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Voici la dette colossale et personnelle d’Alpha Condé que la Guinée doit payer (Enquête exclusive)

La prise de pouvoir en Guinée par Mamadi Doumbouya un certain 5 septembre vient avec des responsabilités liées à la souveraineté de l’État guinéen dont il a pris la destinée. Déjà dans la foulée du coup d’État, un milliardaire burkinabé a demandé à ce que les dettes contractées par Alpha Condé pour la location des avions des voyages présidentiels lui soient remboursées. Maintenant, c’est un trafiquant de matériel militaire israélo marocain qui réclame 80 millions d’euros à la Guinée. Et il a un jugement d’un tribunal français auquel la Guinée a participé pour confirmer la dette.

Comment en est-on arrivé à cette énième situation où la réputation de la Guinée comme mauvais payeur se confirme?

Guinéenews a enquêté …

Après le scrutin présidentiel en novembre 2010 – plusieurs mois entre les 2 tours – le président élu Alpha Condé a hérité d’une administration et surtout d’un service de sécurité présidentiel qu’il ne connaissait pas vraiment ayant passé la plus grande partie de sa vie à l’extérieur. Dans l’optique de ce qui pourrait être un bras de fer qui s’annoncait entre Alpha Condé et l’armée qu’il ne contrôlait pas, l’ancien président pensait à sa sécurité physique.

C’est ainsi que le 11 janvier 2011 avec la Guinée quelques semaines après l’investiture du Professeur Alpha Condé comme nouveau Président de la Guinée qui a eu lieu le 21 décembre à Conakry, une compagnie de droit belge AD TRADE signe une série de contrats de sécurité. Le premier des contrats, dénommé, « Léopard », prévoyait la création d’une “unité de renseignement présidentielle”. Le deuxième contrat, dénommé « Panthère », avait pour objet la sécurisation par AD TRADE des résidences du chef de l’État à Conakry.

La valeur de ces 2 contrats: 78 millions d’Euros soit environ 800 000 milliards de FG.

Tous des contrats de gré à gré entre le président guinéen et la société AD Trades. Sans appel d’offre et les caisses étant vide, sans moyen de payer.

Un marchand de sécurité au service des dictateurs africains

Là où l’histoire devient intéressante c’est l’acteur principal dans ce dossier. Son nom est Gabriel Peretz (Gabi Peretz), le PDG du groupe auquel appartient AD TRADE. Le dossier de jugement le décrit comme suit:

Né au Maroc, il (Peretz) arrive en Israël à l’âge de cinq ans. Pendant 19 ans, il fit carrière dans les forces aériennes israéliennes, qu’il quitta en 1987 avec le grade de lieutenant-colonel. Par la suite, il fonde AD Con, une société spécialisée dans la vente de matériel sécuritaire et militaire. Grâce à sa maîtrise du français, il sut développer d’excellents contacts avec les chefs d’État de plusieurs pays africains francophones. Ainsi, Peretz compte parmi ses clients : le Burkina Faso, le Burundi, le Cameroun, la République  Centrafricaine, le Tchad, le Gabon, le Niger, le Nigéria, le Rwanda et le Sénégal.

En fait, en Israël, il existe un fossé culturel entre l’establishment surtout composé des Juifs d’origine européenne (les Ashkenazi) – qui contrôlent le pouvoir politique et économique du pays – comparés aux Juifs d’origine arabe (les Sépharades). Ces derniers ont eu des difficultés d’intégration économique au sein de la société israélienne. Comme le Maroc a une influence en Afrique Noire, il est tout à fait normal que Peretz, un sépharade – soit introduit dans la zone francophone certainement par l’intermédiaire de son parrain d’alors: le président Blaise Compaoré du Burkina Faso, l’homme des réseaux.

Amis de longue date, Gabriel Peretz et le Prof. Alpha Condé se sont connus lors de l’exil politique de ce dernier en France. Dès leurs premiers contacts notamment au Burkina-Faso, en France et au Sénégal, dans la perspective des élections de 2010, le Professeur Alpha Condé fit part à M. Gaby Peretz de sa crainte sur sa sécurité future et sur les complots qui pourraient se tramer pour déstabiliser un nouveau régime démocratique. (…) .

