La Société Nationale des Pétroles (SONAP) travaille inlassablement sur la construction de deux dépôts d’hydrocarbures à Moribayah, dans la préfecture de Forécariah, et à Kankan. Le gigantesque projet qui devra faire rimer « sécurité, modernité et plus de revenus pour l’Etat » prend forme. Il ne reste plus que quelques derniers réglages. Explications avec le Directeur général de la SONAP, Amadou Doumbouya, sur les enjeux de ce projet qui traduit l’ambition du président de la République, Colonel Mamadi Doumbouya, de doter la Guinée d’infrastructures modernes et économiques rentables pour le pays.
Emergence : La Société Nationale des Pétroles (SONAP) travaille depuis des mois sur un projet de délocalisation du dépôt de Conakry à Moribayah, dans la préfecture de Forécariah. Pourquoi un tel projet ?
Amadou Doumbouya : Je vous remercie. Aujourd’hui, le dépôt de Conakry est en pleine ville. Ce qui pose naturellement un problème de sécurité et de sûreté. Et quand vous prenez sa capacité, elle est petite. Ce qui fait que pratiquement, on est obligé de passer régulièrement des commandes. Qui parle de commande, parle de délai parce que la livraison ne se fait pas le lendemain. Il faut 2 ou 3 mois, voire plus, avant de recevoir le bateau et le stock commandé. Le processus prend tellement de temps que finalement, quand on n’a pas une capacité de stockage importante, on se retrouvera tous les jours à passer des commandes.
Pour éviter cela, la SONAP a pensé à une solution pérenne qui consiste à trouver un espace plus important où elle procéder à la construction d’un grand dépôt et désengorger complètement la presqu’ile de Kaloum. Parce que le stationnement des citernes en bordure de route crée souvent des embouteillages et de l’inconfort pour les citoyens.
Il y a aussi un aspect sécuritaire lié à cette situation.
Voilà autant de facteurs et bien d’autres qui expliquent la nécessité de créer un nouveau dépôt.
Si nous comprenons, il s’agit d’un projet qui ne date pas d’aujourd’hui ?
C’est un ancien projet. La question était liée à son lieu d’implantation puisqu’on hésitait entre Kamsar et Forécariah. Finalement le choix est tombé sur Moribayah, dans Forécariah pour la réalisation du dépôt.
Pourquoi le choix de Moribayah ? Quels sont les facteurs qui justifient cette option ?
Le choix de Moribayah est à la fois stratégique et technique. Kamsar étant une zone minière, avec tous les camions transporteurs de sable et de granite qui font des allers et retours sur la route Conakry-Dubréka, la circulation des camions citernes avec des produits inflammables représenterait un grand danger. Certains conducteurs peuvent circuler pendant 24h. Le risque est important et ce facteur a été analysé en amont.
II y a aussi des raisons techniques qui expliquent ce choix. Quand on prend par exemple l’option de Kamsar, cette ville est située à gauche de Conakry. Or pour accéder à l’intérieur du pays, il faut être du côté droit. Il faut passer par Coyah pour emprunter la nationale RN1.
Un camion-citerne qui charge à Kamsar et qui veut ravitailler la Moyenne Guinée, la Haute Guinée ou la Guinée Forestière est obligé de revenir sur la route nationale N°1. Vous connaissez les difficultés liées au trafic au KM36. A quelle heure ce camion qui est chargé le matin va-t-il arriver à Coyah ? A quel moment la station qui a commandé ce carburant aura son produit ?
Donc si ce camion bouge le matin et qu’il ne peut pas arriver le lendemain, cela veut dire que le produit risque d’arriver avec deux ou trois jours de retard. Dans ces conditions, la localité court une rupture de stocks.
Par contre, vous prenez Forécariah, la position permet aux camions de prendre très rapidement la RN1 à partir de Coyah sans difficultés. Forécariah – Moribayah a été aussi choisi parce qu’il est proche de Conakry.
En résumé, on a de l’espace pour avoir un dépôt d’une capacité de stockage de trois mois. Aujourd’hui, il ne s’agit pas seulement de commander des petits bateaux tous les jours.
Le dépotage se fera-t-il à Conakry ou est-ce qu’il est prévu la construction d’un port ?
Le port de Matakan, à Forécariah, servira pour le dépotage. Après le chargement des camions, ils viendront jusqu’à Coyah pour continuer en provinces. Il y a peu d’embouteillages et moins de risques.
Quelle est la nature de ce projet ? S’agit-il d’un partenariat public- privé ou d’un projet entièrement financé par l’Etat guinéen ?
