Jeudi 27 janvier, aux environs de 5 heures du matin, le vol Et 8934 transportant spécialement trois joueurs du Syli, le sélectionneur Kaba Diawara, des membres de son staff technique, des membres du personnels du Comité de normalisation, des cadres du ministère des Sports, des supporters, des journalistes, des anciennes gloires du football guinéen…a atterri à l’aéroport de Conakry. Ce retour a marqué la fin d’une aventure qui a commencé le 29 octobre 2021, avec la nomination de Kaba Diawara pour conduire l’équipe à la CAN 2021.
« Le Président de la Transition a déploré que la délégation guinéenne soit revenue au pays avec seulement trois joueurs. Il a instruit le ministre des Sports de réfléchir à une meilleure organisation des sports et particulièrement du football avec la détection, la prise en charge et la formation des jeunes talents dans notre pays », a indiqué le porte-parole du gouvernement dans le compte rendu du Conseil des ministres du jeudi 27 janvier 2022. Ce qui est peu pour ceux qui avaient pris au sérieux ce canular de Doumbouya disant « ramenez la Coupe à la maison… ou remboursez l’argent qu’on a investi sur vous » lors de la remise du drapeau à l’équipe, le 27 décembre dernier. En tout cas, en revenant à Conakry, Kaba Diawara, lui, savait qu’il n’a rien à rembourser. « Les propos (du président) ont été mal interprétés…Ce qui reste clair, c’est que nous allons tous rentrer à Conakry pour faire le bilan, moi en premier, parce que je suis le sélectionneur, j’étais le responsable de ce groupe. On va rentrer, on va se poser avec le Président et on verra bien ce qui décidera », a-t-il dit en conférence de presse d’après-match, après l’élimination contre la Gambie.
Vu sous un angle purement sportif, le bilan de Kaba Diawara se résume à un match nul convaincant contre le Sénégal. C’est ce match qui aura ressuscité l’emballement des Guinéens autour de leur équipe nationale. Avant ce match, la préparation du Syli (avec surtout une défaite contre l’équipe locale du Rwanda) avait laissé les Guinéens perplexes. La victoire sans contenu de jeu contre le Malawi (le 10 janvier) avait plutôt conforté le pessimisme des Guinéens quant à l’avenir de leur équipe dans la compétition.
Kaba Diawara, le parfait bouc émissaire ?
A la fin du match contre la Gambie, des journalistes et supporters n’ont pas cherché la raison de la défaite par mille chemins. Pour eux, c’est Kaba Diawara. On l’accuse notamment de laisser sur le banc Morlaye Sylla et de faire jouer Aguibou qui revenait d’une blessure. Au sortir du stade Kouekong, des supporters filmés ont insulté et maudit le coach. Chez les journalistes, on n’est également pas d’accord sur les choix de Kaba Diawara et les critiques contre son système de jeu (le 3-5-2) refont surface. Kaba Diawara est traité de têtu et même d’arrogant. Celui-ci, apparemment agacé par les questions sur son système de jeu, a parfois tenu des propos exprimant la colère. « Je vais clore le débat et que cela soit clair pour tout le monde ici : le 4-3-3 guinéen, on n’a plus les joueurs pour le jouer. Je ne sais pas si vous voyez encore des Fodé Mansaré, des Yattara ou des Bangoura ? On n’en a plus. Quand on avait ce genre de joueurs, on pouvait jouer un 4-3-3. Si vous voulez parler tactique, on parlera tactique, mais ça n’a rien à voir (avec la défaite) », disait-il après la défaite contre le Zimbabwé. « C’est moi qui suis le sélectionneur. Si les gens disent qu’on devait jouer en 4-3-3 c’est leur problème. Si vous prenez mon téléphone portable, vous verrez le message de tout le monde… Dans le match, on m’appelle pour me dire de changer. J’invite ceux qui veulent changer à aller passer leur diplôme, à venir poser leurs candidatures, et s’ils sont retenus, ils feront leurs choix en âme et conscience… », a-t-il aussi dit après le match contre la Gambie. Dans tous les cas, Kaba Diawara a assumé l’élimination de son équipe.
Patriotisme, primes, voyages…
Tous n’en veulent pas à Kaba Diawara. Certains pensent que ce sont les joueurs qui n’ont pas été à la hauteur. Un troisième groupe, composé de détracteurs du Comité de normalisation, accuse le vice-président Séga Diallo de vouloir l’échec de Kaba Diawara « afin de faire revenir son ami, le Français Michel Dussuyer ». Ces dernières accusations se sont exacerbées après le remue-ménage qui a fallu faire renvoyer Konkolet et Maibra de l’équipe. En tout cas, les commentaires sur la déroute dépendent des intérêts gâchés en 90 minutes (+ 3 de temps additionnels) par la bande à Kaba Diawara.
