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Covid-19 en Guinée : dans l’univers des mendiants, les autres victimes de la pandémie

Au sein des couches vulnérables, les mendiants – qui sont en majorité des handicapés – ont vu leur situation se détériorer avec l’apparition du COVID-19. La faute surtout à la fermeture des lieux de culte, notamment les mosquées où ils affluaient en quête d’aumônes. Notre reporter a fait une immersion dans cet univers d’une des couches les plus défavorisées de notre société.

Jeudi 30 avril, aux abords de la mosquée Fayçal, entre la cour de la mosquée et le CHU de Donka, nous abordons Moussa Camara dans son tricycle. Il ne veut pas nous parler quand on se présente à lui comme étant des journalistes. Un billet de cinq mille francs guinéens est brandi, et tout change brusquement.

Après les échanges de quelques petites blagues, il est maintenant prêt à nous ouvrir  son cœur. Seulement, notre interlocuteur ne veut pas être filmé et ne veut pas non plus que sa voix soit enregistrée. Il nous orientera vers un autre mendiant assis dans le groupe, installé de l’autre côté de la rue à quelques encablures de l’hôpital Donka. Cet autre habitué des lieux se nomme Amadou Sylla.

Lui non plus ne veut pas parler à la presse. Il dit être fatigué de ces journalistes qui viennent recueillir leurs propos, alors que cela ne change nullement pas leur situation. Il faut alors l’amener à comprendre le rôle de la presse. «  Nous voulons faire connaître votre message à ceux qui sont censés ou peuvent changer votre situation », lui dit-on.

Après quelques minutes d’hésitation, il finit par être convaincu qu’il peut nous parler.

Plutôt que de demander de l’aide, il se livre plutôt à une prière en faveur du pays. Il veut que Dieu mette fin à cette épidémie. Et s’il prie pour ça, c’est parce que ça ne va pas depuis la survenue du coronavirus. « Depuis que cette épidémie est survenue, ceux qui ont l’habitude de  nous aider ne viennent plus à notre secours. Notre survie dépend de la fin de cette épidémie  », prêche-t-il en substance.

Quand les mendiants ne sont pas logés à la même enseigne

Cet autre, c’est Mohamed Cissé, aveugle, qui campe mieux la situation. « Avant le COVID-19, c’était un peu bien. Les gens venaient faire du sacrifice, ce qui nous permettait de gagner du riz, du lait, de la viande.  Avec cette maladie, durant plus de  trois semaines, on est restés sans gagner même un demi-kilogramme de riz », a-t-il dit.

« C’est avec le ramadan que nous recevons quelques morceaux de viande comme celui que vous voyez – pendant que nous y étions, en guise de sacrifice, quelqu’un est venu distribuer des morceaux de viande à quelques mendiants », a-t-il néanmoins reconnu.

Vendredi 01 mai. A la mosquée Sénégalaise de Kaloum, ce vendredi ne ressemble nullement à aucun autre pour les mendiants. Non seulement, la mosquée est fermée, mais c’est un jour férié. « Je n’espère pas avoir quelque chose aujourd’hui. Le matin, j’ai appris qu’aujourd’hui est férié et que les gens de la banlieue ne vont pas venir en Ville. D’ailleurs, c’est compliqué pour nous depuis le début de cette maladie. Nous ne vivons que des aumônes. S’il n’y a pas de prière de vendredi, il n’y a donc pas d’aumône. En tout cas pas comme avant »,  nous dit Ibrahima Bangoura, unijambiste.

Pourtant, quelques jours avant ce jeudi 30 avril, la télévision nationale rapportait une opération de distribution de kits sanitaires, ainsi que des kits alimentaires, à des religieux et mendiants. Ces dons émanaient du Premier ministre Kassory Fofana. Pourquoi les mendiants aux abords des mosquées Fayçal et Sénégalaise ne partent pas à la Cité de la Solidarité – citée construite par l’Etat pour héberger les handicapés – pour avoir leur part. D’ailleurs, nous avons constaté que plusieurs ONG et personnes de bonne volonté, y ont fait des dons.

