« Je pense qu’il est grand temps qu’on voit et gère l’enseignement supérieur et la recherche scientifique comme un investissement sociétal et économique viable qui est estimable avec des indicateurs macro et micro clairement définis et surveillés…»
A Conakry où il a récemment pris part au Forum de l’Etudiant Guinéen organisé par le ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, Dr Abdoulaye Baniré Diallo a eu l’amabilité de rendre une visite de courtoisie à Guinéenews pour un bref entretien. Le scientifique est Professeur à l’Université de Québec à Montréal (UQAM) et Directeur du laboratoire de bio informatique.
Il a été Directeur adjoint du département d’informatique et Directeur des programmes de Certificat, Maîtrise et Doctorat en informatique de la même université. Il détient une thèse de doctorat de l’Université McGill, avec une des bourses les plus prestigieuses du gouvernement canadien (Conseil de Recherche en Sciences et Génie du Canada).
Pr Baniré est un ancien du MIT, à Boston où il y a fait un stage postdoctoral. Un stage orienté vers le domaine de l’utilisation des technologies de l’intelligence artificielle et la bio informatique pour analyser les données microbiennes et virologiques. Devenu professeur à l’UQAM en 2007, alors qu’il n’avait que 26 ans seulement, le jeune scientifique a été gratifié du Prix d’Excellence en enseignement de l’Université de Québec à Montréal en 2016, un prix qui récompense l’effort fourni dans l’amélioration des programmes d’études et la qualité d’enseignement.
L’un des lauréats du Next Einstein Forum qui a eu lieu à Kigali récemment dans la capitale rwandaise, c’est avec beaucoup de plaisir que votre quotidien a eu un entretien avec lui en dépit de son agenda très chargé à Conakry. Dans l’interview qui suit donc, le Professeur Baniré nous parle des récents prix honorifiques qu’il a obtenus, de la startup « My Intelligence Machines (MIMS) que lui et de deux ses collègues ont créée et qui a un avenir prometteur ainsi que ses propositions pour la qualification de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique guinéen. Lisez !
Guineenews : On sait que vous êtes détenteur d’une dizaine de prix d’excellence dont ne peut étayer tous ici. Mais entre mars-avril 2018, vous avez été lauréat du Next Einstein Forum, qui a eu lieu à Kigali. Qu’est-ce que cette distinction vous inspire?
Pr Abdoulaye Baniré Diallo: effectivement, j’ai été désigné parmi les 17 lauréats du Next Einstein Forum, qui a choisi les jeunes scientifiques de moins de 42 ans, d’origine africaine, dont les contributions en recherche commencent à avoir un impact dans leurs domaines. Je précise qu’il y a un autre Guinéen dans ce lot-là, qui s’appelle Mamady Kaba et qui travaille en Afrique du Sud. Donc, nous étions deux Guinéens sur 17 africains. Cette nomination m’a valu de partir à Kigali fin mars-début avril 2018 pour participer au Forum africain organisé par le Next Einstein Forum. J’ai reçu le trophée des mains du président Macky Sall.
À Kigali, parallèlement au Forum des lauréats, il y avait une compétition pour l’innovation en matière de technologie qu’ils ont appelée Competition of invention to innovation (CI2I). J’ai participé à cette compétition qui m’a valu avec mon équipe MIMs, le premier prix d’innovation en matière de deep tech en Afrique pour cette année. Croyez-moi, au delà de ma modeste personne, c’est toute la Guinée et le Canada qui ont été honorés à travers ces marques de distinction. La Guinée a été représentée par la cheffe de cabinet du ministère de l’Enseignement supérieur et de recherche scientifique Mme Zenab Camara ainsi que d’autres cadres du département.
Guinéenews : à peine rentré au Canada après le forum de Kigali, on a appris la nomination du regroupement de la Jeune Chambre de Commerce du Québec…
Pr Abdoulaye Baniré Diallo : en effet, je le dis en toute humilité, je suis nominé comme finaliste d’entrepreneur de l’année issue de la diversité par le Regroupement de la Jeune Chambre de Commerce du Québec. La décision est attendue au mois de juin 2018. C’est un parcours de circonstance et le sérieux dans le travail, mais surtout le soutien inconditionnel de ma famille, amis et proches qui font que nos travaux soient reconnus et valorisés par le monde.
Guinéenews: pourriez-vous nous parler de votre startup- MIMs (My Intelligence Machines) qui poursuit son petit bonhomme de chemin ?
Pr Abdoulaye Baniré Diallo : je suis cofondateur et directeur scientifique d’une compagnie MIMS – My Intelligence Machines avec Sarah Jenna (CEO) et Mickael Camus (CTO). Cette compagnie est spécialisée dans les solutions d’intelligence artificielle et bioinformatique dans le domaine de la santé et agritech. En 2017, elle a été classée parmi les huit meilleures technologies en intelligence artificielle sur 225 évaluées à travers le Canada par FounderFuel.
