« Il n’est pas question qu’on accepte cette histoire de 3ème mandat »
Dans cette interview accordée à Guinéenews cette semaine, le Dr Ousmane Kaba, député, ancien ministre de l’Economie et des Finances et actuel président du Parti des Démocrates pour l’Espoir (PADES), s’est largement exprimé sur l’état de ses rapports avec le chef de l’Etat, les motivations de son choix politique, la situation économique actuelle du pays, la question du troisième mandat, entre autres. Lisez !
Guinéenews.org : Dr Ousmane Kaba, vous êtes le président du Parti des Démocrates pour l’Espoir (PADES). Il n’est un secret pour personne, un parti politique est créé pour la conquête du pouvoir. Aujourd’hui comment se porte le PADES dans sa course vers la conquête du pouvoir ?
Dr Ousmane Kaba : absolument, un parti est créé pour exercer le pouvoir dans l’intérêt supérieur de la nation. Le PADES a été créé il y a deux ans. Mais depuis lors, on s’est déployé surtout à l’intérieur du pays. C’est important parce que c’est là où il y a les vrais électeurs. Nous sommes déployés dans les quatre régions naturelles de la Guinée. Dieu merci aujourd’hui le PADES est connu sur toute l’étendue du territoire national. Nous avons de bonnes structures, mais il nous reste encore du travail. Parce que dans beaucoup d’endroits, on n’a pas encore réussi à installer les bureaux de base. Donc il reste un travail qui est à faire. Mais nous sommes satisfaits de l’évolution du PADES sur le terrain. C’est un parti qui a une excellente image et heureusement le leader du parti a aussi une très bonne image en tant qu’éducateur. Ensuite les Guinéens sont beaucoup plus prudents maintenant. Quand il faut faire le choix entre les leaders, les gens commencent à se poser la bonne question à savoir qu’est-ce le leader a réalisé en Guinée avant de se présenter comme candidat à une élection. Ça permet de faire le tri réellement entre les leaders et ça permet de choisir des gens crédibles.
Guinéenews.org : vous étiez jusque récemment député à l’Assemblée nationale, il semble que vous avez démissionné. Peut-on savoir les raisons ?
Dr Ousmane Kaba : J’ai démissionné de l’Assemblée nationale parce que le mandat était fini. J’ai été le seul leader guinéen à démissionner publiquement de l’Assemblée nationale. En fait, ce n’est même pas une démission, parce que je considère simplement que le mandat est terminé. Nous avons été élus par le peuple de Guinée pour un mandat de cinq ans. A la fin des cinq ans, nous devons avoir le courage de nous retirer et de renoncer à nos avantages personnels. Au départ, nous avons voulu créer le vide institutionnel. Si tous les autres députés de l’opposition nous suivaient, ce vide institutionnel aurait mis la Guinée sur le banc des nations. D’un point de vue financier, nous n’aurions pas l’aide des bailleurs de fonds. Du point de vue diplomatique, on serait isolé. Ça aurait obligé le gouvernement à organiser très rapidement de nouvelles élections législatives. Malheureusement je n’ai pas été suivi parce que les députés ont plutôt regardé leurs avantages personnels. Mais quand même le peuple de Guinée a retenu et ça fait partie des critères de choix, à mon avis, du peuple de Guinée. Parce que nous devons être cohérents. J’ai estimé qu’il est très difficile de ne pas respecter son propre mandat et de faire un glissement qui se justifie par un décret présidentiel. Ce qui est déjà une immixtion de l’exécutif dans le législatif. On ne peut pas accepter un glissement pour nous-mêmes et refuser le glissement au chef de l’Etat en 2020. Il y a un problème de cohérence.
Guinéenews.org : justement des députés membres de l’opposition qui entendent s’opposer à une modification constitutionnelle siègent actuellement au parlement au moment où tout semble être mis en place par la mouvance présidentielle pour la modification de la Constitution avec un seul but apparemment, permettre au chef de l’Etat de briguer un nouveau mandat en 2020. Qu’en dites-vous ?
