On savait la surpopulation de la Maison centrale. Mais il y a bien plus. Il s’agit aussi d’un excellent centre d’affaires où »Businessmen‘’ et clients doivent se battre contre des punaises particulièrement violentes.
« Il ne faut pas souhaiter la prison même à son pire ennemi… », disait en mai dernier l’historien et journaliste Amadou Djouldé Diallo après 80 jours de prison à la Maison d’arrêt de Conakry. Ce conseil résume certainement les pires conditions de détention souvent dénoncées par les organisations de défense des droits de l’Homme et les avocats. Pourtant, Djouldé a séjourné à la Maison centrale a un moment où les conditions de détention ont été améliorées, dit-on. En 2014, l’ONU dénonçait, dans un rapport, des conditions effroyables dans les lieux de détention où condamnés et prévenus étaient détenus « dans des établissements pénitentiaires surpeuplés et insalubres ». Entre autres, le rapport notait que « les cellules sont restreintes, obscures, surchauffées et insalubres. Elles manquent d’aération et de latrines décentes ». Plus de six ans après ce rapport, l’administration pénitentiaire se targue aujourd’hui d’avoir amélioré les conditions de détention. En grande partie grâce au Programme d’Appui à la Réforme de la Justice (PARJU) dont une partie avait été consacrée au système carcéral.
Cadre pénitentiaire restreint
Édifiée par le colon français pour accueillir une population carcérale de 300 prisonniers, la Maison centrale de Conakry abrite plus de 1 500 prisonniers, selon nos sources. Au fil des années, quelques aménagements ont permis d’avoir des cellules supplémentaires. Mais le cadre pénitentiaire reste restreint par rapport à l’évolution sans cesse de la population carcérale. Ce qui limite les effets du PARJU. « Depuis octobre 2020, les prisonniers politiques viennent aggraver la surpopulation carcérale », fait noter un avocat. En juillet dernier, 40 de ses détenus politiques ont été libérés, mais une soixantaine y est restée. Et quand quatre cadres de l’UFDG, le principal parti de l’opposition, sont sortis de la prison, Bogola Haba de l’ANAD y a été conduit. Il sera rejoint par Abdoulaye Bah, accusé de violation des termes du régime de semi-liberté dont il avait bénéficié avec Ousmane Gaoual, Chérif Bah et Cellou Baldé.
En raison du cadre pénitentiaire restreint, certains mineurs se retrouvent dans le même cale ( Ndlr: ici à la Maison centrale, on appelle les cellule Cale) que des grands bandits. « Le problème c’est que parmi ces mineurs il y a aussi des grands bandits. Les bandits ne peuvent qu’être ensemble », relativise un ancien prisonnier qui s’est confié à Guinéenews.
Presqu’un village
Les mineurs, ils sont près de 300 prisonniers à la Maison centrale. Mais, à la Maison centrale, le nom mineur ne désigne pas seulement les moins de 18 ans. Il désigne aussi la grande cour dans laquelle se trouvent les cellules des détenus politiques. C’est là aussi que les bâtiments prévus pour les activités de réinsertion socioprofessionnelle des prisonniers ont été transformés en cellule. On entendra alors parler de Mécanique, Sapo (diminutif de Saponification), Froid, Couture, Réfectoire…Tous ces noms désignent depuis des années des bâtiments dans lesquels sont entachés les prisonniers. Il y a aussi Cantine et Nouvelle Cantine. Et, il y a Punition. Cette cellule redoutable qu’on peut qualifier de prison de la prison.
Les règles de la Maison centrale
La cellule Punition est surtout réservée aux bandits de grands chemin et ceux qui se hasardent à violer les règles de la prison. Les règles sont nombreuses. Mais celle qu’il ne faut pas du tout violer, c’est celle qui interdit de parler du chef de prévention ou d’accusation de son co-détenu. « On suppose que si nous y sommes c’est parce que nous avons tous commis une infraction ou votre nom a été associé à la commission d’une infraction et qu’il revient à la justice de trancher. Par exemple, tu ne peux pas dire : tu as vu celui-là, il est là pour viol. Si jamais tu le dis et qu’on le rapporte aux gardes pénitentiaires, tu es sévèrement puni », témoigne un ancien détenu sous l’anonymat.
Un prisonnier puni se retrouverait dans une cellule extrêmement insalubre où il côtoierait rats, souris et sentirait l’odeur nauséabonde des urines et autres excréments. Un détenu politique ou voleur de téléphone se retrouverait ainsi avec des grands bandits. Quant aux punaises, elles sont le lot de tout le monde.
Payer pour mieux vivre
« Des gens achètent des torches uniquement pour tuer les punaises la nuit », raconte notre source. Les punaises, les latrines remplies et nauséabondes… sont partagés par tous. A part ceux-ci, on peut payer pour mieux dormir, mieux manger, mieux s’habiller et même «passer des coups de fil à l’extérieur ». Et ce privilège ne s’obtient qu’avec l’argent, selon notre source. « Dès que tu arrives, tu peux négocier avec les gardes pénitentiaires pour avoir un matelas. Tu peux être le plus grand criminel et mieux dormir à la Maison centrale par rapport à un voleur de poulet. Parce que le lit confortable est payant », poursuit notre ancien prisonnier. A part le lit, beaucoup d’autres articles comme le savon, le lait, le café…. sont vendus à la Maison centrale et le commerce est même détenu par des prisonniers dont les simples noms font peur aux Guinéens. « Il y a des gens qui ont développé des activités et qui, depuis la prison, arrivent à faire nourrir leurs familles dehors », ajoute-t-il.