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Vente de «faux» médicaments : la mort au bout d’un trafic juteux

On les appelle « pharmacies par terre », « pharmacies à la sauvette », « pharmacies trottoirs », « pharmacies ambulantes ». D’ailleurs, peu importe le nom, car la réalité est la même : la vente illicite des médicaments s’est énormément développée en Guinée. Elles explosent dans les marchés, au bord des rues. Elles présentent des molécules de toute espèce qui séduisent, qui trouvent acheteurs parce qu’elles sont vendues à bon prix, c’est-à-dire à un prix accessible au pauvre citoyen. Ces médicaments d’origine douteuse pour la plupart dangereux, contrefaits ou périmés représentent près de 70% des médicaments vendus en Guinée. Le commerce des faux médicaments dégagerait en Guinée un chiffre d’affaires estimé à des milliards de dollars.

Les principaux acteurs de ce commerce illicite : Les vendeurs

Le vendredi 4 février dernier. Nous voilà au grand marché de Madina, cette fois-ci sur le site dénommé par ironie, « l’Espace Santé pour Tous », qui abrite les plus grands magasins répartiteurs de médicaments en Guinée et même dans la sous-région. Mais sur place, quelle ne fut pas notre surprise de voir des surfaces à des superficies incommensurables ! Toutes sortes de médicaments y sont exposées. On se croirait dans des usines de fabrication de produits pharmaceutiques. Ces boutiques de vente de « poisons », pardon, de médicaments, sont, pour la plupart tenus par des analphabètes, ceux qui n’ont rien à voir avec  la pharmacie. On les appelle docteurs de rue ».

Beaucoup sont des jeunes citadins chômeurs, ou des jeunes ruraux venus faire fortune en ville. Souvent, ils se connaissent parce qu’ils sont issus d’une même région. Aussi, ils développent une forte solidarité. Ils habitent sous un même toit et se soutiennent dans les difficultés. Ils sont généralement analphabètes et sans aucune formation médicale particulière. Leurs connaissances consistent avant tout en divers savoir-faire indispensables, autant pour acheter les produits que pour les prescrire. Certains disent tenir leur savoir d’un membre de la famille lié à des parents « guérisseurs ou tradi-praticiens ».

« J’ai appris à vendre les médicaments auprès de mon grand frère. Il m’a emmené du village pour venir l’aider. Après avoir passé des années dans sa boutique de produits pharmaceutiques au marché d’Enta, je me suis installé à mon propre compte. J’ai tous mes papiers. J’ai payé 500 millions de francs guinéens au ministère de la Santé, pour avoir l’autorisation de m’installer ici à Madina. Et il en est de même pour tous les vendeurs qui sont ici. Personne d’entre-nous n’est pharmacien ou médecin. Nous avons tous appris sur le tas », nous raconte A. D, l’un des plus grands grossistes de produits pharmaceutiques, interrogé.
Le travail de vendeur demande beaucoup de disponibilité, ce qui le réserve aux garçons. Il n’est pas à la portée de la jeune fille, encore moins à celle de la femme mariée.
D’autant plus que certains deviennent marchands ambulants, passant régulièrement (deux ou trois fois par semaine) dans les cours où ils ont des clients. En effet, certains consommateurs deviennent des « quasi-abonnés ».

Les clients

Les « pharmacies par terre » recrutent leur clientèle au sein de toutes les couches de la population. Cadres moyens, petits commerçants, conducteurs en tout genre, et les personnes démunies sont les plus assidus. Certains fonctionnaires aussi viennent, car leur niveau de vie a bien baissé avec la crise économique. Mais ils veulent de plus s’éviter des pertes de temps et d’argent dans les démarches de consultation au centre de santé et les longues listes de produits à acheter. D’autres, conducteurs routiers et chauffeurs de taxi, se présentent parce qu’ils sont pressés. Mais, souvent, ils sont aussi à la recherche de produits « fortifiants » ou « tonifiants » qui les aideront à accroître leurs performances au volant de leur véhicule.