Guinéenews.org : je suis d’accord avec vous en partie. C’est ce qu’on appelle le glissement du mandat. C’est-à-dire que ça n’a rien à avoir avec la nouvelle constitution. Mais le président peut aussi décider comme ça s’est passé en RDC, de laisser couler le temps en 2020 et dire qu’on n’a pas eu le temps de faire les élections. C’est dans ce cas qu’on parle de glissement et dans ce cas les députés qui ont laissé glisser leur propre mandat seront pris dans leur propre piège.
Guinéenews.org : l’actualité reste dominée par la modification de la Constitution qui vise un 3ème mandat pour le président Alpha Condé pour lequel œuvrent actuellement les promoteurs sur le terrain. Quelle est votre position par rapport à cette question ?
Guinéenews.org : nous avons été parmi les premiers à nous opposer au 3ème mandat pour une raison très simple. Soit un pays suit les règles du jeu démocratique, soit il suit les règles de la dictature. Est-ce que nous sommes aujourd’hui pour la démocratie qui inclue l’alternance, parce qu’il n’y a pas de démocratie sans alternance, ou si l’alternance ne suffit pas pour faire la démocratie. Il n’y a aucune démocratie sans alternance. Est-ce que nous sommes pour ça ou pour une présidence à vis ou une royauté, qui est en contradiction avec tous les textes qui existent ? On nous dit, oui le Président de la République a le droit de modifier la Constitution. Je suis d’accord, personne ne peut lui dénier le droit de modifier la Constitution ou même d’introduire une nouvelle Constitution. Mais la question n’est pas celle-là. La question c’est pourquoi on doit changer la Constitution ? S’il s’agissait de changer des questions d’intérêt général, ça aurait été accepté. Mais c’est pour que la même personne puisse continuer un troisième mandat. Donc c’est l’objet qui est contestable. La deuxième chose, c’est le timing. On ne change pas la Constitution la dernière année de son mandat. Il fallait le faire à temps. Et c’est une Constitution sur laquelle le Président de la République a juré deux fois de respecter et de faire respecter. Donc il y a un gros soupçon de manipulation avec pour seul objectif de maintenir la même personne au pouvoir au-delà de ses mandats constitutionnels. C’est la raison pour laquelle tout le monde se lève. On peut me dire, d’accord on va voter une nouvelle constitution, vous aurez votre mot à dire. Mais nous savons très bien comment les élections se passent en Guinée. C’est émaillé de tricheries. C’est l’une des raisons pour lesquelles les gens se soulèvent contre l’idée de faire une nouvelle constitution. Si on doit modifier ou faire une nouvelle constitution, ce ne serait pas avec le même chef de l’Etat. On n’a qu’à attendre, lorsque le nouveau président de la République sera élu par le peuple de Guinée, il peut engager ces réformes-là.
Guinéenews.org : vous avez été membre du RPG Arc-en-ciel ou même fondateur. Qu’est-ce qui explique aujourd’hui votre durcissement de ton contre le pouvoir en place ?
Guinéenews.org : parce que nous avons aidé en 2010 le Président de la République, mais au fil du temps, on s’est rendu compte après 2015 que le Président de la République a dévié les engagements qui constituaient le socle de la conquête du pouvoir que nous avons effectuée ensemble. Pourquoi ? D’abord je suis un économiste. Au départ, nous avons eu beaucoup de divergences d’un point de vue purement économique, notamment dans la politique énergétique. J’estime que les gros barrages sur le Konkouré et j’ai eu du mal à convaincre le Président de la République qui y était opposé pendant trois ans. C’est à la fin de cela qu’il a accepté de signer, puisque je m’occupais des affaires chinoises. Donc j’ai toujours approuvé l’idée de faire des grands barrages sur le Konkouré. Mais j’ai ajouté qu’à côté de cela, il serait judicieux de faire des micro-barrages en région forestière et en Haute Guinée parce que ce sont les bastions de l’agriculture en Guinée. On ne peut pas développer l’agriculture sans l’agro-industrie. Et s’il n’y a pas d’électricité, il n’y a pas d’agro-industrie. Et s’il n’y a pas d’agro-industrie, il n’y a pas d’acheteurs des produits agricoles. Donc ça n’encourage pas l’agriculture d’autant plus que nous n’avons ni électricité ni les routes, qui sont actuellement de très mauvaises qualités. Le développement est un tout. Nous avons eu ces premières divergences. Quand j’ai insisté sur ça, le Président de la République n’a pas accepté. Non seulement il n’a pas accepté, mais j’ai été l’objet de beaucoup d’attaques alors que c’est notre métier. Ça n’avait aucune connotation politique ni ethnique.
