Quand on retrace l’évolution de l’Enseignement supérieur en République de Guinée, on peut distinguer quatre grandes périodes marquées chacune par des caractéristiques.
Ce sont la période 1962 – 1975 caractérisée par l’exigence de qualité et l’expansion contrôlée, l’étape de 1975 – 1984 marquée par la dérive démagogique et la prolifération de pseudo facultés d’agronomie, la phase 1984 – 1996 avec la quête d’une identité dans un climat de contestation et celle de 1996 – 2006 caractérisée par le renforcement de la pertinence et l’amélioration de la qualité dans une ère de l’information et de la globalisation, d’instabilité sociale, de guerres et de conflits.
En examinant plus en détails ces étapes, l’ancien ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Dr Thierno Aliou Baniré Diallo, indique, à propos de la période allant de 1962 à 1975, que dès la proclamation de l’indépendance le 2 octobre 1958, les français ont massivement quitté le pays.
« N’eût-été le concours des intellectuels africains, la Guinée aurait connu des difficultés de fonctionnement très graves. Il était, par conséquent, urgent de mettre en place un enseignement supérieur en vue de former les cadres nécessaires au développement des secteurs de l’éducation, de l’industrie naissante, de l’agriculture, de l’administration, du commerce et de la culture », fait-il remarquer.
Dans le sillage de cette époque, l’ancien président du groupe parlementaire de la Majorité présidentielle au Parlement sous la deuxième législature soutient que c’est ainsi qu’en 1962, ont été créés l’Institut Polytechnique et l’Institut Pédagogique Supérieur de Conakry avec l’aide de l’Union des Républiques Soviétiques Socialistes (URSS).
Puis, en 1963, l’Ecole Normale Supérieure de Kankan devenue plus tard Institut Polytechnique de Kankan.
Aux dires de notre interlocuteur, les structures des facultés de l’Institut Polytechnique de Conakry (IPC) étaient largement inspirées du modèle soviétique de l’époque : formation étalée sur cinq années, dont la dernière est consacrée à la rédaction et à la soutenance d’une thèse de mémoire dont le thème était souvent formulé à partir des réalités et des préoccupations du pays.
A cette époque, nous dit-il, les possibilités étant inexistantes, des recherches très fouillées sont restées inaccessibles. « Dans les facultés scientifiques et techniques, la formation des étudiants était assurée principalement par des professeurs soviétiques. Plusieurs Chefs de chaire et Doyens des facultés étaient des assistants techniques ressortissants des pays socialistes européens. Des jeunes diplômés étaient retenus pour remplacer les professeurs étrangers. Les libertés académiques étaient globalement sauvegardées », égrène le scientifique Baniré Diallo.
Hélas ! A partir de 1965, date de la rupture des relations diplomatiques avec l’ancienne métropole, la France, la pénurie de livres français dans les bibliothèques guinéennes s’aggravera progressivement. Et si pendant cette période, des cadres compétents pour les secteurs modernes de la vie économique et sociale ont été formés, Elhadj Baniré Diallo note cependant qu’il y a lieu de reconnaître quelques lacunes dans le dispositif mis en place, à savoir :
✓ La durée de contrat des professeurs étrangers étant très limitée, il était très difficile d’engager des jeunes homologues dans des travaux de recherches de longue haleine. C’est pourquoi la formation sur place de la relève par le système d’homologation s’est avérée inefficace. L’assistance est restée pendant longtemps une coopération de substitution ;
✓Le financement des activités économiques échappait largement aux autorités guinéennes qui voyaient les laboratoires fonctionner sans se demander comment ils sont approvisionnés en réactifs et autres consommables ; et,
✓ La dissémination des résultats de recherche contenus dans les mémoires de fin d’études supérieures a été très limitée.
A côté, il y a lieu de mentionner que deux faits importants survenus au cours de cette période auront des répercussions dramatiques sur l’enseignement supérieur. A savoir :
✓ Les effets de la Révolution culturelle socialiste déclarée en 1968 se feront surtout sentir à partir de 1975 car ils ébranleront profondément le système d’enseignement supérieur à partir de 1975 et réduiront presqu’à néant les acquis de cette première période. Déjà, à partir de 1974, les étudiants commencent à jouer un rôle déterminant dans les conseils d’administration des établissements.