Ensuite, viennent les ménagères qui sont les plus nombreuses parmi les clients des « pharmaciens ambulants ». Les vendeurs viennent les voir à la maison ou les rencontrent à la sortie des marchés. Même sortant des centres médicaux, la plupart de ces femmes s’adressent sans hésitation à eux. Certaines cherchent aussi des crèmes et des gels éclaircissants qu’elles ne trouvent nulle part ailleurs. Enfin, il existe d’autres clients qui, bien qu’ayant des ressources suffisantes, achètent des médicaments chez les vendeurs ambulants pour des maux qu’ils jugent « simples » ou « passagers » comme les maux de tête, les rhumes…

Qu’est qui pousse les gens vers ces pharmacies ?

La première raison qu’ils donnent est la modicité de leur revenu. Cela influe sur la qualité et la quantité des médicaments achetés. Moins un revenu est consistant, plus la tentation est grande de se tourner vers la thérapie la moins coûteuse. Même disponibles en quantité et en qualité, les médicaments de la médecine conventionnelle ne sont pas à la portée de toutes les bourses. De plus, un grand nombre de gens craignent les longues ordonnances que beaucoup d’infirmiers ou de médecins n’ont pas perdu l’habitude de faire.  De plus, les clients, souvent analphabètes, se sentent plus à l’aise avec ces vendeurs qui parlent leur langage et les comprennent.

« Que voulez-vous ? Les produits coûtent chers dans les pharmacies ! Les mêmes produits se vendent moins chers dans la rue. Nous n’avons pas de moyens et pourtant il faut se soigner. C’est vrai, nous connaissons les risques de l’utilisation de ces médicaments achetés dans la rue. Mais que faire », s’interroge notre interlocuteur.

 La vente des médicaments à l’unité est encore une autre raison pour venir se fournir à la « pharmacie par terre ». « Je viens acheter les médicaments au marché parce que les produits y sont moins chers que ceux de la pharmacie. Par exemple, si j’ai 2000 francs, je peux acheter deux comprimés de nivaquine, au marché, et je garde le reste de mon argent », dit un jeune acheteur.

Pour d’autres encore, et cela peut sembler paradoxal, l’espace social du marché semble protéger, mieux que les services de santé, leur pudeur et la confidentialité. Le brouhaha du marché préserve le secret, et certains, qui ont honte d’aller à l’hôpital expliquer leur maladie, préfèrent l’anonymat et la rapidité de la vente locale.

En fait, il semble que l’atout du marché parallèle est le déconditionnement, car une unité de médicament achetée est toujours moins chère que la boîte. Et même si, finalement, le patient débourse plus en achetant plusieurs comprimés à l’unité que s’il achetait une boîte en une fois, il préfère fractionner ses achats.
Il faut cependant ajouter que les pharmaciens africains vendent beaucoup de génériques non conditionnés.

Pourquoi les « pharmacies par terre » se sont-elles tant développées ?

 Plus d’un pense que le libéralisme économique prôné au sortir du régime Sékou Touré en 1984 et la crise économique et les programmes d’ajustement structurel des années 1990, ont permis l’installation des pharmacies parallèles pour la vente de médicaments pour une grande partie de la population. Il faut ajouter la démographie galopante du pays, qui a engendré une forte demande en produits pharmaceutiques.

Aujourd’hui, le succès de ce commerce illégal des médicaments vient de ce qu’il est très prisé par les populations pour des raisons évidentes d’économie. En effet, se soigner est devenu une charge difficilement supportable par beaucoup de ménages dont le revenu mensuel est souvent en deçà du coût moyen d’une ordonnance. En fait, l’inégalité devant les soins, c’est aussi l’inégalité devant la santé, qui en appelle une autre : l’inégalité devant la mort.

« Les pharmacie par terre » paraissent donc être un mal nécessaire pour la plupart des populations que les politiques officielles de santé ont laissées en marge dans leurs programmes successifs. Mais, si les bons médicaments soignent, contrefaits, ils peuvent aussi tuer. En payant ces médicaments, on achète parfois la mort.

D’où proviennent les médicaments ?