Guinéenews.org : vous avez fait l’objet d’attaques de la part de qui ?
Dr Ousmane Kaba : de la part du chef de l’Etat, des membres du gouvernement et de son entourage. Ensuite nous avons eu un deuxième accroc lorsque le chef de l’Etat en 2016 s’est permis d’attaquer violemment l’ethnie Malinké pendant une heure de discours. J’ai trouvé que c’est une déviation très grave non pas que je suis Malinké, mais simplement parce qu’un chef de l’Etat ne peut pas se permettre d’attaquer une ethnie de son pays de cette manière-là. Et c’est en ce moment que nous avons pris une lettre pour exprimer notre désaccord. Et si c’était à refaire, j’allais le faire encore. Je ne peux pas être d’accord avec un gouvernement et ou un chef de l’Etat qui attaque une ethnie de son propre pays. C’est aussi simple que ça. Là aussi, il y a eu des représailles. J’ai été exclu du parti que j’ai fondé avec lui-même, le RPG-Arc-en-ciel dans lequel j’avais fondu le Parti Plus que nous avions créé avec des amis et qui avait participé à l’élection de 2010. J’ai été exclu sans ménagement, sans respecter même les règles du parti. Ensuite j’ai été démis de mes fonctions à l’Assemblée nationale puisqu’on ne peut pas m’enlever comme député. Et troisièmement, j’ai été démis de mes fonctions de l’assemblée Afrique-Europe. Quatrièmement, même l’Université que nous avons créée pour aider la Guinée a été victime de différentes pressions. J’ai trouvé que ce n’était pas du tout normal. Mais ce n’est pas pour cela que j’ai créé, avec les autres, un autre parti. Je ne fais pas de la Revenge. Mais nous avons simplement vu la nécessité d’orienter la politique guinéenne vers un peu plus de dextérité et pour préparer l’avenir. C’est dans ce contexte que nous avons créé le PADES. Et Dieu merci ce parti se porte très bien aujourd’hui.
Guinéenews.org : juste une parenthèse, vous parliez de représailles contre l’Université. Comment cela s’est-il passé ?
Dr Ousmane Kaba : le gouvernement avait décidé brutalement d’abord de ne pas envoyer de boursiers dans la faculté de médecine, ensuite de ne pas envoyer de boursiers dans les Universités privées sur la base que l’Etat allait investir dans les Universités publiques et construire quatre nouvelles Universités. Tout le monde en a entendu parler. C’était juste pour faire de la répression. Mais c’est une répression en réalité contre la jeunesse de Guinée. Pourquoi, parce que les Universités publiques ont des sureffectifs importants et la qualité de l’enseignement supérieur s’est complètement dégradé. Donc actuellement, on est en train de former une génération perdue. Il y a de très mauvaises qualités d’enseignement dans les différentes Universités publiques guinéennes. Alors que par ailleurs cette même élite envoie tous ses enfants à l’extérieur dans les Universités privées des autres pays. Et elle paye 20 000 dollars US par an par rapport aux 500 dollars payés en moyenne ici pour les étudiants dans les Universités guinéennes. Je considère que c’est une déviation très grave. Parce qu’aucun pays africain, même pas les pays européens, et même les Etats-Unis le premier pays du monde, en termes de puissance économique, là il y a toujours le secteur privé qui aide l’Etat. Parce que dans aucun de ces pays l’Etat n’est capable de créer autant d’infrastructures pour satisfaire la demande d’étude supérieure. Voilà ce qui se passe. Les gens pensent que c’est parce que c’est un problème personnel. Je dis non, ce n’est pas du tout cela. En ce qui me concerne, l’Université Kofi Annan se porte très bien avec ou sans boursiers. Nous avons maintenant plus d’étudiants que par le passé. Donc ce n’est pas du tout une question personnelle, c’est une question de politique d’un pays. Et il faut préparer l’avenir de ce pays. On ne peut pas le faire avec des dirigeants qui s’attaquent au secteur privé, qui font exploser le chômage, des dirigeants qui détruisent l’éducation dans notre pays.