Pratiquement, il y a les deux aspects. Au début, c’était un partenariat public- privé. Les marqueteurs que nous avons à savoir TotalEnergies et VIVO ont travaillé sur ce projet. Après l’avènement du CNRD le 5 septembre 2021, suivi de la création de la SONAP, il faut dire que le projet est pour le moment dans les mains de la SONAP. Mais des questions subsistent par rapport au mécanisme de financement. L’Etat qui va-t-il financer à 100% ? Les marqueurs vont-ils apporter leurs parts de financement ? Les réflexions sont en cours.
Quand nous prenons le dépôt actuel, les actions de l’Etat représentent 7%. Tout le reste est détenu par les marqueteurs. Ce qui est évident, c’est que l’Etat aura une part beaucoup plus importante dans le dépôt que nous allons construire parce qu’il faut aussi avoir les leviers d’encaissements pour pouvoir au moins subventionner d’autres projets dans le pays.
Ce qui veut dire que le schéma d’actionnariat n’est toujours pas ficelé ?
Il n’est pas défini pour le moment dans la mesure où il faudrait passer à la phase de réalisation du projet de financement pour savoir si l’Etat le finance à 100% ou pas.
Quel est le coût du projet ?
Pour le coût, on ne va pas s’aventurer là-dessus.
Pourquoi ?
Le constat est qu’il y a trop de spéculations dans le pays. On s’abstient jusqu’à l’Appel d’offre.
Justement à quand le lancement de l’Appel d’offres ?
Il sera lancé une fois que les études de faisabilité seront finalisées. On attend la validation de la Présidence de la République.
Une fois les dossiers validés et l’Appel d’offres lancé, tout sera public en ce moment.
Peut-on savoir la date exacte de démarrage de ce projet ?
L’objectif de la Direction générale de la SONAP, c’est de passer à la vitesse supérieure. C’est de commencer le projet avant la fin de l’année. Nous avons déjà la phase d’étude qui est clôturée pour les deux projets d’ailleurs à savoir Moribayah et Kankan. Les études de faisabilité et APS des deux sites sont bouclés. Maintenant, nous sommes en train de discuter sur les leviers de financements avec les institutions financières et nos partenaires pétroliers avant de faire un rapport à Qui de Droit pour une décision finale.
On peut tout de suite commencer le projet avec le peu de financement disponible. Mais le plus important n’est pas le début du projet. L’important c’est plutôt d’avoir le financement nécessaire et réaliser le projet dans un délai raisonnable.
Il est prévu en principe une administration générale pour commencer. Nous prévoyons la pose de la première pierre d’ici la fin de l’année ou au plus tard le début de l’année prochaine. Nous sommes en train de mettre les lignes de financement avant de lancer l’Appel d’offres.
Quelle va être la capacité du dépôt de Moribayah ?
Le dépôt de Moribayah fera presque trois fois celui que nous avons actuellement à Conakry. Dans un premier temps il fera 140 000 m³, c’est-à-dire 140 millions de litres, avec une possibilité d’extension de 60 millions de litres. Ce qui va revenir en tout à 200 millions de litres.
Le dépôt de Kankan que nous avons aussi en projet aura par contre une capacité de 112 000 m³. Ce qui a été retenu, c’est de faire 112 000 m³ pour ravitailler Kankan et les grandes villes de la Haute Guinée, mais aussi ouvrir une ligne pour le Mali. Il sera un atout par rapport à la population et tout ce qui suit au niveau des compétences, parce que c’est nous qui transportons de Conakry pour Kankan.
Quelle est la capacité actuelle du dépôt de Conakry ?
Le dépôt de Conakry n’est pas au-delà de 89 millions de litres. Les deux dépôts réunis celui de Coronthie et de l’Unité centrale. Ce qui fait qu’aujourd’hui les deux dépôts ne sont vraiment pas en mesure de répondre efficacement aux besoins du pays.
Vous venez de parler du Mali voisin qui pourrait se ravitailler à partir de Kankan. Si nous prenons Moribayah, il est proche de la Sierra-Leone. N’y a-t-il pas un risque d’alimenter le trafic illicite de carburant en construisant un dépôt à la frontière ?
