L’enquête de police et l’instruction préparatoire sont couvertes par le secret. À toutes les étapes du procès pénal, les personnes mises en cause doivent bénéficier du principe sacré de la présomption d’innocence.
La présomption est un droit fondamental proclamé par les textes nationaux, internationaux et un principe de valeur constitutionnelle.
A cet effet, l’article préliminaire alinéa 5 du code de procédure pénale prévoit que : « Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas
été établie. Les atteintes à sa présomption d’innocence sont prévenues, réparées et réprimées
dans les conditions prévues par la loi. »
« Quand l’innocence des citoyens n’est pas assurée, la liberté ne l’est pas non plus » (MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, Tome I, Livre XII, Chapitre II, p.197).
La présomption d’innocence interdit tout préjugement dès l’ouverture de l’enquête et jusqu’à la déclaration de culpabilité irrévocable. Ce principe s’impose au législateur et aux autorités judiciaires et extrajudiciaires qui interviennent dans le cadre de la procédure pénale : les magistrats du siège, les experts, le ministère public, les officiers et agents de la police judiciaire.
Dans la pratique, ce sont des officiers de la police ou de la gendarmerie qui sont au premier dans la violation de cette règle.
Ces officiers se permettent de présenter des suspects à la presse avant de les mettre à la disposition de la justice. Ils se livrent une déclaration de culpabilité anticipée. Les suspects sont présentés à l’opinion publique comme des coupables avant leur jugement.
Cette démarche vient en violation de l’article 8 du code de procédure pénale guinéen qui précise que :
« Hormis les cas où la loi en dispose autrement, la procédure suivie au cours de
l’enquête et de l’instruction est secrète.
Toute personne concourant à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les
conditions et sous les peines de l’article 367 du Code pénal.
Toutefois, afin d’éviter la propagation d’informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l’ordre public, le procureur de la République peut, d’office et à la demande de
la juridiction d’instruction ou des parties, rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause. »
Il résulte de ce texte que seul le Procureur de la république peut, dans certaines conditions, communiquer sur des dossiers objets d’enquête ou d’information. Il n’est point permis à un officier de police ou un agent de police judiciaire de faire ce qui est exclusivement dévolu au Procureur de la république.
En méprisant le texte susvisé, l’officier de police ou l’agent de police judiciaire viole foncièrement le caractère secret de l’enquête et la présomption d’innocence.
Il y a quelques mois, le Colonel Moussa Tiégboro CAMARA, Patron des Services Spéciaux et la Lutte contre le grand banditisme, a présenté des suspects à la presse, comme étant des importateurs et vendeurs des farines périmées. Il amême juré de ne plus reprendre les mis en cause si la justice les élargissait à nouveau. Malheureusement pour lui, ces personnes ont été relaxées par le Tribunal de première instance de Mafanco.
Récemment, le même service, a organisé l’interrogatoire télévisé et en direct du propriétaire du restaurant ‘‘Modibo’’, accusé de détention et de commercialisation de la viande impropre à la consommation. Comme dans le précédent cas, il est fort probable que les enquêtes du service de Tiégboro soient de nouveau sanctionnées par la relaxe.A l’audience du 30 Mars 2019, Monsieur le Procureur de la Républiqueprès le Tribunal de première instance de Kaloum a requis la relaxe de Monsieur Modibo pour délit non constitué.
Pour une énième fois, la Justice va remettre en cause les activités des services spéciaux.
Pendant ce temps, les victimes de ces agissements auront payé de leur liberté, de leur dignité, de leur honneur ou de leur considération. La seule décision de relaxe ne sera pas suffisante pour réparer le préjudice déjà subi.Elles doivent aller un peu plus loin.
Il convient de rappeler que les atteintes à la présomption d’innocence et la violation du secret sont réprimées à travers différentes incriminations : diffamation (article 363 du Code pénal), dénonciation calomnieuse (article 361 du Code pénal), atteinte au secret (article 367 du Code pénal).
En outre, la présomption d’innocence est une limite à la liberté d’expression, permettant à toute personne non encore condamnée mais présentée dans la presse comme coupable de faire rectifier publiquement les propos et d’agir en justice.
C’est pourquoi, la presse doit, de son coté, faire preuve de prudence et de professionnalisme dans la couverture de ce genre d’évènement. A défaut, elle s’expose aussi à des poursuites judiciaires.
Les victimes de ces agissements peuvent, engager des poursuites pénales contre leurs auteurs devant les juridictions guinéennes, d’une part, ester contre l’Etat devant les juridictions africaines (comme la Cour africaine des droits de l’Homme et la Cour de justice de la CEDEAO) pour violation de la présomption d’innocence consacrée dans la déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948 (article 11 alinéa 1), dans le pacte international relatif au droit civil et politique (article 14 alinéa 2), dans la Charte africaine des droits de l’Homme « article 7 alinéa 1), d’autre part.
Maître Pépé Antoine LAMA
Avocat à la Cour