Et cette année, la compagnie fait partie, selon Betakit – qui est une firme qui suit toutes les Startups à travers le Canada et les Etats-Unis-, elle est classée parmi les dix compagnies à suivre à Montréal cette année. Elle est dans la grappe IA de Montréal et ambassadrice de la ville de Montréal. Nous comptons actuellement 14 employés et sommes en train de négocier ou signer avec une vingtaine de clients entreprises incluant des hôpitaux, universités, des biotechs et de grandes institutions pharmaceutiques. Nous ambitionnons de devenir une grande compagnie en Intelligence Artificielle et bioinformatique pour la précision dans le domaine de la médecine et de l’agriculture.
Guinéenews.org: quoiqu’étant établi loin du pays, quel regard portez-vous aujourd’hui sur l’enseignement supérieur guinéen, en général?
Pr Abdoulaye Baniré Diallo : le regard, comme vous le dites, il est lointain, mais il est aussi proche. Parce que je reviens de temps en temps au pays. Je suis ce qui se passe à l’intérieur de nos universités et dans l’écosystème de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Je pense qu’il est grand temps qu’on voit et gère l’enseignement supérieur et la recherche scientifique comme un investissement sociétal et économique viable qui est estimable avec des indicateurs macro et micro clairement définis et surveillés. Il faudrait donc colliger des données mesurables et vérifiables pour guider cette gestion. Plusieurs enjeux touchent cette transformation.
Le premier enjeu est l’actualisation de la mission de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique à l’ère de la mondialisation et du numérique. Ainsi, ce secteur doit être dynamique, flexible, innovant et surtout efficient dans l’utilisation des ressources. L’accessibilité universelle à la connaissance actuelle à travers le numérique, change drastiquement tous les systèmes d’éducation incluant l’enseignement supérieur. Ainsi, le numérique doit être au cœur de la stratégie en vue de construire des programmes d’enseignement et de recherche innovants et d’accompagner la formation de base et la formation continue. Les salles de classe doivent permettre l’accès à la projection et internet pour accéder aux matériels numériques. Les systèmes de formation en ligne doivent être mis en place, en support de la formation de base, mais prioritaire pour la formation continue.
Puis, en second, il faut faire un effort dans la transformation de nos institutions pour une autonomie réelle. Ainsi, l’autonomie réelle des institutions d’enseignement supérieur dans leur mode de fonctionnement, de gestion et de recrutement doit être clairement établie. Il faudrait aussi assurer une transition effective et finale vers des systèmes de formation reconnus dans le monde au niveau du LMD. Qu’elle puisse, cette transition, se concrétiser de façon effective, il faudrait une gestion du cursus individualisé de l’étudiant, la flexibilité des programmes, leurs adéquation avec l’emploi et l’environnement socio-économique, la qualité de l’enseignement, la documentation, l’accès à internet sur les campus, les normes des salles d’enseignement, amphis et salles de TD/TP, les ressources matérielles et humaines qui viennent avec. Une meilleure gestion des modules horaires permettrait d’augmenter les capacités d’accueil. Dans plusieurs pays, les effectifs des grandes universités sont supérieurs à 30 000 étudiants par université à cause d’une gestion efficace. Les grandes écoles ont plus de 10 000 étudiants comme les HEC, écoles polytechniques, et autres. Cela permettrait de mieux gérer les budgets et éviter les éparpillements de ressources. Mais cela ne veut pas dire que l’université tient sur un même campus. Je pense que la mise en place de l’ANAQ jouera un rôle aussi dans cette normalisation, l’assurance qualité et l’accréditation des programmes.
En troisième, Il faudrait s’assurer d’une intégration de l’enseignement, la recherche, l’innovation et les services à la collectivité comme fondement des institutions d’enseignement supérieur. Cette intégration s’incarne dans la fonction professorale qui doit être au centre du processus de formation aux cycles supérieurs. Les bénéfices découlant de cette intégration sont essentiels pour permettre aux institutions universitaires d’assumer pleinement leur rôle en matière de culture du savoir et d’acteurs de développement. Les institutions d’enseignement supérieur doivent être orientés pour servir les communautés, le pays et enfin le monde. Ainsi, les universités à l’intérieur du pays doivent avoir en priorité des programmes pour des emplois et du travail dans leur environnement immédiat.
