Cette semaine nous vous proposons un dossier inédit dans l’univers du foncier. En Guinée, la majorité des conflits sont domaniaux. Conakry, la capitale et ses environs ne sont pas épargnés par les tensions foncières. En effet, depuis de nombreuses années, la terre est devenue objet de litige; allant jusqu’à provoquer des violences. Cela a parfois occasionné des morts d’hommes. Et pourtant des terres sont censées être identifiées, cadastrées et un cadre légal existe de façon qu’aucun propriétaire ne soit lésé.
Que fait l’Etat pour mettre un terme à cette situation ? Quelles sont les raisons de ces conflits fonciers à répétition ? Comment sortir de ce cycle et faire en sorte qu’il y ait une meilleure application de loi en vigueur ? Comment les propriétaires terriens gèrent-ils leur quotidien et vivent-ils cette situation ? Connaissent-ils les lois et les obligations ?
Selon nos enquêtes, le domaine rural est estimé en Guinée à des milliers d’hectares, mais seul 1% des terres bénéficient des documents fonciers. Lourdeur administrative, non-respect des procédures de reconnaissance foncière, difficultés sur la délimitation des terres, la corruption, la cupidité et la malhonnêteté des propriétaires terriens. Autant de problématiques qui compliquent l’univers fonciers.
Ainsi, aujourd’hui dans nos juridictions, surtout à Conakry, la majorité des conflits sont domaniaux. Nous sommes à Dubréka, une préfecture où les conflits domaniaux sont légions. I Condé est propriétaire d’un terrain depuis 2013, mais seulement c’est maintenant qu’il vient le déclarer à l’administration fiscale. Par heureuse coïncidence, nous l’avons rencontré lors de notre enquête, lui et l’équipe du cadastre qui a pour mission d’identifier et vérifier l’existence de la parcelle sur les lieux. Le chef de l’équipe interrogé, nous explique sans hésiter l’objet de leur présence sur le terrain : « C’est sur la demande du propriétaire que nous effectuons cette mission d’identification de la parcelle. Nous avons déjà intégré les éléments du plan dans l’appareil et nous allons essayer de retrouver les bornes. Et comme tout le monde le sait, pour être en règle, tout propriétaire terrien doit déclarer son ou ses terrains. Ensuite le cadastre procède au bornage contradictoire. Cela consiste à identifier des bornes de délimitation, vérifier la superficie et surtout s’assurer qu’il n’existe pas de litige sur le terrain. Je précise bien que la borne contradictoire a pour but de permettre aux voisins, aux riverains de participer à l’opération et nous dire qu’ils sont d’accord pour l’occupation. Mais ici nous sommes dans un lotissement approuvé. Donc, il y a eu un travail au préalable pour dégrossir l’action de contestation. Déjà le fait d’être présent sur le terrain, s’il a quelqu’un qui revendique, il allait se présenter. Et même si la personne n’est pas présente, quelqu’un qui nous aurait vu, lui aurait porté l’information. Et s’il passe le lendemain nous dire que le terrain que nous avons délimité lui appartient, on appelle celui qui nous a conduits sur les lieux pour lui dire qu’il y a des plaintes après notre passage. Mais si tel n’est pas le cas et que ce dernier porte plainte après que le dossier est fait et déposé, nous lui dirons d’aller voir ailleurs. Parce qu’on est venu sur le terrain il n’y a pas eu de contradiction. Si le travail est validé, il y a d’autres voies à emprunter pour revendiquer », tranche le chef de l’équipe.
Le travail d’identification et de bornage ne prend qu’une dizaine de minutes et permet d’éviter de nombreux problèmes. Sieur Condé dispose d’une parcelle de 100m2 qui ne souffre d’aucune contestation quand nous passions. « J’avais un peu de crainte quand on arrivait sur le terrain. Mais dès que la première borne a été détectée, j’ai été soulagé…Je suis confiant maintenant », dit-il, le sourire aux lèvres, avant de laisser le voisin confirmer. «Moi je vis ici depuis longtemps. Je suivais Mr Condé depuis qu’il a pris la parcelle. Il m’a même installé sur un de ses sites. Tout le monde sait qu’il est le propriétaire d’ici ». Si pour Mr Condé se passe bien, les conflits domaniaux font ravage à Dubreka, cette préfecture confondue aujourd’hui à la ville de Conakry.
