En instaurant les élections multipartites, les réformes constitutionnelles de 1990 avaient pour ambition de démocratiser le système politique guinéen. Mais, cette noble ambition s’est heurtée au maintien des pratiques autoritaires et néo patrimoniales du pouvoir, empêchant dès lors l’avènement d’une culture politique démocratique. Ce qui a eu pour conséquence de pervertir le sens même des élections, en en faisant non pas un dispositif du renforcement du jeu démocratique, mais un instrument de confiscation du pouvoir. Or, cette instrumentalisation autoritaire des élections et des mécanismes démocratiques de manière générale continue de caractériser le champ politique guinéen. En témoigne l’organisation controversée du double scrutin du 22 mars 2020 qui n’a fait que consacrer, sous couvert de procédure démocratique, la volonté souveraine et indissoluble du président Alpha Condé. Dans ce contexte où l’élection n’est qu’une formalité de plus visant à reconfirmer le président dans ses pleins pouvoirs, quel sens y-a-t-il à organiser les élections présidentielles prévues le 18 octobre 2020 ? Alors que le président concentre en sa seule personne tous les pouvoirs, comment penser organiser une élection qui verrait un autre que le président accéder au contrôle de l’exécutif ?
Deux raisons, structurelles et institutionnelles, conduisent à remettre en question la pertinence et la nécessité des élections en Guinée. En principe, l’organisation des élections suppose une structure politique où l’effectivité du partage des pouvoirs permet au peuple de donner ou de retirer sa confiance aux gouvernants. Or, en Guinée, jusqu’à preuve de contraire, le pouvoir est personnalisé et la souveraineté du peuple, une illusion entretenue. D’où d’ailleurs l’absence d’imputabilité politique et son corollaire, l’impunité transformée en vertu. Et pourtant, on voit mal comment le peuple peut s’exprimer, renouveler sa confiance, au moyen du vote, si la structure politique est organisée d’une manière qui sacralise l’autorité des détenteurs du pouvoir et dépossède le peuple de tout attribut juridique et symbolique. Les fraudes et les contestations qui accompagnent l’organisation des élections montrent qu’en réalité la voix du peuple a toujours été usurpée par des manœuvres présidentielles visant à confisquer le pouvoir : la souveraineté du peuple a été l’autre nom de la souveraineté absolue du président et de son clan.
C’est d’ailleurs cette exclusivité revendiquée du pouvoir qui fait que les institutions politiques et sociales sont incapables de servir l’intérêt public. La Ceni par exemple ne jouit d’aucune indépendance. Sa supposée indépendance n’est que de façade, car son pouvoir se confond au pouvoir du président, qui demeure le maître principal du jeu électoral. C’est du moins ce que permet de croire le cafouillage qui a entouré la nomination de l’actuel président de la Ceni. Au niveau de cette institution censée arbitrer la compétition politique, se nouent des relations de pouvoir qui rendent impossible l’alternance politique et donc rend inutile le processus électoral. Dans la mesure où les institutions sont inféodées par des pratiques autoritaires et répressives, il devient évidemment que l’organisation des élections n’a aucune raison d’être. Ce sera un exercice inutile, une formalité, pour présenter sous forme démocratique une élection déjà organisée d’avance et aux résultats prévisibles. Oumar Bongo ne disait-il pas : « en Afrique, on n’organise pas les élections pour les perdre ». Cette vérité étant propre à la Guinée, de 1990 à 2020, la question qui se pose alors, c’est pourquoi même organiser des élections. Est-ce pour paraître démocratique aux yeux des partenaires techniques et financiers ? En tout cas, la réalité est claire, ce n’est pas pour démocratiser l’espace politique.
Ainsi, nous devons adopter une attitude réaliste et ouverte vers un changement de culture politique : se battre pour l’organisation des élections dans le contexte institutionnel et structurel actuel, ce serait faire preuve d’aveuglement ! Le combat politique devrait prendre la forme d’un changement qui induirait un nouveau rapport au pouvoir et aux institutions, un rapport de responsabilité construit sur une notion partagée de l’intérêt public. Les partis d’opposition eux-mêmes serviraient mieux l’intérêt de la population en luttant pour favoriser l’avènement d’une nouvelle culture politique et non à se battre contre une personne aveuglée par la passion démesurée du pouvoir.
Bouya Konaté, président de l’union pour la défense des intérêts républicains (UDIR)