Tous les mendiants ne sont pas logés à la même enseigne

« C’est compliqué », nous répond Mohamed Cissé. Avant de poursuivre : « nous sommes classés en plusieurs catégories. Certains sont à la Mosquée Sénégalaise, d’autres à Fayçal, à Matoto, à Madina et ainsi de suite. La Cité de la Solidarité, c’est une cité nationale. Ceux qui sont là-bas sont dans une autre catégorie. Souvent, quand il y a des dons là-bas, nous ne recevons rien. C’est par après qu’on apprend la nouvelle.»

Si Cissé ne veut pas aller à la Cité de la Solidarité, c’est parce qu’il est convaincu qu’il ne pourra rien gagner là-bas. « Il y a deux ans, j’étais là-bas. Un jour, on y a envoyé des sacs de riz. Ç’a été partagé sur la base des tickets préétablis. Il y a eu surplus, mais je peux jurer qu’ils n’ont pas pensé à nous. Ils nous ont dit que nous ne sommes pas de là-bas, nous sommes de Fayçal. Pourtant, c’est une Cité nationale », peste Mohamed Cissé.

Comme Mohamed Cissé, ils sont nombreux à la mosquée Fayçal et à la mosquée Sénégalaise qui ne veulent pas aller à la Cité de la Solidarité. Ils estiment que c’est peine perdue. « Pourquoi aller à la Cité de la Solidarité s’il n’y a pas de la place pour toi ? Tu vas t’assoir où ? Qui va s’occuper de toi ? »,  se demande Lamine Camara.

Des « bannis » du ministère de l’Action sociale

Au ministère de l’Action sociale, de la Promotion féminine et de l’Enfance, on nous précise que les mendiants ne relèvent pas du département. « Nous nous occupons des handicapés et non des mendiants. Vous conviendrez avec nous qu’être handicapé ne veut pas dire qu’on est mendiant.  En tout cas, les handicapés ne sont pas des mendiants », nous a confié un cadre de la direction nationale de l’Action sociale – il nous a donné un rendez-vous pour rencontrer son chef hiérarchique, mais nous ne rencontrerons finalement pas ce dernier, jusqu’au moment où nous publiions cet article.

Notre interlocuteur nous a fait comprendre que les handicapés qui mendient auprès des mosquées de Conakry sont généralement ceux qui refusent de travailler.

« L’Etat a proposé 10 millions de fg à chaque famille de mendiants – c’était en 2013, en prélude à la Conférence internationale des ministres des Affaires étrangères (CIMAE). Certains ont été retournés dans leurs villages. Mais ils sont revenus. Ceux qui ont voulu entreprendre ont reçu des financements. Ceux qui se sont relancés dans la mendicité après avoir reçu ces 10 millions se cachent aujourd’hui de nous quand ils nous voient », nous explique le cadre du ministère de l’Action sociale. Selon lui, la Présidence de la République a d’ailleurs confié des marchés de confection de masques communautaires à des mendiants. Ce sont ces masques qui seraient distribués gratuitement par la Présidence.

« En dépit de tout, nous sommes en période de crise sanitaire. Notre aide n’exclut donc personne. Même si nous n’avons pas apporté de kits alimentaires à ces mendiants qui sont auprès des mosquées, mais leur avons quand même  apporté des kits sanitaires », ajoute-t-il.

Il n’y a pas que les mendiants dans la galère

Les mendiants ne sont pas les seuls à souffrir des mesures de l’Etat d’urgence sanitaire. Les conseils des mosquées se sont également vu priver d’aumônes et autres dons issus de la générosité des musulmans. Mais, contrairement aux mendiants, personne ne veut prendre le risque de se faire passer pour un mauvais serviteur d’Allah.

« Il est vrai que c’est difficile, mais quelles que soient les circonstances, le croyant s’en remet à Dieu », reconnaît El Hadj Aliou Diaby, deuxième imam de la mosquée d’Almamya. « Mais, on doit savoir que les mosquées ne sont pas des sources de revenus, mais plutôt des lieux de culte. On ne doit pas faire de la mosquée une source de revenus », estime El Hadj Aliou Diaby…

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