Le dépôt lui-même ne sera pas plus proche. Mais je vous rappelle que de agents maritimes, des agents de la marine seront aussi présents. Vous savez partout où il y a des ports, des agents maritimes sont présents. Ces agents-là seront formés dans ce sens. Je n’ai pas mentionné la capacité de des bateaux, ce sont les plus gros navires sur le plan international. Quand nous recevons ces bateaux-là, il faut aussi former les gens pour les habituer à les recevoir. Et canaliser aussi le milieu tout en formant les jeunes qui sont dans la zone afin d’avoir l’importance et l’impact de recevoir le produit le libéré chez nous et le vendre dans notre pays, dans l’intérêt de la population. Si ce n’est pas fait, c’est encore la population guinéenne qui va souffrir. Si vous trafiquez un produit, vous êtes complices du trafic d’un produit, derrière, c’est vous et vos parents qui souffrez. Parce que si le produit n’est plus en Guinée et que c’est le voisin qui l’achète à l’extérieur du pays, cela entraîne une rupture définitive au niveau national.
En clair ce projet de dépôt de Moribayah va définitivement mettre la Guinée à l’abri des pénuries de carburant de plus en plus récurrentes ces derniers temps ?
Tout à fait. Je viens de vous expliquer qu’on aura une capacité de stockage de trois mois. Pour recevoir un bateau ou un tanker, il faut attendre deux mois. D’ici que ce tanker arrive, on a encore un moi devant nous pour nous permettre de dépoter ce produit qui est reçu avec une capacité importante de stock de sécurité.
Est-ce que la SONAP compte conduire les deux projets de dépôts à savoir Moribayah et Kankan simultanément ? Quelle est la priorité ?
Le plus important pour nous, la Direction générale de la SONAP, c’est que ce sont des projets de la SONAP. Nous allons les piloter parallèlement. Sans les dépôts de l’intérieur, même si on finit celui de Moribayah, cela n’aura aucune valeur ajoutée.
Qui parle de Kankan sans la source où on va stocker le produit, il n’y aura pas de sens. Si Kankan est construit sans Moribayah, ce n’est pas le dépôt de Conakry qui existe en ce temps qui va ravitailler Kankan parce qu’il n’a pas une grande capacité de stockage. Donc on construit un dépôt à Forécariah, on l’agrandit par rapport à celui de Conakry. Ce qui veut dire que les deux dépôts doivent être réalisés en même temps. Si on a le financement, c’est la meilleure des choses. C’est l’option que nous avons actuellement sur la table, nous la Direction générale de la SONAP.
Est-ce que la rénovation ou la reconstruction des dépôts des autres régions sont aussi dans le pipeline ?
Alors dans ce sens-là je vous explique réellement ce qu’il s’est passé. Nous avons envoyé une mission qui a sillonné la Haute Guinée, la Guinée Forestière, la Moyenne Guinée, notamment Mamou. Les capacités de stockage des dépôts existants ont été analysées. Le dépôt de Kankan fait 2 400 000 litres et l’espace réservé pour ce dépôt a été utilisé par les riverains. Maintenant le dépôt se trouve en pleine ville. Donc, il y a un risque, il faut aussi le déplacer hors de la ville. C’est la raison pour laquelle nous voulons le délocaliser dans une zone qui est vers Mandiana.
La mission a été à N’Zérékoré. C’est presque la même capacité 2.400.000 litres. Là, la différence c’est qu’ils ont anticipé. L’espace a été sécurisé.
A Mamou, on a regardé le dépôt qui existait qu’on appelait « Mamou Relai ». Dans le passé c’était un dépôt qui existait et qui se trouvait en ville près du marché. Par priorité ce sont les deux premiers. Mais à notre listing, on a ajouté l’extension du dépôt de N’Zérékoré, ensuite la réhabilitation du dépôt de Mamou.
Est-ce que le dépôt de Conakry va être démantelé aux termes du projet de Moribayah ?
Vous savez en gestion de changement, on ne casse pas tout, tout de suite. Pour pouvoir construire un dépôt, il faut se rassurer que ce dépôt qui est construit respect les normes. Il peut y avoir des imperfections, des fuites et autres. Il y a toujours des incertitudes. Dans ces conditions, il faut trouver des solutions de relai. Si on n’en a pas parce qu’on a détruit, c’est compliqué. Dans un premier temps, le dépôt de Conakry va être gardé jusqu’à ce que le nouveau tourne à plein régime. Puis, il reviendra à l’Etat de prendre la décision.
Quelle analyse faites-vous de tous ces projets qui à coup sûr vont propulser une certaine dynamique dans le secteur pétrolier guinéen ?
Je vais être franc. C’est la seule façon d’éviter les ruptures de carburant à notre pays. C’est la seule façon d’éviter les pénuries, c’est la seule façon de nous sécuriser et c’est la seule façon pour nous d’apporter de la stabilité à ce pays. Stabilité sécuritaire, stabilité environnementale, stabilité sur tous les plans. L’impact est national. Ce n’est pas Conakry seulement qui sera impacté.