Guinéenews.org : en dépit de toutes les raisons que vous avez évoqué, pour vos détracteurs, vous avez choisi d’aller dans l’opposition parce que vous avez été frustré pour n’avoir pas obtenu de postes au sein du gouvernement. Qu’en dites-vous ?
Dr Ousmane Kaba : d’abord on crée toujours un parti pour un objectif de conquête du pouvoir. Mais ce n’est certainement pas pour une question de place. Puisque vous avez été témoin, lorsque le gouvernement Kassory est venu, ils ont tout fait pour que j’accepte d’être le ministre des Finances. Si c’était pour une question d’intérêt personnel, je le serais aujourd’hui et je serais très riche parce que j’allais faire comme tout le monde, détourner l’argent public. Ça veut dire qu’en Guinée, tout le monde n’est pas vendu. Il faut que les gens acceptent l’idée que tout le monde ne peut être pourri dans un pays. J’ai refusé les places quand les autres se battaient pour avoir les mêmes places. C’est ridicule.
Guinéenews.org : vous êtes ancien ministre de l’Economie et des Finances. Quel bilan faites-vous aujourd’hui de la situation économique du pays sous le régime Alpha Condé ?
Dr Ousmane Kaba : en tant que spécialiste, je vais vous dire une chose très simple que tout le monde peut comprendre. Une économie marche quand les jeunes travaillent. Aujourd’hui le chômage en Guinée est explosif. Ça veut dire que nous avons une croissance appauvrissante. Pour des raisons purement techniques, comme je l’ai dit, la croissance en Guinée est basée uniquement sur l’exploitation de la bauxite à l’état brut. Elle est calculée avec un concept de produit intérieur brut (PIB) qui signifie simplement la richesse créée à l’intérieur de la Guinée. Mais il faut savoir que cette richesse n’appartient pas aux Guinéens. Donc le taux de croissance qui est là est factice, qui ne veut rien dire en termes de prospérité des Guinéens. Donc cette richesse qui est créée en Guinée, n’apporte pas grand-chose aux Guinéens. Comment est-ce que la croissance basée sur les mines peut-elle se traduire en bien-être pour les Guinéens ? C’est par au moins trois canaux. Le premier canal c’est ce que ces compagnies payent à l’Etat pour renforcer son budget. Vous verrez dans notre budget de 2019 que toutes les nouvelles compagnies bauxitiques ne payent même pas d’impôt à l’Etat. C’est extraordinaire ! La taxe à l’exportation, vous verrez dans le budget 2019, c’est zéro. Même pour une compagnie comme la SMB, qui seule fait 42 millions de tonnes. C’est-à-dire trois fois les 14 millions de CBG. Donc vous voyez que toute la zone de Boké est dénaturée pour rien du tout, parce que l’Etat ne gagne rien la-dans. Pourquoi ? Ça c’est la grande question. Le deuxième canal c’est les emplois créés. C’est une industrie qui crée très peu d’emplois. Parce que ça ne crée que des emplois de chauffeurs et de machinistes pour transporter la terre. En tant qu’économiste, nous avons insisté qu’il y ait des usines d’alumine en Guinée. C’est là qu’il y a des créations d’emplois, c’est là qu’il y a la valeur ajoutée, c’est-à-dire beaucoup de salaires distribués et des taxes payées à l’Etat. Et en réalité, ça n’apporte pas grand-chose à la Guinée parce que, parallèlement à la création de quelques emplois de chauffeurs, nous avons des villages entiers qui sont relocalisés. Ça veut dire que les habitants de ces villages retombent dans la pauvreté, parce que les rivières sont asséchées, les terres cultivables se raréfient et des milliers de personnes de ces villages retombent dans la pauvreté. En tant que nation, si on met d’un côté les quelques emplois de chauffeurs et les milliers de personnes déplacées de ces villages qui s’enfoncent dans la pauvreté, le peuple guinéen ne gagne pas grand-chose parce que ce canal non plus. Le troisième canal c’est la création d’entreprises, le contenu local bien qu’on fasse beaucoup de bruits autour. La réalité est que tout ce que les travailleurs des compagnies consomment, la grande majorité ce sont des produits importés. Donc l’effet d’entraînement est minimum sur l’économie guinéenne. Voilà un peu mon analyse. C’est une croissance appauvrissante. La deuxième conclusion, c’est que la Guinée ne va jamais s’en sortir avec la bauxite. D’abord parce que la valeur ajoutée est minimum et parce que ces entreprises ne payent pas de taxe à cause de la corruption endémique de l’administration.