Apha Condé invite donc Gaby Peretz, ses fils, ainsi qu’un directeur du Groupe AD, M. Max Abitbol, à la cérémonie de son investiture le 21 décembre 2010 à Conakry.

Bref l’ancien président ne faisait pas confiance aux services de sécurité guinéens qu’il a trouvés sur place. Il lui fallait utiliser – comme il le ferait dans plusieurs autres occasions – son propre réseau non Guinéen.

Un contrat de gré à gré entre Alpha Condé et Peretz

M. George Korda, l’un des consultants qu’AD TRADE avait engagé pour l’assister dans l’exécution du Contrat Léopard, commença à travailler sut les contrats Léopard et Panthère immédiatement après l’investiture du Président. Le Contrat Léopard avait pour but la mise sur pied d’un nouveau service de renseignement directement contrôlé par le Président. En effet, le Professeur Alpha Condé n’avait aucune confiance dans les structures de renseignement créées auparavant par Lansana Conté et issues des forces armées. Il insista donc pour que tous les effectifs de la nouvelle unité soient formés ab initio.

Le Contrat Léopard avait donc deux volets : d’une part, la formation des agents et l’encadrement de la nouvelle unité, d’autre part, la fourniture des équipements de surveillance que la nouvelle unité devait utiliser dans l’exercice de sa fonction. En vue de la conclusion du Contrat Léopard, le 10 janvier 2011, AD CON soumit une Offre Financière Pour L’Etablissement d’une Unité Présidentielle de Renseignements (D.S.I.E). Cette offre se chiffrait à 15 344 088 Euros

En plus de la formation, Alpha Condé se voit offrir en janvier 2011 des offres techniques et financières pour plusieurs systèmes de surveillance tels que les systèmes « Cobra » et « GalTrack » ou la fourniture de véhicules de surveillance (véhicules sous-marins) ou encore un système de surveillance aérienne « Topeye » . Selon l’offre financière, le coût de ces équipements se chiffrait à 57 666 986 Euros .

Mais un détail politique attira l’attention de l’ex président Alpha Condé.

Les offres étaient faites aux noms d’AD CON et de Galint, toutes deux sociétés de droit israélien. A la dernière minute, le Président Alpha Condé insista pour que les contrats soient conclus avec une société européenne, dans le but d’éviter le risque de heurter des sensibilités politiques et religieuses en concluant des contrats avec des sociétés israéliennes, la Guinée étant un pays majoritairement musulman . C’est ainsi qu’AD CON et Galint furent substituées par AD TRADE, une filiale belge du groupe.

Le 11 janvier 2011, Alpha Condé fit venir à son bureau Abdoul Kabélé Camara, le Ministre délégué à la Défense Nationale, d’alors et lui présenta Monsieur Gaby Peretz. Et lui dit: “vous allez signer, mais gardez confidentiel ce Contrat parce que nous n’avons pas d’argent. Vous le gardez. L’État est en difficulté, et (…) je vient d’être investi »  Kabélé témoignera en ces termes au Tribunal: « J’ai signé, M. Gaby Peretz a signé pour AD TRADE, et nous avons gardé la confidentialité.

Ainsi, le 11 janvier 2011, Me Camara signa pour le compte du Président le Contrat Léopard entre AD TRADE d’une part et le Ministère de la Défense Nationale de la Guinée d’autre part, représenté par le Ministre délégué à la Défense nationale.

Le prix des prestations d’AD TRADE pour ce contrat était 73 011 077 Euros ( soit environ 741 milliards de francs guinéens). Avec les frais de financement sur trois ans, le montant total du contrat « Léopard » était de 77 638 154 Euros ( soit environ 788 milliards de francs guinéens). Le même jour, AD TRADE signa un deuxième contrat avec le Ministère de la Défense Nationale de la Guinée, le Contrat Panthère, qui avait pour but la fourniture par AD TRADE d’une « solution intégrée, efficace et fiable pour la protection de la personne du Président de Guinée, ainsi que pour la protection de son domicile privé et du Palais Présidentiel ». Le prix des prestations d’AD TRADE pour le Contrat Panthère était 10 480 000 Euros ( plus de 106 milliards de francs guinéens).