✓L’agression du 22 novembre 1970 a accentué la pression policière. La Révolution globale et multiforme aura un impact sur la désorganisation du tissu académique partir de 1975.
1975–1984 : dérive démagogique et prolifération de pseudo-facultés d’agronomie
A cette époque, nous apprend-on, des slogans de la Révolution Culturelle Socialiste comme ‘‘La science, la technique et la technologie au peuple’’ ont reçu un écho très favorable dans les milieux militants et opportunistes de l’éducation nationale. C’est ainsi qu’en 1975, tous les étudiants se verront envoyés à la campagne pour cultiver des champs à l’aide de tracteurs. L’année passée dans les villages était considérée comme période d’étude. Car, par un système de télé-enseignement, les étudiants recevaient des brochures contenant leurs cours.
A la fin de 1975, l’emprise des structures du Parti Démocratique de Guinée sur l’ensemble de la vie nationale deviendra si forte que les décisions essentielles concernant le développement de l’enseignement supérieur vont être prises non pas dans les cabinets ministériels, mais dans les instances du Parti, notamment les Congrès et Conseils Nationaux de la Révolution.
« A l’époque, enseigne l’ancien ministre de l’Enseignement supérieur, on pensait que pour développer le monde rural, il suffisait d’y injecter des agronomes, des contrôleurs de travaux agricoles et de mobiliser les paysans dans des brigades attelées ou motorisées de production. Pour réaliser ce vaste programme, de nombreuses écoles professionnelles furent transformées en facultés d’agronomie dès la rentrée 1975-1976 ».
Un phénomène qui, de l’avis du Dr Baniré Diallo, s’est davantage amplifié en 1978, où on dénombrait une faculté d’Agronomie par préfecture presque. L’enseignement supérieur s’éclate pour se subdiviser en deux degrés, dont chacun a une finalité professionnelle, le premier devant en même temps préparer les meilleurs étudiants à poursuivre leur formation dans le second.
La production agricole, marginale durant la première période, occupe désormais plus du tiers de temps de formation dans les facultés d’agronomie. Les étudiants, utilisés comme main d’œuvre des canaux d’irrigation, surveillent les champs. Une partie de leur production agricole est consommée dans les internats, et l’autre, vendue au profit de l’établissement.
Les facultés elles-mêmes étaient abritées par des hangars transformés hâtivement en salle de classes et dortoirs. Les laboratoires et bibliothèques presque partout inexistants.
Le corps professoral était constitué de jeunes diplômés et parfois même d’étudiants stagiaires préparant leur mémoire de diplôme de fin d’études supérieures. Le recrutement des facultés de premier degré s’effectuait à la suite d’un concours d’orientation ouvert à tous les bacheliers. Les résultats étaient proclamés en tenant compte des quotas de places par option attribués à chaque préfecture.
Le trafic d’influence et la corruption se généralisant, ce sont surtout les étudiants d’origine modeste qui se retrouvaient dans les facultés d’Agronomie. Le plan d’études voit apparaître à côté des disciplines de spécialité, les matières comme idéologie, langues nationales, production et valeur sociale. Comme les trois dernières étaient pratiquement notées par les étudiants commissaires de classes, le passage en classe supérieure était quasi automatique. Cette intrusion des étudiants dans l’évaluation de leurs pairs a porté un coup dur à l’enseignement supérieur.
Avec cette légèreté dans les examens, les effectifs des étudiants s’accroissent rapidement pour atteindre en 1978, 21.000, dont 12.000 sont en Agronomie soit 57 %. Rappelons qu’en 1968, la Guinée comptait moins de 700 étudiants dans ses deux établissements.
Cependant dès la fin des années 70, la saturation de la Fonction publique, unique employeur des diplômés, commençait à se faire sentir. Une étude réalisée en 1980 par l’UNESCO a révélé l’ampleur du désastre. Une politique d’admission un peu plus rigoureuse a permis de réduire les effectifs de moitié entre 1983 et 1984.