Guinéenews.org : pour revenir à la politique, vous êtes membres du Front national de défense de la constitution (FNDC). On constate que partout vos militants sont réprimés ou arrêtés. Cela ne va-t-il pas vous amener à changer de stratégie ?
Dr Ousmane Kaba : ça veut dire que la dictature a déjà commencé et qu’il faut se battre justement pour mettre fin à cette dictature. Comment pouvez-vous imaginer que des deux groupes de personnes, ceux qui disent oui au 3ème mandat et ceux qui disent non, que ce sont les derniers qui sont poursuivis alors que ce sont eux qui sont conformes à la Constitution actuelle. Dans beaucoup de pays lorsque vous dites il faut modifier la Constitution, comme cela s’est passé au Niger, on peut vous embastiller pour cela. Alors le paradoxe guinéen, c’est que les manifestants qui défendent la Constitution, qui sont dans la légalité, sont emprisonnés et les manifestants qui veulent bousculer l’ordre des choses et qui ne sont pas conformes à la Constitution, ne sont pas emprisonnés. C’est le monde à l’envers. Prenons au moins l’exemple sur monsieur Isoufou du Niger, qui est quand même un ami de notre président. Lorsque les gens ont commencé à parler de 3èmemandat, il a dit attention, le premier qui me parle, on l’emprisonne. Vous vous souvenez au Burkina, on parlait d’attentat à la Constitution. Ce qui est vrai d’ailleurs parce que c’est un véritable attentat à la Constitution. Donc ce sont eux qui devraient être inquiétés. Heureusement que la Justice guinéenne commence à comprendre, d’où la relaxe des 7 inculpés de Kindia, qui n’avaient aucun sens. La Cour d’Appel de Conakry les a purement et simplement relaxés et a ordonné de les remettre leurs t-shirts, parce que rappelez-vous, le Président de la République, dans toutes ses déclarations, dit qu’il veut écouter le peuple de Guinée. Ceux qui sont pour vont s’exprimer et ceux qui sont contre vont s’exprimer. Ce n’est pas du tout ce que l’on voit sur le terrain. Et d’ailleurs grand paradoxe, tout le monde parle pour ou contre une constitution que personne n’a vue.
Guinéenews.org : revenons à votre cas particulier, vous êtes originaire de Kankan en Haute Guinée censée être le bastion du parti au pouvoir. La sortie de vos militants dans la rue pour manifester contre le 3ème mandat dans le bastion du pouvoir en place n’est-elle un gros risque ?
