Sévèrement critiquée pour son manque de leadership dans la résolution des crises politiques qui secouent l’Afrique de l’Ouest, il est fort probable que la Cédéao fasse du dossier nigérien un véritable « cas d’école » pour tester sa capacité de mettre fin au processus de militarisation, en cours, des pouvoirs en Afrique de l’Ouest. Mais au fond, les véritables enjeux de la crise Nigérienne sont ailleurs. Ils dépassent largement le pauvre Niger, et ne consistent pas à sauver la démocratie.
Les enjeux de la crise tiennent d’une part, à la volonté de certains régimes civils de la Cédéao, critiqués pour leurs pratiques démocratiques, de dissuader leurs armées de passer à l’action, et d’autre part, à la volonté de la France et des Etats Unis de maintenir leurs influences dans le Sahel et en Afrique de l’Ouest face aux rivaux stratégiques que sont la Russie et la Chine en particulier, qui à leur tour convoitent, avec un appétit grandissant, le continent noir, en passe de redevenir, comme au temps de la guerre froide, un terrain de confrontation entre les puissances de ce monde.
Dans le cas spécifique de la France, ce pays après avoir perdu ses positions stratégiques et historiques au Mali et au Burkina Fasso, n’entend pas lâcher une seconde le Niger. Pays dans lequel, elle exploite depuis plus de 40 ans l’uranium indispensable au fonctionnement de ses centrales nucléaires, et auquel, elle est liée par un nombre impressionnant d’accords de défense et de sécurité.
En réalité, les véritables otages de la crise Nigérienne ce sont les pauvres nigériens eux-mêmes, et les peuples de l’Afrique de l’Ouest, pris dans un immense piège géopolitique et économique. Mais aussi la Cédéao qui risque d’imploser, donc de se « disloquer » avec la balkanisation de plus en plus prononcée de l’Afrique de l’Ouest sous l’action conjuguée des Etats de la Cédéao qui ne regardent plus dans la même direction, et de certaines puissances extérieures aux intérêts opposés, qui s’invitent avec leurs propres agendas dans les affaires de la Cédéao.
En effet, la division des Etats de l’Afrique de l’Ouest autour de l’initiative belliciste de la Cédéao portée par une poignée de pays dirigés par le Nigéria dans la résolution de cette crise, et l’exposition croissante de l’Afrique de l’Ouest aux appétits des fauves de ce monde, doivent interpeller les dirigeants actuels de cette organisation sur sa mission originelle. La Cédéao doit-elle unir entre eux les Etats de l’Afrique de l’Ouest pour en faire un bloc économique qui compte dans le monde, conformément aux vœux de ses pères fondateurs, ou doit-elle alimenter les conditions de son implosion ? Telles sont aujourd’hui les grandes questions qui doivent occuper l’esprit des dirigeants de la Cédéao au titre de leurs responsabilités historiques envers les générations futures.
Par Youssouf Sylla, auteur du livre Post Françafrique, ed. L’harmattan, décembre 2021