En prélude à la journée internationale des droits des femmes, nous avons décidé de rencontrer une icône à Labé. A la tête du groupement de femmes pour la promotion de produits locaux (GFPPL) depuis 2018, madame Boiro Ousmane a désormais une entreprise de transformation des céréales (fonio, maïs et mil) en plusieurs produits alimentaires et les fruits locaux en jus et boissons naturels. Avec une dizaine de femmes qui travaillent à plein temps, madame Boiro fait également des prestations pour les cérémonies. Attirée par le courage et la détermination de ces dames, la rédaction régionale de Guinéenews Labé a fait immersion dans ce monde d’entrepreneuriat féminin. La présidente du groupement nous a reçus pour un entretien à bâton rompu. Lisez !
Guinéenews : Bonjour madame ! Vous vous démarquez dans plusieurs secteurs d‘activités notamment la transformation des jus naturels mais aussi les céréales. Parlez-nous des différentes transformations que vous opérez à ce niveau !
Madame Boiro : je suis d’abord présidente d’un groupement de femmes créé depuis 2018. Donc, c’est dans ce groupement qu’il y a eu la naissance de plusieurs établissements parce qu’on a réparti les activités en établissements.
Guinéenews : C’est quoi le nom du groupement ?
Madame Boiro : c’est GFPPL (groupement de femmes pour la promotion de produits locaux). Au fait, nous faisons la transformation des produits locaux et mon établissement s’occupe au début de la transformation des céréales c’est-à-dire le fonio, le petit mil et le maïs. Ainsi, on a des établissements au sein du groupement qui transforment d’autres produits avec des délégués.
Guineenews : maintenant, comment vous vous êtes lancées dans la production des jus et boissons naturels ?
Madame Boiro : au fur et à mesure avec les voyages, avec les formations et des conseils, j’ai entamé la transformation de fruits en jus et boissons naturelles avec des fruits tel que les oranges, les citrons, les tamarins, les fruits du baobab ou pain de singe, le gingembre, le bissap, (…). Mais essentiellement avec les fruits de chez nous. Avec les jus d’orange, il y a assez de difficultés car la conservation pose problème. Le problème vient souvent de la cueillette des fruits. Quand un fruit est mal cueilli, le problème va se répercuter à la transformation et la conservation. Vous savez, on n’a toujours pas modernisé la façon de cueillir les fruits chez nous. Et quand un fruit quitte l’arbre pour tomber par terre, il pourrit au cours de deux à trois jours. Et si tu prends ce fruit-là pour la transformation, après quelques jours le jus change de goût. Donc, on a ce problème et voilà pourquoi à chaque période de fruit, on fait une petite quantité car on ne peut pas conserver longtemps. On en produit en petite quantité pour éviter les pertes.
Guinéenews : donc désormais vous produisez sur commande ?
Madame Boiro : oui, désormais on ne produit les jus que sur commande parce qu’on a d’autres problèmes encore au niveau de l’emballage. Si nous faisons la boisson du gingembre, la boisson du bissap avec des emballages neufs alors qu’il y a d’autres qui utilisent des emballages recyclés et vendent la bouteille moins cher c’est-à-dire à 1000 gnf, 2000 gnf par exemple, nous, si nous proposons la même quantité à 5000 gnf, les gens achètent souvent ce qui est moins cher. Donc, il y a ce problème aussi car les gens regardent ce qui est moins cher alors que nos emballages et bouteilles sont importés. Donc, il faut payer la bouteille à chaque fois. Sinon nous produisons le gingembre, le tamarin, l’orange, le bissap, le citron, le fruit du baobab. Et comme je vous l’ai dit l’année dernière j’en avais fait en quantité et on a exposé à la boutique. Mais c’est resté là-bas un bon moment avec une vente au compte goutte.
Guinéenews : si on vient au niveau de céréales, comment faites-vous la transformation ?
Madame Boiro : au niveau des céréales, notre produit phare est le fonio. On a commencé par le fonio. Nous achetons le fonio paddy et aussi le fonio semi-paddy c’est-à-dire ce qui est à moitié pillé. Nous envoyons ici, une machine décortiqueuse de fonio que nous avons obtenue grâce à l’accompagnement d’un projet car c’est le mortier et le pilon qu’on utilisait avant. Donc, il y avait assez de difficultés à ce niveau. Avec cette machine, nous produisons le fonio en grande quantité. Chaque jour au moins, on est entre 60 et 80 kilogrammes de fonio transformé. Ainsi, nous produisons du fonio propre. Il y a aussi le fonio grillé. Après le séchage et tout ce qu’il faut, on grille le produit final. Il y a aussi le fonio précuit. C’est-à dire, après le lavage, nous mettons le fonio à la vapeur. Donc, nous faisons toutes ces qualités de fonio en quantité et les gens viennent acheter abondamment.
Guinéenews : en plus, vous transformez également le maïs, le petit mil. Est-ce de la même façon que le fonio ?
Madame Boiro : non pas de la même manière. Par exemple le mil nous le transformons en grumeaux, en Thiakry (couscous et yaourt) et en poudre aussi. Le maïs en couscous parce que j’ai des femmes qui s’occupent exclusivement de cela et on fait des prestations pour les cérémonies. Il y a aussi les grumeaux de maïs et la farine de maïs. Donc, à partir des céréales, on obtient aussi de la poudre de farine qu’on utilise pour faire des grumeaux pour la bouillie. Il y a des grumeaux de petits mil, les grumeaux de maïs et les grumeaux du fonio.