En quatrième, il faudrait investir en recherche appliquée puis fondamentale dans les différentes institutions de recherche. Cela permettrait de renforcer les formations de Master et de Doctorat, mais aussi de stimuler le transfert de connaissances des universités vers les industries et entreprises. Les innovations avec des impacts majeurs ne se feront qu’à travers cela. Pour y arriver, il faudrait une gestion financière auditable des fonds investis en recherche et des concours de financement avec des comités de financement basés sur les pairs et non complaisants. Un dollar investi dans les fonds de recherche rapporte entre 3 à 5 fois son investissement par l’État, en plus de créer de l’emploi, renforcer les capacités de recherche, améliorer la qualité de vie, la justice, l’économie, la sociologie, l’histoire… et rendre nos entreprises locales compétitives sur le plan sous régional en nombre et qualité de produits. Par ailleurs, il faudrait s’assurer de valoriser la culture de la recherche et récompenser les recherches de qualité. La Guinée a eu par le passé plusieurs chercheurs reconnus en Afrique ou ailleurs, mais ne sont pas distingués par une académie des sciences.
Et le dernier enjeu concerne le manque criard de ressources humaines en enseignement supérieur et recherche scientifique, soit au niveau professoral, soit au niveau assistant, soit au niveau de la gestion de l’enseignement supérieur ou la logistique en milieu d’enseignement supérieur. Mais ça, c’est quelque chose sur quoi on doit travailler pour améliorer ici rapidement.
Guineenews.org : votre proposition pour combler ce vide ?
Pr Abdoulaye Baniré Diallo : il y a différentes façons de faire. Je pense que nous sommes à une ère où les institutions d’enseignement supérieur doivent jouer leur rôle de gardiennes de savoir et de centres d’expertise d’un pays. Je l’ai dit précédemment, c’est un investissement qui doit être stratégique pour un État. Et donc, l’expertise dans les universités doit se traduire par l’autonomie d’abord des institutions. Ensuite, par des critères de recrutement basés sur l’excellence. Et comme on le voit dans la plupart des pays, même certains pays africains ont emboîté le pas, il y a une politique claire en matière de recrutement à l’enseignement supérieur qui se fait par appel à candidatures au niveau des enseignants-chercheurs, qui reste ouvert tant aux nationaux qu’aux internationaux. Et ces critères-là, les seuls qui priment, c’est l’excellence du dossier, c’est d’avoir une thèse de doctorat minimalement, et d’avoir une expérience en recherche. Ces éléments-là doivent être des prémices dans la transformation de la façon de faire dans nos institutions. Ce qui permettra rapidement de venir combler un gap. On a très peu d’enseignants dans nos universités qui ont un doctorat. Et penser qu’on peut les former pour les emmener vers le doctorat est un peu utopique. Par contre, il faut penser qu’au prochain recrutement que les critères ci-haut soient fondamentaux. Ceux qui sont encore dans le système, il faut revaloriser leur condition salariale et de travail pour les inciter à rester dans le système et à s’engager exclusivement dans cette carrière. Le ministre Yéro Baldé a entamé plusieurs initiatives dans ce domaine qu’il faille mener à bout. Cela permettrait donc de venir combler ce vide et d’accompagner les autres tranquillement à l’intérieur d’un cadre bien réglementé pour améliorer leurs compétences. Cela accélérerait la création des programmes de maîtrise et des écoles doctorales. Ce sont ces dernières qui permettront d’augmenter drastiquement le corps professoral avec du personnel détenant un doctorat. Il faudrait que la gestion des carrières professorales soit conforme au CAMES pour faciliter la mobilité et les échanges entre chercheurs sur le continent. Le Sénégal, le Rwanda, le Ghana l’ont fait récemment avec le système de développement de son enseignement supérieur. Ce sont des appels à candidatures qui sont ouverts à l’internationale, avec des critères qui sont standards en France, aux Etats-Unis et partout ailleurs. Je pense qu’on doit aller dans cette direction-là.
Guineenews.org : Ensuite ?
Pr Abdoulaye Baniré Diallo : Le second, c’est dans la gestion universitaire. Il faudrait, dans l’administration universitaire, créer des conditions pour qu’il y ait des ressources qui ont l’expertise en gestion universitaire. Et non des gens qui sont simplement des administrateurs ou des gens qui se transforment en administrateurs d’université. Ces rôles sont créés. Ils existent. Et il y a une manière de former les gens dans ce secteur-là.
Guineenews.org : votre mot de la fin ?
Pr Abdoulaye Baniré Diallo : Je suis content d’être ici. C’est toujours un plaisir de venir en Guinée. Je pense que tout le monde fait le même constat, que notre enseignement supérieur est malade. Il faut travailler pour corriger cela et améliorer la situation. Il est important de retenir que l’éducation, l’enseignement supérieur en particulier est un secteur qui doit être vivant et en perpétuel évolution pour rester à la fine pointe du savoir et former dans les meilleures conditions la future élite de notre pays. Pour cela, il faudrait que tout le monde s’y engage pour définir un plan clair, mettre les moyens et travailler dans ce sens.
Entretien réalisé par Mady Bangoura