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La formation commence …. Des étudiants peu intéressés

Un groupe d’hommes sera désigné par Alpha Condé pour être formé à l’espionnage des Guinéens et à la sécurité du nouveau président. Ce groupe est composé du Colonel Djibril Traoré, issu des anciens services de renseignement et qui, par la suite, devient le premier Directeur Général de la DGSIE, le Commissaire Abdourahmane Doumbouya, policier de formation et Commissaire spécial chargé de l’Aéroport National de Conakry, M. Socrate Keita Sékou, également de la police guinéenne, et par M. Thomas Barthélemy Lucas Bangoura, décédé depuis, mais de son vivant aussi officier de police.

AD TRADE sous-traita la formation avec l’European Strategy Intelligence and Security Center (ESISC) créé en 2002 par M. Claude Moniquet, un ancien agent de la Direction Générale de la Sécurité Extérieure Française (DGSE) le service de contre-espionnage de l’état français. ESISC est donc chargé de la conception des cours et l’exécution des formations des agents de la République de Guinée portant sur le Renseignement offensif, Contre-espionnage, Analyse des renseignements, Interrogatoires, Surveillance, Filature etc…

Un groupe de formateurs israéliens viendra compléter les cours de formation des stagiaires sous l’autorité du colonel Djibril Traoré. N’ayant aucune confiance dans les services de renseignement préexistants, le Président Alpha Condé exige que le nouveau service soit créé ex nihilo.

Quoique la “formation” aura lieu entre juin 2012 et décembre 2012, des difficultés apparaissent très rapidement. Le principal problème étant essentiellement, le manque suffisant de soutien gouvernemental et surtout le manque d’argent ce qui fait que Peretz était obligé de préfinancer.

Les rapports d’activité mentionnent aussi un taux d’absentéisme des stagiaires. Par exemple dans le compte rendu de formation pour la période du 19 mai au 19 juin 2012 “L’effectif quotidien était de l’ordre de 9 à 11 stagiaires par groupe pour un effectif complet de 14. Aucune des personnes ayant manqué une journée d’instruction avec son groupe n’a cherché à rattraper cette journée en participant à l’instruction avec un autre groupe (,…) Pour cela, un certain nombre de personnes doivent encore démontrer leur motivation, être plus présentes à l’instruction et avoir la volonté d’apprendre et de travailler.”

Les paiements retardent. Peretz s’impatiente.

L’attaque au domicile du président du 18 au 19 juillet 2011 trouvera Peretz en Guinée et la société accélère la formation. Mais toujours non payée Peretz demande son argent…. Le premier calendrier de paiement de 25 millions d’Euros initialement prévu le 31 octobre 2011 est repoussé au 31 janvier 2012. Aucune réponse à la demande de paiement de la part de la Guinée.

Au 6 janvier 2012, Peretz s’adressera directement au président Alpha Condé surtout que la première vague de formation de stagiaires était officiellement finie et la création de la nouvelle DGSIE annoncée pour le 18 janvier 2012.

Aucune réponse de la part du président guinéen, mais AD Trade continuera toujours la “formation” en 2012 et en fin d’année conditionne la continuation de la formation de la DGSIE en 2013 à deux éléments: a) qu’il y ait un accord sur le budget du fonctionnement de l’unité et b) que les infrastructures physiques soient construites pour héberger la technologie de la DGSIE.

Fin décembre AD Trade quitte le pays sans avoir été payé. Dans une missive du 13 décembre 2012, le Colonel Djibril Traoré, Directeur Général de la DGISE adressa à Gaby Peretz une lettre pour lui “signifier toute ma satisfaction pour le travail énorme abattu dans la mise en place du projet « Léopard »”

Six mois après, en juin 2013, Peretz propose un règlement à l’amiable suivi d’une missive le 19 novembre 2014 toujours sans réponse.

Et vinrent les avocats.