Guinéenews : comment faites-vous pour écouler ces produits ?
Madame Boiro : on produit très souvent parce que les céréales ne se gâtent pas rapidement. Le fonio ça peut faire deux ans, les gens viennent ici, des fois, ils nous téléphonent de Conakry et un peu partout pour des commandes. Donc, je reçois beaucoup de commandes avec les céréales. Il y a une grande et fidèle clientèle. Donc, on produit en quantité.
Guinéenews : avec tout cela, vous travaillez avec combien de femmes ?
Madame Boiro : j’ai trois équipes de femmes. Il y a une première équipe qui s’occupe du fonio, une seconde équipe qui gère le couscous du maïs et la dernière est au niveau des jus et boissons naturels pour un total de 10 femmes qui travaillent ici en permanence. On a aussi des stagiaires avec nous.
Guinéenews : donc, vous travaillez au quotidien ?
Madame Boiro : oui le fonio c‘est tous les jours. Pour le couscous du maïs et les boissons naturelles, ça dépend des commandes.
Guinéenews : comment faites-vous pour vous en sortir financièrement parce qu’on sait que toutes ces machines et ces produits nécessitent de gros moyens ?
Madame Boiro : on a été accompagné par des projets. En premier lieu, ITC Intégra nous a fourni beaucoup d’équipements et des formations. Il y a aussi l’UGVD en collaboration avec la coopérative ABI qui nous ont aussi accompagnées en formation sur la transformation des légumes de fruits en confiture, en jus nature, en purée. Ils nous ont aussi apporté du matériel et de l’emballage plus des tenues de travail.
Guinéenews : mais vous travaillez chez vous, à domicile ?
Madame Boiro : oui c‘est ici notre siège et je vis ici avec ma famille. Mes deux filles qui sont là participent souvent aux activités selon leur disponibilité.
Guinéenews : à ce jour, vous avez transmis ce savoir-faire a combien de femmes ?
Madame Boiro : je n’ai pas compté car je donne des conseils et des formations gratuites a beaucoup de femmes qui évoluent en dehors de notre entreprise. Et beaucoup d’autres aussi sont passées par là. Les portes sont ouvertes à tout le monde.
Guinéenews : depuis quand faites-vous ces transformations des jus et des céréales ?
Madame Boiro : c’est depuis 2018. J’avais peu de notions car c‘est avec le couscous de maïs que j’avais commencé. Ainsi, des gens m’ont fait savoir à l’époque que le président Alpha Condé voulait développer le fonio. C’est comme ça que les gens m’ont encouragée et je suis allée acheter 50 kilogrammes de fonio que j’ai pillé avec mes enfants pendant deux jours. Après je suis allée au gouvernorat de Labé pour rencontrer l’action sociale. Ils m’ont proposée de faire un groupement. Ainsi, j’ai invité mes connaissances, mes voisines pour faire le groupement. C’est comme ça qu’on a mis en place le groupement, on a procédé à une contribution, j’avais déjà acheté quelques matériels et on s’est lancé.
Guinéenews : depuis, quels sont les avantages que vous avez pu tirer de cette activité ?
Madame Boiro : oui, il y a plusieurs avantages. D’abord on m’a beaucoup connue à travers cela et ça m’a permis de visiter beaucoup de pays et d’expositions.
Guinéenews : des pays comme ?
Madame Boiro : je suis allée au Sénégal plusieurs fois, je suis allée en Afrique du Sud, je suis allée l’année passée au Rwanda. Donc, il y a une grande visibilité comme avantage. Ensuite, nos transformations des céréales reposent les femmes qui n’ont pas beaucoup de temps car si elles achètent nos produits c’est pratiquement pour finaliser la cuisson. Donc, ce qu’on fait ici réduit le travail des femmes dans les foyers. C’est pourquoi je n’aime pas vendre les produits chers. Au fait, j’achète par exemple le fonio moins cher lors de la bonne période, donc même s’il y a une augmentation par la suite sur le marché, je n’augmente pas le prix à mon niveau.
Guinéenews : forcément madame il y a aussi des difficultés parce que l’entrepreneuriat n’est pas facile chez nous ?
Madame Boiro : oui évidemment parce qu’il y aura toujours des restants dans ce que nous produisons. Il y a toujours des difficultés à travailler avec certaines femmes. Donc, il faut être compréhensif, souple et toujours se former tout en se comparant à ceux qui sont devant.
Guinéenews : pour finir peut-être un appel à l’endroit des femmes qui nous lisent pour qu’elles sortent de leur zone de confort et se battre comme vous le faites avec votre entreprise !
Madame Boiro : tout ce que je peux dire aux femmes, c’est qu’il n’y a pas un sot métier. Donc, valorisons ce que nous connaissons. Moi j’étais enseignante mais l’entreprenariat m’a attirée et m’a retenue. Donc, je dirais aux femmes de ne pas attendre seulement la dépense que le mari donne, il faut chercher aussi. Un jour si ton mari n’est pas là, comment vas-tu faire pour nourrir tes enfants ? Donc, il faut faire quelque chose. La transformation des produits locaux ce n’est pas un métier à négliger. C’est quelque chose qui valorise nos produits et qui nous amène très loin.
Des propos recueillis par Alaidhy Sow, Labé pour Guineenews.org