lire aussi
Dans la même logique, il annonce que «pour ne pas décourager nos producteurs, nous avons pris la responsabilité de poursuivre la campagne d’égrenage jusqu’en fin Août, malgré la saison des pluies pour égrener le maximum de coton possible ». Précisant que «sur les 12 581 Tonnes de coton, nous avons réussi à égrener 11 700 tonnes de coton graine et obtenu 4 600 tonnes de fibre. Les 800 tonnes restants bien que entièrement payées aux producteurs sont gardés pour la prochaine campagne».
Très confiant quant à l’avenir du projet, M. Kaba rassurait que «tous les intrants destinés à cette campagne sont arrivés à temps auprès des producteurs », dans le cadre de la mise en œuvre des activités pour l’année 2016-2017 alors en cours.
Mais concède-t-il, «nous avons légèrement revu à la baisse nos prévisions à cause des soucis qu’on a eus cette année, avec notre usine d’égrenage ». Et d’expliquer que c’est pourquoi au lieu de 17 000 Hectares, nous misons désormais sur 10 500 Hectares avec une production estimée à 10 000 tonnes de coton graine et reprendre notre progression dès la prochaine campagne».
Une situation qui devait tout de même s’améliorer sans délai, à en croire le DGA qui informe que «depuis le 20 septembre 2016, la révision de l’usine a commencée …», «dans le cadre de l’assistance technique de Géo Coton », en vue de « la révision et la réhabilitation de l’usine». Puis, d’annoncer que «grâce à la sollicitude du gouvernement Guinéen, des pièces de rechanges nécessaires à la révision de l’usine ont été commandées et sont sur navire pour Conakry ». Précisant avoir « donné des instructions aux techniciens pour qu’au plus tard, le 05 décembre 2016, l’usine soit fonctionnelle pour attaquer l’égrenage de la campagne 2016-2017 avec un objectif de terminer à fin avril 2017».
Dans cette perspective, Bakari Kaba, très enthousiaste, rassure que «le PDFCG se porte plutôt bien et fait la fierté du gouvernement ». Sans oublier que «les producteurs sont très motivés pour augmenter la production et les rendements et nous espérons avec l’appui du Ministère de l’Agriculture, atteindre le cap des 25 à 30 000 tonnes en 2020 », selon lui. Il annonce même la création d’une société cotonnière dans la foulée. « C’est pourquoi, explique-t-il, Mme la Ministre de l’Agriculture vient de nous autoriser à embaucher un nouveau directeur industriel ex patron d’une usine qui produisait 40 000 Tonnes du côté du Sénégal».
La montagne accouche d’une souris
Des bonnes nouvelles pour le secteur, même si «certains employés se disaient frustrés pour diverses raisons» selon nos sources. Mais dans les faits, comme la montagne accouchait d’une souris. En tout cas, les actes n’ont pas suivi. C’était le statu quo jusqu’à un passé récent. En témoigne la sortie de l’opposant Cellou Dalein Diallo sur le sujet en juillet dernier. Lors d’une des assemblées générales virtuelles de son parti, l’ancien Premier ministre du défunt président Conté fustigeait la mauvaise gestion du secteur.
«Les paysans ont aujourd’hui le coton avec eux. Ils se sont débrouillés sans aide pour cultiver et entretenir leurs champs de coton. Ils ont récolté et on ne voit personne pour acheter », dénonce-t-il. Décrivant une «détresse dans laquelle se trouve l’écrasante majorité des coton-culteurs».
Coïncidence ou pas, c’est après ce réquisitoire de Dalein que Sékoutouréa est sorti de son mutisme. Du moins, à en croire nos sources, suite au discours du président l’UFDG, Alpha Condé aurait débloqué 6 milliards pour soulager le projet. Un montant déjà arrivé au niveau du trésor à Kankan, qui servira à l’achat du coton stocké dans les mains des producteurs, précise notre interlocuteur sous anonymat.
Des informations et d’autres que nous avons essayé de vérifier sans succès auprès des autorités, notamment à Conakry. Roger Millimouno, ministre délégué à l’Agriculture joint au téléphone a avancé des excuses de maladie la première fois, avant de se retrancher derrière un mur de silence par la suite. Quant au secrétaire général, Famoï Koïvogui, réputé technicien du secteur, il invoque gentiment un principe selon lequel, il ne peut pas se prêter à nos questions sans la permission de son chef hiérarchique.
Dossier réalisé par Thierno Souleymane avec la collaboration de Amadou Timbo Barry