Vingt-cinq ministres dont deux secrétaires généraux. C’est la configuration du gouvernement proposé par le Premier ministre Mohamed Béavogui. Un gouvernement composé en majorité de Guinéens de la diaspora et qui aura la charge de conduire la transition dirigée par le colonel Mamadi Doumbouya par ailleurs président du Comité National de Rassemblement pour le Développement (CNRD), la junte militaire au pouvoir depuis la chute du régime d’Alpha Condé le 5 septembre dernier.
Cette fois-ci, les opportunistes et autres arrivistes, qui depuis une trentaine d’années rôdaient toujours, quel que soit le régime, autour du Palais présidentiel, ont été évités laissant la place aux nouvelles personnelles. Si l’on doit applaudir cette rupture d’avec l’ancien système ayant longtemps guidé et prévalu dans les choix des membres du gouvernement, toutefois, à l’analyse des premiers actes posés, des signes avant-coureurs qui apparaissent, laissent croire que la transition démarre sur de mauvaises roues. Certains Guinéens sont sceptiques quant à l’aptitude de cette équipe à mener avec succès la difficile mission de la Transition placée sous le magistère du Colonel Mamadi Doumbouya. La forte présence des binationaux et des novices au sein de l’équipe gouvernementale est loin de rassurer plusieurs de nos compatriotes. Que doit-on réellement espérer de cette nouvelle équipe ?
Les premiers gestes de soulagement
C’est vrai ! La transition en cours depuis le 5 septembre dernier continue de bénéficier de l’adhésion et le soutien de l’écrasante majorité du peuple de Guinée. Et à juste raison. Pour une fois, un Chef d’Etat guinéen a échappé aux griffes de ce que beaucoup appellent « charognards et vautours » qui tournent autour du Palais Présidentiel. Ces habitués des antichambres des Palais des Nations et Sékhoutoureya ont soigneusement été écartés comme d’autres qui ont déjà occupé une parcelle de responsabilité dans les régimes précédents. Ils ont tous été mis de côté. Une démarche qui correspond strictement à une promesse des nouvelles autorités, faite dès les premières heures de la prise du pouvoir.
Et ce n’est pas tout ! Le colonel Doumbouya et ses compagnons avaient donné l’alerte dans la première semaine de leur arrivée : la levée des clous des PA dans les quartiers et carrefours de la capitale, la libération des prisonniers politiques, la revue à la baisse du prix du carburant à la pompe, l’annulation des 5% prélevés sur les salaires des fonctionnaires, l’annulation du couvre-feu imposé aux Guinéens depuis un an dans le cadre de l’Etat d’urgence sanitaire dû à la pandémie de COvid-19, la discipline imposée au niveau de la police routière, l’ouverture des frontières avec cinq pays limitrophes. Il faut surtout retenir les visites de recueillement effectuées sur les tombes des défunts présidents de la Guinée, Ahmed Sékou Touré, général Lansana Conté et l’ex-première Dame Andrée Touré à son domicile. Sans oublier non plus celles effectuées au sinistre Camp Boiro et au pied du mont Kakoulima où reposent à jamais le colonel Kaman Diaby et ses compagnons d’infortune.
Ces gestes d’apaisement ont mis tout le monde d’accord que le CNRD s’est mis sur la droite ligne de la réconciliation du peuple de Guinée. Jamais dans l’histoire de la Guinée, un Chef d’Etat n’a posé autant d’actes rassurants à son arrivée à la tête du pays. Ce qui fait dire à beaucoup de citoyens que le processus de transition est en marche.
CNRD : le premier couac
Mais attention ! Tout n’est pas rose comme on peut le penser. Ils sont nombreux des Guinéens qui restent encore dubitatifs vis-à-vis des nouvelles autorités qui, jusqu’ici, n’ont pu mettre le grappin sur les anciens dignitaires qui sont soupçonnés à tort ou à raison d’être des grands prévaricateurs ayant trempé dans de nombreuses malversations financières en Guinée. Ce doute s’est beaucoup plus renforcé après la nomination des membres du gouvernement. Ce premier couac peut entrainer des facteurs conflictuels entre les Guinéens qui s’impatientent et la junte au pouvoir. Et on se rappelle si comme s’était hier. De Lansana Conté à Alpha Condé en passant par Moussa Dadis Camara et Sékouba Konaté, les auteurs de la mal gouvernance dans les gouvernements précédents, n’ont jamais été inquiétés. Ces bandits à col blanc n’ont jamais retourné à l’Etat ce qu’ils ont volé dans les caisses. Ainsi, le peuple qui a applaudi la prise du pouvoir par les militaires le 5 septembre dernier attend, impatient, que les cadres coupables de concussions soient interpelés pour répondre de leurs actes. Pour ces Guinéens, c’est l’un des challenges majeurs allant dans le cadre l’indispensable moralisation de la gouvernance publique et de la refondation de l’Etat. Et le plus tôt serait le mieux.
Ce gouvernement saura-t-il être à la hauteur de l’attente des Guinéens ?
Trop tôt pour répondre avec exactitude à cette question. Cependant, vue la composition de l’équipe du Premier Mohamed Béavogui, le doute est permis. Une constellation de cadres issus de la diaspora, des binationaux, des novices, bref des ministres ‘’stagiaires’’ comme les appellent ironiquement certains. En raison de leur manque d’expériences avéré dans la gestion de l’administration publique. Même si un ministre est un manager et le principal coordonnateur d’un département, il est important que ce dernier ait un minimum d’expérience dans la gestion des affaires de l’Etat, dans l’administration et ait la maitrise du secteur qu’il a en charge. Malheureusement ici, certaines nominations laissent à désirer pour une équipe qui ambitionne la refondation d’un Etat. Les ministères des Transports et des Travaux Publics ; de la Fonction Publique ; de l’Environnement ; de l’Information, de l’Education ; de la Pêche et de l’Economie Maritime ; des Affaires Etrangères, de l’Energie et d’Hydrocarbures ; des Mines et Géologie, pour ne citer que ceux-là, semblent, de l’avis de certains observateurs, mal servis.
Aux dires de ceux-ci, il y a eu un manque d’un véritable coaching de la part du Premier ministre Mohamed Béavogui dans le choix des hommes. Car, disent-ils, le Premier ministre se serait contenté des CV sans tenir compte des réalités du pays et des préoccupations du peuple. Ces départements ministériels cités ci-dessus sont ‘’mal coiffés’’. Certains ministres mettront du temps avant de s’adapter à la réalité. D’autres pour des conflits d’intérêt, risquent de colmater et passer lamentablement à côté de la plaque. Et si c’est ainsi, il va s’en dire qu’un fiasco pointe à l’horizon quant à la réussite de la mission qui est celle de refonder le pays, aboutir à une alternative démocratique et renversé la mal gouvernance.
Le CNRD qui d’ailleurs n’a apparemment pas encore dévoilé la composition de son équipe au complet, risque à ce rythme, de rater la mise en place des fondamentaux essentiels nécessaires à l’avènement d’un véritable Etat de droit afin d’accomplir les aspirations légitimes, le mieux-être d’un peuple qui a souffert de façon chronique des fausses promesses et de la mal gouvernance des régimes successifs qui l’ont dirigé depuis plus d’un demi-siècle.
Lire aussi : https://guineenews.org/gouvernement-de-transition-abe-sylla-ou-cette-nomination-controversee-de-mamadi-doumbouya/