De nombreux conflits nés à partir de l’achat au niveau des chefs coutumiers et des chefs de familles cupides
-une parcelle vendue à deux ou trois personnes
« Très souvent, ils te vendent le terrain qu’ils ont déjà vendu à une ou deux personnes ; Parfois vous rencontrez quatre personnes en train de s’affronter sur un lopin de terre. Les chefs coutumiers vendent, les chefs de familles et les démarcheurs s’érigent en propriétaires terriens. Le Préfet, le Maire, les chefs de quartiers bradent à tout vent les espaces qui ne leur appartiennent pas. Cela m’est arrivé une fois. Mais le problème a été réglé à l’amiable. …Je suis reparti dire aux chefs coutumiers que le terrain qu’ils m’ont vendu, est réclamé par quelqu’un d’autres qui m’a présenté des papiers d’acquéreur. On m’a donné un autre terrain cette fois-ci sans opposition », nous raconte El hadj Abdourahamane D, agent d’une banque privée de la place. Malheureusement les règlements à l’amiable sont rares. Toujours à Dubréka, dans le quartier « Horira », un terrain fait l’objet de conflit depuis 2009. Un homme d’affaires détenteur d’arrêté de concession définitive et un groupe de planteurs autochtones revendiquent chacun une propriété de plus de 500 ha. Nous avons rencontré lors de notre enquête l’homme d’affaires en question pour en savoir plus. « J’ai acheté cet espace en bonne et due forme. Voici tous les papiers ! Mais depuis 2009, je n’ai pas pu déposer une brique malgré mes documents en règle. Les villageois m’empêchent sous prétexte que le domaine leur appartient. Ils ont même réussi à en occuper illégalement une grande partie. L’autre partie que voyez là-bas est aussi occupée par les gens de Bawa, l’autre village voisin. Je fais donc face aux occupants illégaux de deux villages. Malgré tous ces documents légaux à ma possession, le domaine est occupé. Des personnes viennent construire sans aucun titre foncier », soutient le vieil homme d’affaires impuissant devant la situation.
El hadj Abdrahamane D. détient tous les documents légaux selon lui « Je suis empêché d’avoir accès à mon domaine depuis 14 ans malgré les papiers à ma possession. Mes enfants et moi avions échappé à la mort un dimanche quand nous étions venus voir les chefs coutumiers. Dès qu’on a garé devant la cour du chef de terre, les gens armés de machettes, de gourdins et que sais-je encore, sont sortis de partout avec des injures et des menaces de mort à notre encontre. Nous avions rebroussé chemin. On s’est rendu dans le poste de gendarmerie d’à côté où on nous a demandé de retourner à Conakry et saisir la justice. Ce que j’ai fait. Mais hélas ! Que ce soit la police, la gendarmerie, la justice, impossible. Jusqu’ici rien n’est fait. Et cela m’écœure d’avoir des documents au complet et ne pas être capable d’entrer en possession de mon dû et d’en jouir. Vraiment c’est frustrant. Et difficile à comprendre avec les autorités du ministère de l’Habitat, surtout celles de Dubreka »,
Non seulement l’homme d’affaire ne peut pas jouir de son domaine, mais en plus les villageois qui se disent propriétaires ont aussi vendu quelques parties du domaine litigieux à des tiers personnes. Pour preuve. Des murs de briques disposés un peu partout et même des maisons..
Dans le village de Bawa, où nous nous sommes rendus, ce sont des villageois surexcités que nous avons eus à rencontrer. Interrogés, ils se sont tous empressés sur le micro pour, selon eux, « cracher » leur part de vérité.
« Tout ce que vous voyez là-bas, ce sont des terrains qui appartiennent à des familles. Ici, par exemple, c’est le terrain d’une famille. Nous sommes nés ici. On connaît les propriétaires de ces terrains. Nos parents cultivaient ici. Un matin le vieux vient se présenter pour dire que tout ça c’est pour lui. Qui lui a vendu ce domaine ? Il s’agite depuis des années avec des faux papiers du CNDD pour réclamer un domaine d’une trentaine de parcelles. Regardez ici ! C’était une carrière que nos parents ont longtemps exploitée. Depuis des années nous vivons de l’exploitation de cette carrière. Personne n’est venu pour nous dire que c’est pour lui. Ce domaine nous appartient. Celui qui essayera de le toucher nous verra sur son chemin. Ce n’est pas à vendre. Nous avions même attiré l’attention des autorités sur ce dossier, afin que des individus cessent de nous déranger », nous apprend le porte-parole des villageois, très remonté.
El hadj Abdrahamane et les villageois sont en procès depuis 14 ans. « Nous irons jusqu’au bout », promet l’homme d’affaires qui n’est pas prêt à abandonner.
Combien de dossiers domaniaux sont-ils pendant devant la justice ? Combien de citoyens ont englouti des fortunes sur des fonciers litigieux ?
En zones urbaines, les principales causes des litiges sont entre autres le chevauchement des lotissements, des terrains vendus et attribués à plusieurs personnes, la lourdeur administrative. Aujourd’hui, les autorités judiciaires et les responsables de la direction des affaires juridiques et du contentieux ont enregistré, selon nos sources, plus de 10 mille dossiers litigieux concernant le foncier..
A lire dans notre prochaine édition : la réaction des autorités du ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme et celles de la Conservation foncière.
Louis Célestin