Comme le contrat stipulait que les différends se règleraient en France, Peretz fait une écrire par son avocat une lettre de réclamation de paiement intégral à Alpha Condé. En effet selon l’article 9.3 des Contrats Léopard et Panthère « La loi applicable est la loi française. »

En plus la compagnie ajoute le montant dû au titre du contrat Eléphant, concernant l’acquisition d’un avion militaire Casa. Alpha Condé accepte le principe d’achat d’un avion militaire et les émissaires d’AD Trade se rendent à Conakry pour rencontrer Tidiane Condé, Directeur Général de la DGSIE nommé en remplacement du Colonel Djibril Traoré. Ce dernier confirme la livraison du contrat et ordonne à M. Amadou Kenema, Contrôleur Général de la DGSIE, nommé par le Président de la République et supérieur hiérarchique de M. Tidiane Condé de procéder à l’autorisation de paiement.

Me Fischer, l’avocat d’Alpha Condé quant à lui fait des obstacles à la poursuite contre son client. Il déclare d’abord que le contrat n’est pas valide parcequ’il n’a pas été soumis au ministère du budget pour approbation, ensuite que le processus de passation de marché n’a pas été appliqué ce à quoi s’opposent les avocats de AD Trade qui disent que c’est l’acheteur lui même – Alpha Condé – qui a contourné le passage par le code des appels d’offre et que c’est lui même qui a exigé de ne pas informer le budget pour ne pas que le FMI s’aperçoive de la dépense. L’avocat guinéen s’objecte aussi de la “qualité du matériel fourni” qui “soit était inadapté aux besoins, soit ne fonctionnait pas ou ne pouvait pas être utilisé parce que les manuels d’utilisation étaient rédigés en anglais, langue que les agents formés par AD TRADE ne maîtrisaient pas.” Le prestataire quant à lui brandit les « certificats de satisfaction” délivrés par le DG de la DGSIE. Finalement AD Trade contre attaquant l”argument de l’utilisation d’un sous traitant que c’est à la demande de la Guinée.

Cest ainsi que le 22 novembre 2017, le Tribunal de Paris condamne la Guinée suite à une longue procédure à payer la société belge AD TRADE Belgium S.P.R.L appartenant à l’israélien d’origine marocaine les sommes de 77 981 208 Euros et 157 402,50 Dollars américains.

  • 31 906 745 Euros, à titre de paiement pour les services et matériel fourni dans le cadre du Contrat Léopard ;
  • 13 782 599 Euros en tant que intérêts moratoires simple de 10.3% calculés jusqu’au 5 octobre 2016 ;
    Un intérêt moratoire capitalisé de 10.3%, à partir du 6 octobre 2016 jusqu’au paiement intégral sur tous les montants alloués sous le chiffre A.1;
  • 157 402,50 Dollars américains au titre des frais d’arbitrage de la CCI et 385 119 Euros à titre de frais de défense.

Comment faire payer la Guinée?

Pendant des années, Peretz cherchera à faire exécuter le jugement du Tribunal de Paris sans succès. Il est difficile de faire saisir les biens d’un état souverain qui est généralement sous immunité diplomatique.

Coup de théâtre en septembre 2021, Mamadi Doumboya l’ancien stagiaire en Israël lieutenant colonel dans l’armée guinéenne renverse Alpha Condé dans un coup d’État et prend le pouvoir. Peretz se précipite dans un avion privé – de marque canadienne Bombardier Global 5000 immatriculé VP-CSB et opéré par une société des îles Caïmans – à Conakry du 1er au 4 novembre 2021.

Rien n’a filtré sur les entretiens entre la junte et Peretz mais il semble tout porte à croire que le règlement de la dette contractée par Alpha Condé était à l’ordre du jour.Tout porte à croire aussi que les 2 parties ne se sont pas entendues car le courtier d’armement Gaby Peretz s’est tourné vers la justice américaine pour confirmer la sentence arbitrale rendue en sa faveur en 2017 par la Chambre de commerce internationale (CCI).

En un mot Gaby Peretz cherche à saisir les biens de la Guinée – bâtiments, comptes bancaires – aux Etats-Unis. Ses chances d’y arriver sont très faibles voire nulles mais le risque réputationnel de la Guinée est incalculable.

Contacté par Guinéenews pour savoir si la Guinée compte payer cette réclamation monétaire au moment où les difficultés financières sont légions, Me Mohamed Sampil, l’agent judiciaire de l’état n’a pas pris le téléphone quand on l’a appelé.

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