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Récurrence des agressions sexuelles : l’autopsie d’un expert sur la question (interview partie 2)

Guineenews : vous nous avez tantôt listé une série de causes et de comportements à l’origine des agressions sexuelles. Je n’ai pas entendu citer la drogue. Serait-elle à exclure des facteurs favorisants de ces crimes sexuels ?

Dr Thierno Sadou 1 Diallo :  vous me demandez si la drogue n’a pas une influence quelconque dans cette perversion galopante. Je vous répondrais par non, malgré tout ce qu’on peut en penser, tenant compte des troubles du comportement et de la violence extrême que sa consommation peut entraîner. Toujours est-il que les résultats de toutes nos études menées sur les causes des agressions sexuelles ne l’ont pas mentionné comme agent causal. Néanmoins, on ne peut pas empêcher que l’opinion la retienne comme un des facteurs favorisants. Je précise même que dans les profils des auteurs de ces violences sexuelles, on a rencontré des personnes insoupçonnées qui ne se droguent pas, ne fument pas et ne consomment pas d’alcool. C’est le cas d’enseignants et de maîtres coraniques qui abusent de leurs élèves.

Donc, il est trop facile d’accuser la drogue, mais il n’y a pas que cela. Nous pouvons citer les nouvelles technologies de l’information et de la communication, l’éducation familiale, l’éducation sociétale, le mode vestimentaire…Il y a assez de paramètres réunis, qui favorisent ce phénomène. C’est un fléau à combattre.

Guineenews : face au choc immense que ce phénomène récurrent, d’agressions sexuelles a provoqué, les gens ont émis toutes sortes de propositions pour y mettre fin. On est allé jusqu’à suggérer la castration des coupables. Qu’en pensez-vous et quel est l’arsenal juridique mis au point pour réprimer ces comportements ?  

 Thierno Sadou 1 Diallo : Je me souviens de ces propos assez particuliers qui ne sont pas passés incognito. Ils ont été tenus par une dame député à l’assemblée qui était outrée de la très grande fréquence de violence sexuelle dans notre pays. C’est elle qui avait proposé la castration des auteurs. Une idée qui enrichit le débat, tout en restant une solution extrême à laquelle nous espérons ne pas faire recours. Toujours est-il que nous devons nous focaliser sur nos lois en vigueur, en la matière. Pour lutter contre ce fléau, il faut noter que depuis 2016, avec l’amélioration de notre code pénal qui a été mis à jour, les agressions sexuelles sont considérées comme un crime dans notre pays. Lorsqu’un auteur d’agression sexuelle est pris et que tous les éléments de preuve sont réunis pour établir les faits, la peine minimale qu’il encourt, c’est cinq ans de prison ferme. Lorsque le viol est aggravé, c’est 10 à 20 ans. Lorsque le viol est suivi de meurtre ou est commis sur une personne vulnérable, ça peut aller jusqu’à la perpétuité.

Guineenews : mais, dites-moi Dr, est-ce que ces textes de lois sont rigoureusement appliqués ?

Dr Thierno Sadou 1 Diallo : aujourd’hui, le vrai problème que nous avons c’est l’application de la loi, ça il faut le noter. De toutes les études des agressions sexuelles que nous avons menées dans l’enceinte du service de la médecine légale, nous avons beaucoup de difficultés à accéder aux auteurs. La plupart d’entre eux ne sont pas arrêtés, jugés et condamnés. Les quelques-uns qui sont arrêtés, ça varie en fonction du profil de l’auteur. Lorsque c’est une notabilité ou un homme proche des milieux politiques, ce sont les autorités politiques qui interviennent, les sages qui interviennent pour la libération de l’auteur ou lorsque c’est un religieux, un imam, il y a aussi la communauté, les sages qui interviennent, sans penser aux séquelles que traîne la victime.

Une étude portant sur la corrélation entre les conclusions médico-légales et le devenir judiciaire des auteurs a été également menée par notre service. Cette étude avait mis en évidence que près de 60 % des dossiers dont l’expertise médico légale était formelle qu’il y a une agression sexuelle suivie de lésions, les auteurs de ces faits, qu’on avait initialement arrêtés, n’ont pas été jugés.

A la police ou à la gendarmerie, il y a des règlements à l’amiable ; il y a l’abandon de la poursuite ; il y a assez de choses qu’on vous raconte. Au cours de cette étude, nous avons eu des informations très édifiantes par rapport à la procédure judiciaire. Mais, il faut noter que depuis quelque temps, il y a une amélioration en la matière. Mais, il faut appliquer la loi. Nous avons des textes qui sont très stricts là-dessus, il faut juste les appliquer. Lorsqu’il y a un cas d’agression sexuelle dont tous les éléments de preuve sont parfaitement établis, à mon humble avis, il faut appliquer la loi, il faut interpeller l’auteur, le juger, le condamner et s’assurer qu’il purge sa peine totalement. Il faut ensuite qu’il serve d’exemple. Je souhaite que l’on médiatise systématiquement les procès portant sur les agressions sexuelles, c’est une forme d’éducation en droit pour la communauté.