Tous s’abritant derrière l’intérêt national, on pouvait néanmoins entendre les plus honnêtes dire que Kaba Diawara a écourté leur séjour camerounais. En fait, derrière « le patriotisme » affiché par tous, la CAN est aussi une affaire de sou et de voyage. C’est l’une des rares occasions pour certains de découvrir ailleurs et gagner au moins plus de 1 000 dollars en moins d’un mois. Avec l’arrivée de Doumbouya au pouvoir, on avait prédit qu’il n’y aurait pas assez de Guinéens à la CAN au Cameroun. Mais les Guinéens étaient encore là, parmi les grandes délégations étrangères au Cameroun. Parlant à la presse à Tagidor, l’hôtel des joueurs dans la localité de Bangou, le directeur national adjoint des Sports et chef de la délégation guinéenne Djibril Kaké disait « nous sommes 5% des Guinéens ici (au Cameroun) ». Beaucoup sont allés à bord d’un vol spécial qui a quitté Conakry dans la nuit du 7 janvier. Ils seront rejoints par d’autres. Certains sont même arrivés la veille de l’élimination du Syli. Ces Guinéens au Cameroun, ce sont des supporters (du Comité national des supporters de Guinée et bien d’autres), des cadres du ministère des Sports, des journalistes, des membres du CONOR… Mais aussi, des gens dont on n’a pas compris l’importance au Cameroun. Parmi ces derniers, « des journalistes » qui n’ont jamais pondu ne serait-ce qu’un seul article ou ne serait-ce que participer à une émission, des supporters qui ne les sont que de noms. Par pitié, certains d’entre eux ont finalement perçu quelques centaines de dollars américains. Ceux qui étaient sur la liste officielle du ministère, eux, ont reçu 1 000 dollars. D’autres, présentés comme des invités de certaines personnalités du pays, ont reçu 500 dollars. Si sur les primes ils n’ont pas été traités sur le même pied d’égalité, ils ont tous été logés (pour certains), nourris et transportés au frais de l’Etat guinéen.
A côté de tout ce beau monde, Il y avait aussi des vrais indépendants de l’Etat guinéen. Venus aux frais de leurs sponsors ou résidant au Cameroun et dans les pays voisins, ceux-ci ne rencontraient généralement leurs compatriotes qu’aux stades.
Du Cameroun dans les clubs européens
La défaite contre la Gambie a mis fin à cette vie paradisiaque pour certains dont leur seul mérite pour être au Cameroun est d’avoir un parent ou une connaissance bien placé dans l’administration guinéenne. « C’est tout cela qui contribue à la malédiction de notre équipe nationale. Comment quelqu’un peut se déplacer de la Guinée pour le Cameroun, recevoir l’argent du contribuable comme prime, sans aucune contrepartie pour le pays. Ceux-ci sont-ils mieux que ces Guinéens qui n’ont jamais monté dans l’avion ? », s’interroge A.K dans une conversation privée. Comme A.K (dont nous avons décidé de taire le nom), ils sont nombreux à penser qu’un pays pauvre comme la Guinée n’a pas besoin de tout ce beau monde à la CAN.
Sur le terrain, les joueurs semblaient être maudits devant le but adverse. De Mohamed Bayo à Sory Kaba en passant par Martinez et Morgan Guilavogui, aucun des attaquants guinéens n’a marqué en quatre matchs. Les deux buts guinéens sont venus des vétérans Issiaga Sylla (contre le Malawi) et Naby Keita (contre le Zimbabwe). Mohamed Bayo, meilleur buteur de la Ligue 2 français l’année dernière et 9ème meilleur buteur de la Ligue 1 avec 9 buts en 17 matchs pour son club de Clermont FC, a manqué l’immanquable face à la Gambie. Quand les Scorpions ont eu l’équivalent de son occasion, ils n’ont pas manqué de piquer la Guinée et de la mettre hors course. Très critiqué à la suite de sa titularisation contre le Zimbabwe, Sory Kaba a marqué pour son club belge d’OH Louvain, au lendemain de son départ du Syli. Que s’est-il passé avec le Syli ? Certains analystes ont estimé que les joueurs n’étaient pas dans une disposition leur permettant de marquer. Le 3-5-2 a fait l’objet de polémiques. Mais, inflexible, Kaba Diawara ne l’a jamais changé. Estimant qu’un système tactique est défini au départ et qu’il revient aux joueurs de faire la différence sur le terrain. En tout cas, le groupe de Kaba Diawara n’a pas du tout convaincu les supporters qui ne s’attendaient pas à une défaite contre la Gambie, 150ème au classement FIFA. En conférence de presse d’avant-match, Kaba Diawara s’était montré rassurant et avait même remercié Dieu pour le fait le COVID avait finalement épargné son équipe. A l’opposé, Tom Saintfied a montré son équipe comme le petit poucet qui n’avait pas peur du grand Syli contre qui elle allait jouer le match de sa vie. Et, à la fin, ce sont eux qui ont gagné devant plus de 8 000 spectateurs dont la majorité supportait la Guinée – entre autres, en raison du fait que la délégation guinéenne était basée à Bafoussam. Après avoir pleuré sur la pelouse et dans le vestiaire, les joueurs et leur entraîneur ont quitté Bafoussam le mardi 25 janvier pour Yaoundé. Le même jour, ceux qui jouent à l’étranger ont regagné leurs clubs alors qu’on s’attendait à les voir tous à Conakry.
Alors que les joueurs quittaient le Cameroun mardi, les autres Guinéens passaient les tests COVID en vue de leur retour au pays. Les tests passés, la délégation guinéenne bougent de Bafoussam mercredi 26 janvier, à 11 heures, pour arriver à Yaoundé vers 17 heures après des pauses et les embouteillages de Yaoundé. Dans l’attente de l’avion d’Ethiopian Airlines, on aperçoit Gaoussou Youssouf Siby du Wakrya, le gardien Moussa Camara et le défenseur Fodé Camara du Horoya. Plus tard, c’est Kaba Diawara qui est arrivé, ovationné par un groupuscule de supporters alors qu’on le croyait vomi par tous après les insultes du 24 janvier. Les anti-Kaba et pro-Kaba regagneront tous à Conakry à bord du même vol… Et attendent l’issue de la déroute qui aura coûté des milliards de francs guinéens au pays.
Tokpanan DORÉ, de retour du Cameroun.