Dr Ousmane Kaba : la Haute Guinée n’est plus le bastion du pouvoir parce qu’aujourd’hui le RPG-Arc-en-ciel ne peut pas mobiliser par la faute des activistes du 3ème mandat. Et j’ajoute que les vrais militants du RPG-ARC-en-ciel ne sont pas du tout dans cette campagne. Si vous remarquez, ce sont des gens de 25ème heure, comme on dit, qui se mêlent de cette histoire. En ce qui concerne ce qui s’est passé à Kankan, les partisans du 3ème mandat avaient fait une première manifestation. Et comme ils le font toujours, on ne dit pas aux gens qu’on vient pour le 3ème mandat. C’est à l’occasion des réunions des femmes ou de la fête des femmes qu’on commence à parler du 3ème mandat. Ce qui n’était pas le but de la mobilisation. Mais comme il y avait eu des indiscrétions et les partisans de la lutte contre le 3ème mandat ont porté des t-shirts et brandit des pancartes contre le 3ème mandat. En ce moment les autorités ont dit faites votre propre manifestation, ce n’est pas la peine de faire des contre-manifestations, tout le monde est libre. Sur ce, les militants du FNDC, qui comprend tous les partis de l’opposition, ont adressé des courriers au maire et préfet, etc, pour dire le mardi, on va faire notre manifestation. C’est ce qui s’est passé. Ils ont eu une autorisation tacite parce que personne n’a exprimé d’opposition contre cette manifestation. Contrairement à ce que vous dites, il n’y a pas eu de manifestation puisque c’était très tôt le matin, avant même que les militants ne se mobilisent, que les premiers responsables qui se sont retrouvés au siège du PADES ont été attaqués. Donc avant toute mobilisation. Nous avons 5 personnes identifiées qui sont allées chercher des loubards qui arboraient des t-shirts du RPG et qui sont venus attaquer les gens à coup de bâton dans la rue et à l’intérieur du siège. Ils ont même arraché les portes du siège, ils ont vandalisé deux ou trois ordinateurs au siège. C’est inacceptable ! Ils n’ont pas d’excuse de parler de manifestation puisqu’il n’y avait pas encore eu de manifestation. Les gens n’étaient même pas dans la rue. Ce sont eux qui sont venus à 7h pour agresser les premiers responsables qui étaient-là. Ils ont blessé le premier responsable du PEDN, ils ont frappé aussi un autre ainsi de suite. C’est la raison pour laquelle nous avons déposé deux plaintes auprès de la Justice à Kankan. La première plainte est déposée par le PADES, la deuxième est déposée au nom du FNDC. Et les dossiers suivent leur cours. Je pense que la Justice va se prononcer sur cette agression. Donc il ne s’agit pas d’agression de manifestants, il n’y avait pas encore de manifestants. C’est purement et simplement une agression de bandits.
Guinéenews.org : il y a le président du groupe parlementaire de la mouvance qui fustigeait récemment les magistrats guinéens…
Dr Ousmane Kaba : ecoutez, je ne commente pas ce que les autres disent, c’est leur problème. Je pense que la Justice guinéenne n’est pas aussi pourrie qu’on le dit. Ça fait deux fois que nous avons gagné en justice. La première fois c’était contre l’Etat. C’est la Cour Suprême qui a donné l’autorisation au PADES d’exister. Et nous avons gagné contre le ministère de l’Administration du Territoire, donc contre le gouvernement. C’est une grande première. Conformément à l’article 10 de la Constitution. Le deuxième jugement, c’est lorsque « Libre Opinion » a déformé les propos du Dr Ousmane Kaba en Malinké pour dire qu’on est raciste. Nous avons trimbalé au Tribunal les gens ont écouté et transcrit ce que nous avons dit et la traduction qui en avait été faite entre guillemets dans « Libre opinion », c’était une falsification pure et simple. Là aussi la Justice a condamné Maka Barry et le journal « Libre opinion ». Je pense qu’il faut faire la part des choses. Tout n’est pas pourri dans la Justice guinéenne. Il y a aussi des hommes et des femmes qui lisent le droit.
Guinéenews.org : en tant que membre du FNDC, quelles forces disposez-vous aujourd’hui pour empêcher la modification de la constitution ou du moins de pouvoir résister aux promoteurs dudit projet ?