Guineenews :  en matière d’agressions sexuelles, nous apprenons qu’il n’y a pas que les filles qui en sont victimes. Les hommes aussi, nous dit-on, garçonnets ou adultes, sont du lot. Qu’en est-il au juste ?

Dr Thierno Sadou 1 Diallo : il y a des cas d’agressions sexuelles qui nous sont remontés dans lesquels, des hommes sont victimes. Évidemment, plus de 80 à 90 pour cent des cas, c’est l’inverse, c’est les femmes qui sont victimes. Mais, il faut noter qu’il y a quelques plaintes où ce sont des hommes qui sont victimes de lésions avérées chez les petits garçons qui sont sexuellement abusés par des bonnes, des nounous ou par des hommes même, qui agressent sexuellement des hommes. Ce sont des situations qui arrivent. Il est vrai que ce n’est pas très fréquent, mais c’est un phénomène qui existe quand même chez nous, comme ailleurs. Avec l’ouverture du monde, avec l’internet et les chaînes de télévision, on voit tout aujourd’hui. Et, pour peu qu’on soit influençable, la contagion est rapide.  Ce sont des formes de déviance qui ont radicalement transformé notre société, du point de vue de la morale et du comportement. Ce qu’on entend et voit aujourd’hui chez nous, en termes de mœurs, est de loin en déphasage total avec nos us et coutumes.

Guineenews : puisque vous avez l’aval de votre chef de service pour nous parler, permettez-nous d’en profiter pour connaître les difficultés que vous rencontrez dans l’exercice de vos activités ?

Dr Thierno Sadou 1 Diallo : aujourd’hui, au service de médecine légale, il faut noter que malgré l’existence d’un dispositif législatif et règlementaire en la matière, nous connaissons des difficultés dans la procédure de prise en charge des victimes d’agression sexuelle. Mais au même moment, nous avons aussi une chance immense qui se situe dans le domaine de la formation académique. Le Professeur Hassan Bah, notre maître et chef de service, a mis en place un DES, une formation de spécialité diplômante, avec la collaboration des universités de Montpellier, Toulouse, Dakar et Abidjan. Il a formé des spécialistes, mais jusqu’ici, nous avons des handicaps. Le service est sous-équipé. Nous n’avons pas de laboratoire de biologie moléculaire et de toxicologie chez nous pour faire l’ADN et les examens de toxicologie. Pendant ce temps, il faut savoir que de nos jours, la preuve est scientifique. Pour mieux illustrer mon propos, je m’en vais vous dire que, pas plus tard qu’il y a deux semaines, nous avons reçu une victime d’agression sexuelle. La scène se serait passée lors d’une fête anniversaire où il y a eu un viol collectif sur une fille. A l’examen, au toucher vaginal, on se rend compte qu’il y avait un préservatif dans le vagin avec du sperme. Tous les jeunes présents à la fête ont été conduits à la gendarmerie.

Dans ce cas, la preuve étant scientifique, il n’y avait qu’à prélever ce sperme qui était dans le préservatif et prélever chacun des jeunes pour déterminer qui est l’auteur, sans même débattre. Avec les limites dues au manque de frais de justice pour les victimes, les limites que nous avons dans la prise en charge, on comprend bien que nos capacités d’intervention s’en ressentent forcément. L’idéal aurait été qu’on fasse de l’ADN. Pour cela, il nous faut un laboratoire de biologie moléculaire qui va beaucoup faciliter les choses. Vu les frais de justice aujourd’hui, le chemin de la victime d’agression sexuelle est vraiment très long chez nous.

La médiatisation à outrance du sort de la victime fait qu’elle est d’abord stigmatisée. Sur un autre plan, lorsqu’elle se rend à la gendarmerie ou à la police pour porter plainte, il faut payer des frais. De là, elle vient au service de médecine légale pour faire l’expertise, il faut encore payer des frais, normalement c’est des frais de justice. En plus de l’expertise, il y a parfois des bilans complémentaires qu’on demande, des examens de laboratoire pour savoir s’il n’y a pas une infection à IST au VIH, à l’hépatite, une grossesse ou pas. Là également, ce sont d’autres frais qu’il faut payer. Parfois, il y a une nécessité de réparation chirurgicale au bloc : c’est encore des frais !

A considérer tout cela, on peut dire sans hésiter que le chemin de la victime est vraiment très long et difficile chez nous. Je pense que c’est le moment de mener un plaidoyer auprès du CNRD pour essayer de revoir ces frais de justice par rapport à ce chemin long, laborieux et très coûteux qu’on inflige à tort, aux victimes. Pour qu’elles soient prises en charge par l’Etat, tout le long du processus allant de l’agression subie, au jugement rendu.

Guineenews : vous arrive-t- il de ressentir ce ras-le-bol des victimes, par rapport au paiement qu’on leur exige partout où ils passent ?

