Le 7 avril dernier le gouvernement guinéen par le biais de son premier ministre Kassory Fofana a présenté son plan de riposte économique face au COVID-19. Si on peut s’interroger logiquement sur le retard qu’a pris le gouvernement guinéen pour prendre des mesures appropriées contre cette pandémie, on va toutefois prendre le temps d’analyser lesdites mesures.
Le plan de riposte économique qui comporte seize (16) voire dix-sept (17) points cruciaux est donc évalué à 3,500 milliard de francs guinéens. Bien que les moyens et les méthodes de financement de celui-ci demeurent incertains, il existe dans des situations de crises économiques comme celles-là, des moyens de financement de plans de riposte que l’on appelle communément le « Quantitative Easing » (ou la planche à billet pour simplifier les choses). Pour ce faire, cela nécessite une indépendance, une autonomie et une fiabilité quasi inébranlable de la banque centrale.
L’analyse du plan de riposte économique contre le COVID-19 peut être regroupée en trois catégories : (i) mesures sanitaires, (ii) mesures pour les PME (petites et moyennes entreprises) et (iii) mesures pour la population.
Au prime abord, une étude d’impact économique aurait due être réalisée en amont. Cette étude devrait évaluer l’impact du COVID-19 au niveau micro notamment sur l’emploi, la croissance, les salaires et les imports. Par exemple, d’après une étude faite par le département de l’emploi de la ville de Washington DC sur l’impact du Covid-19, il est ressorti que plus de 92,000 emplois vont être perdus de manière directe, indirecte et induite. Cette perte d’emploi va induire une perte de plus 4.5 milliards de dollars américains en salaires et revenues des ménages et, une perte de 1.1 milliard de dollars en terme de revenu fiscal pour la ville. Les secteurs de l’hôtellerie et de la restauration seront les plus affectés avec près de 80% de pertes d’emploi. Des études similaires au niveau national ont été effectuées et les différents plans de riposte ou mesures économiques qui ont été adoptés étaient axés sur les évidences provenant de lesdites études. L’absence de ce diagnostic initial porte à croire que le plan de riposte est essentiellement basé sur la perception et non sur l’évidence. L’impact macro sur la baisse du PIB (produit intérieur brut) et la hausse éventuelle de l’inflation est intéressant, mais ne reflète aucunement l’impact subi par le citoyen lambda guinéen en termes de perte d’emploi et de revenus. Concrètement, le plan suppose (à raison éventuellement) que le secteur de l’hôtellerie et du tourisme est celui qui sera le plus touché par la pandémie. Par contre, cet impact a forcément des ramifications sur d’autres secteurs de l’économie tels que les transports, la santé, etc. De même, la fermeture des écoles a également un impact direct sur le secteur de l’éducation mais aussi sur plusieurs autres secteurs de l’économie. D’où la nécessité de faire un diagnostic (micro) préalable de l’impact du Covid-19 avant de développer un plan de riposte.
L’analyse des mesures proposées par le gouvernement guinéen
Mesures sanitaires : le programme de riposte économique ne contient pas suffisamment de mesures sanitaires à y voir clair. Un seul point traite partiellement du problème des systèmes de santé à savoir : les équipements de santé et produits assimilés et entrant dans le cadre de la lutte contre le COVID-19 sont exonérés de tous droits et taxes pour toute la durée de la crise sanitaire. Une fois de plus, cette crise économique est celle sanitaire avant tout. Par conséquent, plusieurs mesures concernant le dépistage, les hôpitaux, le personnel soignant (médecins et infirmiers), les kits de protections, etc., devraient y figurer. Ces mesures doivent être primordiales car tant que la crise sanitaire n’est pas résolue on ne pourra pas parler de reprise économique. Rappelons que ce virus est hyper contagieux et le nombre de cas peut évoluer de façon exponentielle. Enfin, cette pandémie représente une opportunité immense de faire des réformes structurelles sur notre système de santé en y apportant les investissements nécessaires. On a manqué l’opportunité avec la crise d’Ebola et il serait dommage si l’on rate cette dernière.
Mesures d’aide aux PME : on aurait pu carrément l’appeler plan de sauvetage des PME tellement il regorge des mesures les favorisant. C’est une excellente chose en soi car les PME sont les vecteurs créateurs d’emploi de manière générale dans une économie. Les reports d’impôts, de taxes et des factures dues à l’Etat sont très appropriés pendant cette période. De même, la volonté de vouloir payer les fournisseurs est aussi une excellente mesure. Concernant la mise en place du fonds de garantie des prêts bancaires aux petites et moyennes entreprises (PME) de 50 milliards de francs guinéens, il serait judicieux de lier l’accès à ce fonds à : (i) une formalisation des PME incluant un enregistrement légal et un numéro d’identification fiscale ; (ii) aux PME ayant leurs impôts et taxes à jour et (iii) une garantie des PME de conserver leurs employés.
Mesures d’aide à la population : plusieurs mesures d’aide à la population sont également mentionnées dans le plan. Parmi celles-ci, le gel des factures d’électricité et d’eau est une très bonne chose. La baisse du prix du carburant si peu soit-elle en est également une autre. Aussi, le gel de toute hausse des loyers des secteurs publics et privés permet d’alléger les dépenses des ménages pendant cette période de pandémie. Par contre, les mesures de gratuité du transport urbain à savoir autobus et train sont incompréhensibles car elles ne respectent nullement les mesures de précaution prônées par l’OMS (organisation mondiale de la santé) le (social distancing entre autres).
En somme et de manière générale, le plan de riposte économique est un excellent point de départ mais nécessite quelques améliorations assez importantes. Un point positif est qu’il comporte d’excellentes mesures de soutien aux PME qui sont le moteur économique de toute économie. Il contient également des mesures intéressantes destinées aux populations qui permettront d’alléger leurs dépenses quotidiennes. Par contre, afin de l’améliorer, il doit s’appuyer sur une étude d’impact économique assez solide. Aussi, il doit contenir des mesures concrètes et précises concernant le système sanitaire. De même, des mesures sur la communication et la sensibilisation avec une mission bien définie et un budget consistent. La communication et la sensibilisation demeurent les moyens les plus importants de la mitigation de la propagation de la pandémie. Enfin, le plan de riposte économique comme tout autre plan doit avoir des mesures de suivi et évaluation avec des indicateurs de performance et un cadre de responsabilisation et d’imputabilité.
Pour conclure, il serait crucial de le réviser progressivement. De même, le gouvernement doit d’ores et déjà commencer à réfléchir à un plan de relance de l’économie post Covid-19 qui permettrait une plus grande résilience de l’économie guinéenne dans le futur et aussi une meilleure relance voire accélération d’une croissance économique durable et équitable pour l’ensemble des guinéens.
Que Dieu protège la Guinée et les guinéens.
Saikou A. Diallo, chef Economiste, Département de l’emploi de la ville de Washington DC, USA.