Cette chute du nombre d’étudiants se poursuivra jusqu’au début des années 1990.
Ainsi, durant cette période, la Guinée a développé un modèle singulier d’enseignement supérieur réalisé dans des entités pratiquement isolées les unes des autres.
1984-1994 Quête d’une identité dans un climat de contestation.
Arrivé au pouvoir le 3 avril 1984, le Comité Militaire de Redressement National a organisé en mai une Conférence nationale sur l’Education. A l’occasion de ce forum auquel ont participé les intellectuels guinéens naguère exilés, de larges débats sont menés, des questions touchant tous les secteurs de l’éducation sont débattues dans une atmosphère enthousiaste.
Au niveau de l’Enseignement supérieur, après un diagnostic sévère de la situation existante, la conférence recommandera entre autres : la suppression de la division en deux degrés de l’enseignement supérieur, l’extinction rapide des établissements d’Agronomie à l’exception de l’Institut de Faranah, la suppression du recrutement dans la filière agronomique et la promotion de la coopération internationale.
Toutefois, des questions relatives à la classification des missions des établissements d’enseignement supérieur, les modalités de prise de décision dans ces institutions bien que largement discutées dans les travaux de commissions, n’ont pas fait l’objet de recommandations constructives. Dès lors, une anarchie dans la création d’options s’est développée très rapidement au sein des établissements. Trouver une classe composée d’un seul étudiant n’était pas impossible. Il était par conséquent urgent de mettre un terme à cette situation déplorable.
En 1989, le décret portant réorganisation de l’Enseignement supérieur est promulgué. Le niveau des établissements comprend deux universités et trois instituts. Il est préconisé une formation à profil large. Les emplois de l’enseignement supérieur sont catégorisés et des avantages accordés à leurs titulaires.
Malheureusement, de 1990 à 1992, les campus ont été le théâtre de nombreuses agitations. Ce qui a perturbé le processus de restructuration. Il a fallu attendre 1993 pour que les dispositions relatives à l’autonomie des institutions connaissent un début d’application.
Au cours de la période 1984 –1994, l’assistance étrangère à l’enseignement supérieur s’est diversifiée. Des projets élaborés de commun accord sont mis en œuvre, soutient notre interlocuteur qui ajoute qu’aujourd’hui, on note le développement des branches soutenues par l’aide matérielle, financière et technique de l’extérieure, la stagnation des autres branches, la faiblesse de la recherche scientifique et la pléthore des enseignants.
Partant de tout ce constat, le Pr Thierno Aliou Baniré Diallo conclut en disant que l’enseignement supérieur en République de Guinée s’est caractérisé par une série de tentatives plus ou moins réussies pour combler les déficits.
Le pays manquant de cadres qualifiés, fait-il noter, le gouvernement crée une université de type européen pour les former. « Mais la démocratisation de l’enseignement secondaire et l’attrait de la fonction publique entraînent un accroissement de la demande d’enseignement. D’où, l’insuffisance des infrastructures, des équipements, de la documentation et du personnel enseignant. Ainsi, s’aggravent les stratégies déployées pour combler les pénuries consistant à demander des subventions accrues au gouvernement et à solliciter l’appui des bailleurs de fonds étrangers. A cela, s’ajoutent les contraintes de l’ajustement structurel et la crise économique mondiale qui étalent davantage les limites de ces solutions», fait-il noter.
Par ailleurs, la saturation du marché d’emploi moderne et la dégradation de la qualité de l’enseignement entraînent un chômage massif des jeunes diplômés. Pendant ce temps, des besoins nouveaux qui émergent au niveau de la société.
Tout ceci souligne la nécessité d’explorer de nouvelles voies et de former des élites dynamiques et performantes dans leur propre culture, capables d’adapter les apports de l‘extérieur et aptes à identifier les forces et les faiblesses des communautés auxquelles elles appartiennent pour les amener à se prendre en charge de manière lucide et courageuse dans leur combat pour le développement.
Pour réussir ce challenge, il incombe impérieusement aux établissements d’enseignement supérieur de réorienter leurs structures et rendre plus efficaces leurs modes de gestion.