C’est important de réaliser ces dépôts pour dépasser ces phases anciennes. Le dépôt de Conakry est obsolète pour nous. Il n’a plus la capacité de recevoir la forte demande que nous avons aujourd’hui. Il est situé en pleine ville et c’est un risque pour la population, pour tout le pays. La Sierra-Léone, a récemment enregistré des manifestations contre la cherté de la vie. Et cette cherté de vie est tirée par le carburant.
La Guinée a récemment connu des pénuries de carburant. Quelles en étaient les vraies raisons ?
L’Etat fait la liaison entre les marqueteurs et les préteurs. Dans le passé, c’était le contraire. Le marqueteur partait directement vers le préteur, c’est lui qui envoie le produit dans le pays sans directement passer par l’Etat. L’Etat était juste le régulateur. Depuis mars, quand les marqueteurs ont besoin d’une certaine quantité, ils ont leur ligne de crédit, ils passent par la SONAP. La SONAP déclenche le process et tout ce qui est à faire, demande aux préteurs, c’est lui qui envoi le produit. Voici comment la relation était entre Total, Vivo, Star Oil etc.
Avec la guerre Russo-ukrainienne, l’impact se ressent. Le produit ne fait que flamber. On a eu la chance sur la stabilité de notre monnaie ce qui nous permet de trouver les devises à un prix raisonnable contrairement au passé où il fallait plus d’un million de francs guinéens pour acheter 100 euros.
Je vous rassure aussi que la Guinée est l’un des rares pays qui achètent encore le carburant avec une valeur ajoutée par rapport au produit. Nous sommes dans le top par rapport à beaucoup d’autres pays.
Certains justifient ces pénuries par le fait que l’Etat aurait approuvé l’envoi d’une importante quantité de carburant au Mali au voisin. Qu’en dites-vous ?
Je vous explique, c’est très simple. On a envoyé un essai de 2 millions de litres. Ces 2 millions de litres étaient pratiquement la consommation de trois heures de la Guinée. C’est vraiment insignifiant. Et quand on a envoyé le produit, on avait encore un autre bateau de gasoil qui attendait pour le dépotage. Il n’avait pas où dépoter, parce qu’il n’y a pas de place. C’est pour vous dire que le dépôt que nous avons présentement à Conakry ne répond plus aux besoins.
Quand le carburant est parti, on a pu dépoter le deuxième bateau qui attendait. Et après, on a livré à la population. Au moment de la pénurie qui est survenue, il y avait deux à trois autres bateaux qui attendaient. Mais c’était simplement des contraintes administratives, parce que les banques n’avaient pas la valeur pour supporter toutes ces charges. La première banque qui a accepté de nous accompagner est Ecobank et les autres n’avaient pas la capacité. C’est beaucoup d’argent. On parle de milliers de dollars. Celui qui a envoyé le produit va chercher à se rassurer si vous avez l’argent les garanties, les lignes de crédits nécessaires.
Ce n’était donc pas du sabotage de la part des prêteurs ou les banques parce que l’Etat guinéen venait de se lancer dans le processus d’achat des produits pétroliers ?
Non ! Les banques sont nos partenaires. Elles avaient des ajustements et des approbations internes à faire. Cela a un peu débordé, mais maintenant, tout est en ordre.
Est-ce qu’on peut dire qu’aujourd’hui la leçon a été retenue et que la Guinée est désormais à l’abri de telles pénuries ?
Ecoutez le souhait de tout manager est qu’il n’y ait pas de pénurie. Je ne peux pas vous dire à 100% qu’il n’y aura jamais de pénurie dans le pays. Parce que notre dépôt n’est pas d’une grande capacité. Les consommations mensuelles varient en fonction des activités économiques. Par exemple, la demande est forte après la saison des pluies. Notre rôle c’est de tout faire pour éviter de telles pénuries.
Mais quand cela arrive, on fera aussi tout pour apporter des réponses adéquates. Il y a des pays aujourd’hui qui n’ont même pas de carburant et ça pouvait arriver à la Guinée.
Avec l’Etat, on vend aujourd’hui le litre à 12 000 francs guinéens. On aurait pu vendre à 16 000 francs guinéens voire 19 000 francs guinéens. Mais c’est l’Etat qui a accepté de renoncer à toutes ses taxes sur le produit, ensuite subventionner 2 000 francs guinéens pour ne pas vendre le produit à 14 000 francs guinéens. Si c’est un particulier qui le faisait, il n’aurait pas accepté ces sacrifices.
SOURCE : MAGAZINE EMERGENCE N°18 – NOVEMBRE