Dr Thierno Sadou 1 Diallo :  oui, il n’y a pas longtemps, nous avons reçu une victime à qui on a demandé d’acquitter un montant de 50 000 francs pour l’expertise. Sa grand-mère qui l’accompagnait, nous a dit préférer retirer sa plainte pourvu que l’auteur leur donne deux sacs de riz pour régler le problème. A la question de savoir pourquoi ce revirement, elle nous a répondu ne rienavoir à gagner dans cette procédure enclenchée, vu qu’elle n’a pas les moyens d’acquitter les frais qu’on lui réclame partout. D’après elle, ce sont des frais de justice qui doivent être couverts par l’Etat, vu qu’elle est victime. Elle n’a pas cherché ce qui lui est arrivé. Quelqu’un s’est délibérément jeté sur sa fille pour lui faire du mal. A partir de ce moment, elle estime qu’on doit la prendre en charge, plutôt que de la faire dépenser. Mais, jusqu’à maintenant, ce n’est pas le cas. Que ce soit à la police, à la gendarmerie, à l’hôpital, au tribunal, partout où elle va, on va lui demander de payer. Elle trouve à peine de quoi manger. Alors à quoi bon continuer. Il vaut mieux arranger et se contenter des deux sacs de riz que de se mettre dans une situation intenable, à la recherche de la vérité qui est claire et nette.

 Le raisonnement de cette grand-mère nous donne une idée de la difficulté qu’il y a à conduire à son terme, une procédure d’agression sexuelle, qui est devenue aujourd’hui un phénomène très inquiétant chez nous. Les victimes souffrent de séquelles psychologiques qui sont longues, douloureuses et difficiles à guérir. Il y a aussi des problèmes de santé liés à cela. A l’issue des examens que nous demandons, il y a souvent des victimes qui ont contracté une IST, le VIH, l’hépatite ou une grossesse non désirée au moment de l’agression. On imagine bien que celle-ci se produit toujours, dans la précipitation et la violence. Les rapports sexuels, dans ces conditions, ne sont jamais protégés, c’est le cas de le dire. Ils sont donc à risque.

La justice doit jouer son rôle en appliquant strictement la loi, la santé doit y faire face et prendre en charge les victimes. Aussi, les frais de justice doivent être pris en charge par l’Etat pour amoindrir la lourdeur du chemin de la victime.

Guineenews : pour une prise en charge médicale et judiciaire, tous les cas d’agressions sexuelles qui surviennent dans le pays vous sont référés. Comment comptez-vous y faire face, avec le nombre de victimes qui s’accroît et votre effectif qui est assez limité ?

Dr Thierno Sadou 1 Diallo : là, c’est un autre défi. Il faut noter qu’à l’issue de la spécialisation des huit jeunes médecins légistes de la première promotion ayant passé le DES en novembre 2020, l’objectif de notre chef de service était de mettre en place une unité de médecine légale dans chaque région administrative, pour couvrir l’ensemble du pays. Une expérience dans ce sens a été tentée à Labé qui n’a pas abouti. Les difficultés étaient énormes, surtout en termes de prise en charge des médecins officiants. Aucun des huit jeunes médecins spécialistes titulaires d’un DES, dont je viens de parler, n’est pris en charge par l’Etat. Aucun n’est engagé à la fonction publique. En plus, pour créer un service de cette nature à l’intérieur, il faut réunir un minimum de conditions pour permettre que quelqu’un s’installe et fasse un travail appréciable. Il faut une infrastructure, du matériel, de l’équipement. Ce qui est bien au-dessus des moyens d’un service. L’Etat seul peut le faire.

Le besoin est pourtant réel et urgent. A noter que jusqu’en 2020, notre pays n’avait que trois médecins légistes qui évoluent auprès du professeur Hassan Bah. Le tout premier est Dr Gabriel Konaté, de la première promotion des médecins légistes, formé à Dakar. Ensuite, il y a eu Dr Thierno Mamadou Chérif, de la seconde promotion de la même université. Enfin le troisième, Dr Traoré Namandjan, également formé à Dakar, en 2019. Ce qui a remonté le chiffre à 12 aujourd’hui, avec les huit jeunes médecins qui ont passé le D E S, l’année dernière.

Pour résumer, nous dirons que dans les suites judiciaires à donner aux questions d’agression sexuelle, la médecine légale est incontournable. Il faut donc la soutenir pour apporter un appui aux victimes et contribuer à punir les délinquants sexuels. Pour le moment, le manque de moyens est réel. Même pour des levées de corps, nous sommes parfois dans l’obligation de faire recours aux motos taxis pour nous déplacer.

Et pourtant, malgré toutes ces difficultés, notre détermination à servir reste entière et sans équivoque. Nous nous mettons à la disposition de ces braves populations dont nous sommes issus. Nous leur restons devoir en tout, pour avoir contribué à faire de nous ce que nous sommes aujourd’hui.

Guineenews : je vous remercie Dr

Dr Thierno Sadou 1 Diallo : c’est moi qui vous remercie, au nom de notre maître, le Professeur Hassan Bah et de tout le personnel du service de la médecine légale. Ils m’ont tous accordé leur confiance pour vous entretenir et m’ont mandaté, par la même occasion, pour vous dire qu’ils apprécient hautement que vous nous apportiez votre précieux appui, en médiatisant ce dossier qui constitue à ce jour, une plaie ouverte pour notre société.

Interview réalisée par Diao Diallo

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