Il y a d’abord les médicaments contrefaits qui viennent surtout du Sud-Est asiatique et aussi du géant de la contrefaçon de l’Afrique de l’Ouest, le Nigéria. Mais d’autres médicaments aboutissent dans les « pharmacies par terre » parce qu’ils ont été soit détournés dans les pharmacies ou les centres médicaux, soit librement fournis par des pharmaciens peu scrupuleux qui n’hésitent pas à alimenter ce marché. Il est d’ailleurs étrange que très peu de sanctions soient prises contre les auteurs de ces détournements.

Attention danger !

S’approvisionner dans les « pharmacies par terre », c’est parfois parier sur la mort. En effet, outre l’origine douteuse d’un certain nombre de médicaments, il faut tenir compte des conditions de leur conservation. Malgré 70% d’humidité et des températures moyennes de 34°, les comprimés, les gélules et les collyres sont, la plupart du temps, conservés en vrac dans des sachets en plastique ou des bouteilles. Dans le meilleur des cas, un parasol ou un hangar de fortune les protège du rayonnement solaire direct.

A quand des médicaments produits en Guinée et bon marché ? 

Quant à la date de péremption ou date limite d’utilisation, elle ne constitue pas un souci majeur pour le vendeur. Même quand ils sont périmés, on change l’emballage des médicaments avec de nouvelles dates qui n’ont rien à voir avec leur durée de vie réelle. « Malgré tout, curieusement, ces produits ont le don de soulager des patients, on ne sait pas par quelle magie, mais c’est le cas », s’étonne un médecin.

Que disent les pouvoirs publics ?

Au ministère de la Santé, on nous apprend que  depuis des années la lutte contre les pharmacies par terre se poursuit sur le terrain. Aidés par les responsables du syndicat des pharmaciens, les inspecteurs du département soutiennent qu’ils sont à chaque fois sur le terrain à la chasse des vendeurs à la sauvette. « A plusieurs reprises, la presse a révélé et dénoncé des cas d’intoxications dues à la consommation de ces médicaments. La télévision elle-même a plusieurs fois réalisé des sketchs pour sensibiliser la population sur les dangers des « médicaments par terre ». Malgré tous ces efforts, les médecins et les associations n’arrivent pas à freiner le phénomène. Parfois, les forces de l’ordre appréhendent l’un ou l’autre trafiquant avec des produits illicites et d’autres poudres inconnues, mais les contrôles ne sont pas réguliers », nous raconte un conseiller du ministre..

Un combat sans effet

Devant l’impuissance des autorités, on serait tenté de croire à une sorte de « tolérance » des pouvoirs publics vis-à-vis des vendeurs. Sur les marchés, dans les rues, autour des places, ils circulent librement, s’installent sans obstacle. Souvent même, ils acquittent, au même titre que n’importe quel commerçant, une patente quotidienne auprès des responsables des marchés. C’est le cas au grand marché de Madina « Nous payons des taxes à l’Etat. D’ailleurs, je vous apprends que nous avons nos récépissés obtenus à partir du ministère de la Santé. Nous avons payé 500 millions de francs guinéens pour avoir des papiers », nous apprend B M, un autre grossiste au marché de Madina. Et pourtant, tout le monde le dit : si le gouvernement le veut, il peut, en seulement quelques jours, mettre fin à la « pharmacie par terre ».

En l’absence donc d’une politique rigoureuse de contrôle des médicaments vendus à la sauvette ou sur les étalages, dans les rues et marchés, tous les abus sont à craindre. « La politique sanitaire ne doit pas viser uniquement la multiplication des centres de santé bien structurés, bien équipés et disposant de personnels médicaux et paramédicaux hautement qualifiés. Il faut qu’elle songe aussi à l’approvisionnement régulier en médicaments appropriés, efficaces, de bonne qualité et à des prix abordables», suggère un médecin rencontré à l’hôpital Ignace Deen de Kaloum.

On peut toujours rêver au jour où la Guinée pourra mettre sur pied une industrie pharmaceutique autonome. Mais des contraintes majeures freinent ou limitent ce genre d’efforts. Ces contraintes sont d’ordre économique (le coût relativement très élevé d’une entreprise) ou scientifique (l’insuffisance dans la recherche biomédicale).

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