Dr Ousmane Kaba : les Guinéens savent s’exprimer. Le pays n’a pas commencé aujourd’hui. Et aujourd’hui ce pouvoir n’a absolument aucune chance de faire aboutir son projet suicidaire. Ce n’est pas parce que le général Conté l’a réussi qu’on va le réussir maintenant. Vous permettrez que je donne quelques raisons. La raison la plus fondamentale c’est que la société a changé. Nous sommes aujourd’hui dans une société où les jeunes gens qui manifestent n’étaient pas dans les manifestations lorsqu’on se battait contre le Général Lansana Conté. Ceux qui étaient-là sont devenus adultes et ce ne sont pas eux qui sont dans la rue. La deuxième chose, l’Etat a complètement perdu le monopole de l’information. A l’époque, l’essentiel de l’information passait par la RTG. Aujourd’hui ce n’est pas du tout le cas. Nous avons des radions privées, des télévisions privées, des Sites d’information et les réseaux sociaux. Alors pour vous en convaincre, regardez ce qui vient de se passer à Kindia. Lorsqu’ils ont fait des déclarations, le lendemain ces déclarations étaient démenties à l’aide d’un seul téléphone. Cela a fait le tour du monde. Il y a eu plus de personnes qui ont regardé ça sur le téléphone, sur les réseaux sociaux que la déclaration officielle à la RTG. Cela veut dire que l’Etat n’a plus le monopole de l’information. C’est une situation complètement différente. Ensuite, les aspirations de la jeunesse pour la démocratie sont beaucoup plus fortes. C’est pourquoi dans cette partie de l’Afrique de l’Ouest, ça ne marche pas. Ça n’a pas marché pour Wade, ça n’a marché pour Blaise Compaoré, je ne vois pas pourquoi ça marcherait pour le Pr Alpha Condé. Ça ne marchera pas. Et il y a beaucoup d’autres raisons, le chômage endémique, le fait qu’il n’y a plus de partisans, le fait que l’extérieur est contre, que ce soit les Etats-Unis, la France et même les pays de la CEDEAO, il n’y a pas d’appui extérieur. Il y a tout un tas de raisons qui ne sont même pas liées à la politique des partis. Toute la société est en train de se lever, la jeunesse est en train d’organiser des fronts anti 3ème mandat dans les quartiers de Conakry et dans toutes les villes de la Guinée. Je ne vois pas comment cela peut marcher avec un parti qui est à bout de souffle, et qui n’a pas réussi à relever les grands défis de la Guinée. Les grands défis économiques de la Guinée, je rappelle, ce sont d’abord les routes. Il n’y a pas suffisamment de routes en Guinée. Pour cela, il suffit de voyager à l’intérieur du pays. Même la seule route nationale n’est pas bien faite. Il n’y a pas d’électricité malgré les investissements massifs. Il n’y a aucune ville en Guinée qui est éclairée 24/24. L’agriculture n’a pas décollé, l’exploitation minière ne nous rapporte absolument rien. Ce n’est pas quelques maisons çà et là pendant les fêtes tournantes qu’il faut compter. Je rappelle encore une fois que le rôle de l’Etat n’est pas de construire les maisons, c’est le secteur privé qui construit les maisons. On ne peut pas les présenter comme un bilan. Les biens publics, ce sont ceux que le secteur privé ne peut pas produire, c’est-à-dire les routes, l’électricité, l’eau, l’aide aux entrepreneurs, création d’emplois, l’aide au secteur agricole, etc. C’est cela le vrai rôle de l’Etat. Ce n’est pas de construire les maisons et parfois de retaper les maisons coloniales çà et là, les anciennes maisons du temps du PDG comme maison de la jeunesse en refaisant la peinture. Donc il y a eu du travail, mais c’est très insuffisant. D’autres Guinéens sont beaucoup plus capables.
Guinéenews.org : quel est votre message à l’endroit de la classe politique guinéenne et de la jeunesse guinéenne quant à la situation actuelle du pays ?
Dr Ousmane Kaba : je dirais que le peuple guinéen doit être débout. Il n’est pas question d’accepter le tripatouillage de la Constitution au bénéficie d’une seule personne avec un bilan qui est plus que moyen, c’est un bilan douteux mi-figue mi-raisin. Je sais que la Guinée regorge de beaucoup d’autres personnes capables de conduire sa destinée. La démocratie en elle-même est une aspiration légitime qui n’est même pas liée au bilan. Pour simplifier, je dis souvent qu’il fasse bien, il s’en va, qu’il fasse mal, il s’en va. C’est cela la démocratie. Et aujourd’hui les Guinéens ont une très forte aspiration. Je demande à tout le monde de se battre. Il n’est pas question qu’on accepte cette histoire de 3ème mandat.
Interview réalisée par Guilana Fidel Mômou pour Guinéenews.org