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Récupération des bâtiments de l’Etat: le cas du Béninois Roger Quenum, ami de Sékou Touré et ancien haut fonctionnaire de la Guinée

Ami de Sékou Touré, le Béninois Roger Quenum a tout donné à la Guinée. D’abord en contribuant à l’indépendance du pays, puis en lui consacrant toute sa carrière professionnelle. Dans la fonction publique guinéenne, il est allé jusqu’à même devenir inspecteur général des  Travaux publics. Aujourd’hui âgé de 93 ans, ce vieux mourant est abandonné dans un vieux bâtiment – qu’il occupe depuis 1976 – que des agents de l’État tiennent coûte que coûte à spolier.

« C’est mon cadavre qu’ils vont certainement récupérer dans cette maison, mais tant que je suis vivant je ne bougerai pas d’ici. J’attends le premier qui viendra raser cette maison ou me faire sortir de cette cour… », a réagi Roger Quenum au passage d’une équipe du Patrimoine bâti public qui a marqué son bâtiment pour lui donner 72 heures afin de libérer les lieux. Ce mardi 22 mars, le patrimoine bâti public donne 72 heures à Roger Quenum après l’avoir épargné à l’issue de l’ultimatum du 28 février dernier.

En effet, début mars, des agents du Patrimoine bâti s’étaient rendu compte que Roger Quenum n’est pas de ceux-là qui devaient sortir de la Cité ministérielle.  Pas seulement à cause du fait qu’il est l’un des compagnons de l’indépendance du pays, ni à cause du fait qu’il a été fonctionnaire, mais parce qu’il est avant tout dans la légalité.

Une histoire de compensation…

En effet, c’est en 1958 que Roger Quenum atterri à Conakry – en provenance de Paris où il était étudiant au compte de l’AOF (Afrique Occidentale Française) – à la faveur de l’indépendance du pays. Quelques mois plus tôt, sa chambre d’étudiant avait servi de lieu de réunion entre Sékou Touré et les étudiants guinéens à Paris. « Sékou Touré, Saifoulaye Diallo, Naby Youla et Dramé Oumar, accompagnés d’un ministre français de la Loi cadre guinéenne, ont rencontré les étudiants guinéens dans ma chambre au deuxième étage de la Maison des étudiants de l’AOF pour leur annoncer le projet de l’indépendance de la Guinée. Ils ne pouvaient pas tenir cette réunion dans la salle de réception parce que c’était une réunion secrète à tenir à l’abri des Français », se rappelle encore Roger Quenum.

L’indépendance obtenue, Roger Quenum atterrit en Guinée. Ingénieur de formation, il se met au service de l’administration guinéenne et sert au ministère des Travaux publics où il occupe différents postes techniques. Il sera directeur des subdivisions des Travaux publics de Boké, de Labé, de Macenta… Mais aussi chef de service adjoint des routes, et devient plus tard, après la mort de Sékou Touré, Inspecteur général des Travaux publics. « Entre autres, c’est moi qui ai conduit les travaux de bitumage de la route allant de Dixinn au pont 8 Novembre et le pont sur la rivière Komba (…) Et tous les ponts que j’ai construits, je l’ai fait en régie. Quand je le faisais, les Guinéens disaient que je suis maudit, parce que je ne me faisais pas de l’argent. Sauf que moi je ne suis pas venu en Guinée pour me faire de l’argent  », témoigne Roger Quenum.

En 1962, alors qu’il était en service à Conakry, Roger Quenum signe un contrat de location-vente avec l’Etat pour une maison à Coléah. Deux ans après la signature du contrat, soit en 1964, il est muté à Kankan. Il décide de loger son petit frère qui était en service à l’ENAM (l’Ecole Nationale des Arts et Métiers). Mais on lui dit que seul l’Etat peut y loger des gens en attendant la fin de l’achat total de la maison. C’est ainsi que feu capitaine Siaka Touré, neveu de Sékou Touré, sera logé dans cette maison. D’autres personnes y seront logées. En 1972, Roger Quenum devrait avoir la mainlevée sur la maison de Coléah. Mais il est encore en service à l’intérieur du pays. A son retour à Conakry en 1976, il ne peut malheureusement pas accéder à sa maison qui est alors occupée par des locataires de l’Etat. C’est ainsi que l’Etat lui proposa d’occuper le bâtiment de la Cité ministérielle en attendant que la sienne soit libérée. A la cité ministérielle, il est logé comme locataire et paye régulièrement le loyer à l’Etat. Il y restera jusqu’à sa mise à la retraite en 1991.

Retraité, Roger Quenum tente de rentrer en possession de  son bâtiment de Coléah. Sans succès. Le régime Conté lui indique qu’il peut toujours rester en location dans sa maison de la Cité ministérielle en attendant de lui restituer sa maison de Coléah. Voyant qu’on n’arrivait pas à lui restituer sa maison de Coléah, il demande alors que celle-ci soit compensée par la concession de la Cité ministérielle. Là aussi sans succès. L’Etat lui autorise tout de même à construire des bâtiments dans la vaste cour de la maison à la Cité ministérielle en compensation du domaine de Coléah. C’est ainsi qu’il y construira trois bâtiments annexes.

Des tentatives de spoliation

Des années plus tard, Roger Quenum tombe malade et peine à sortir dehors. Les seules fois qu’on le voit dehors, c’est pour aller à l’hôpital. Des cadres de l’Etat profitent alors de sa fragilité pour tenter de lui spolier le terrain de la Cité ministérielle. Ils réussiront même à faire bailler une partie du terrain, soit 300 m2, à une opératrice économique qui y construira le restaurant Le Moov. « En 2012, la directrice adjointe du Patrimoine bâti d’alors m’a convaincu de laisser construire le restaurant là-bas. Elle m’a dit que dès que le restaurant sera amorti, le promoteur deviendra ma locatrice. On était convenu d’un restaurant tout simplement. Quand ils ont commencé à y construire une maison à étage, j’ai tenté de m’y opposer. Mais je ne pouvais pas faire grand-chose puisque je suis malade… Depuis que ce restaurant est là, ils ne m’ont jamais rien payé », explique Quenum. « Ces gens qui sont derrière le bail de ce restaurant n’ont jamais souhaité que les différents directeurs qui sont passés à la tête du Patrimoine bâti public soient au courant de mon cas. La bonne information n’a jamais été remontée aux autorités du pays », estime Roger Quenum.

Alors qu’on lui refuse de rentrer en possession de sa maison de Coléah, Roger Quenum engage une action judiciaire. Il demande que sa maison de Coléah lui soit restituée ou qu’on lui laisse celle de la Cité ministérielle comme compensation. Parallèlement à cette action, il n’a jamais cessé de payer le loyer et encore aujourd’hui il a trois mois d’avance de loyer payés à l’Etat. Et pour toutes ces raisons, il n’est pas prêt à quitter la Cité ministérielle.

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