Des conteneurs de quarante pieds remplis de produits alimentaires (huile, riz, sucre, lait, margarine, poulets congelés, jus de fruits, boissons alcoolisées) de véhicules d’occasion, des motos, des vêtements et autres objets divers inondent le marché guinéen. Voilà la triste réalité que constate tout visiteur qui passe le poste frontalier de Pamalap pour rallier Freetown, la capitale Sierra-léonaise ou pour se rendre à Conakry. Des milliers de véhicules et des tonnes de marchandises passent par le port de Freetown via Pamelap pour atterrir sur les marchés guinéens, en contournant les procédures correctes de dédouanement. Le poste frontalier de Pamalap voit ainsi passer chaque jour des flux de camions avec à leurs bords des marchandises, sans faire l’objet de contrôles efficaces et rigoureux de la part de la douane. Raison de plus d’affirmer que ce poste frontalier reste aujourd’hui l’une des plus grandes portes d’entrée de la fraude où s’effectuent toutes sortes de trafics portant sur plusieurs milliards de francs guinéens. Au grand dame du fisc.
Situé à environ 187 km de Conakry, dans la Préfecture de Forécariah, le bureau terrestre de Pamelap est l’un des plus importants du pays en termes de poids dans les entrées financières des douanes. Ce poste, selon les informations reçues dans les couloirs de la direction des douanes, à lui seul pèse environ des milliards de francs guinéens en termes de recettes versées dans les caisses de l’État, avec en moyenne 11 000 véhicules reçus en provenance de la Sierra-Leone. Mais hélas ! Les commerçants véreux et autres trafiquants, avec bien sûr, la complicité des douaniers, des policiers et des gendarmes, ont fait de ce poste frontalier la vache à lait sur le dos de l’Etat.
Interpellée par des opérateurs économiques qui voient à travers cette pratique, un cas de concurrence déloyale où des marchandises non dédouanés et celles taxées compétissent sur le même marché national, la Direction générale des Douanes traîne les pieds au lieu de passer à l’offensive et diligenter une série d’inspections sur le terrain.
L’information reçue, nous avons pris attache avec plusieurs victimes et témoins des cas de fraude des transactions quotidiennes qui s’y opèrent nuit et jour.
Témoignages des commerçants victimes
Ils sont nombreux les commerçants, les hommes d’affaires et autres opérateurs économiques guinéens qui se plaignent de la porosité des frontières terrestres, plus particulièrement de la fraude. « Je connais le circuit. Ceux qui effectuent des opérations à partir du port de Freetown voire de Monrovia, ont des représentants dans ces villes portuaires. Une fois les camions chargés là-bas, ils appellent le propriétaire ou le transitaire de la marchandise afin que ces derniers puissent se rendre aux postes frontaliers et négocier le passage des bagages. Certains commerçants s’approvisionnent directement dans les marchés de Freetown. Ils se renseignent sur les douaniers au poste.
Ceux-ci sont contactés quelques heures avant l’arrivée du convoi des camions. Des containers qu’on dédouane ici au port de Conakry très cher, se négocient à ce poste à des tarifs dérisoires. Je ne saurai vous dire exactement combien ils payent. Je n’ai pas mes documents sous les yeux. Et ces gens vendent leurs marchandises dans les marchés aux mêmes que nous autres qui sommes en règle vis-à-vis des taxes douanières au port. C’est déloyal », crie à l’injustice El Hadj B.D grossiste au marché de Madina.
Un opérateur économique très remonté nous décrit la manière dont procèdent d’autres commerçants pour inonder les marchés avec les produits de fraude. « Beaucoup de ces commerçants qui ont des ramifications de Pamelap à Coyah, en passant par Forécariah, n’arrivent pas à Conakry. Ils tournent à partir de Coyah pour les villes de l’intérieur du pays. Tout ceci avec la complicité des forces de sécurité et de la douane. On a maintes fois dénoncé ce trafic mais que voulez-vous ? On ne nous entend pas. D’autres passent par la contournante Forécariah-Kindia », nous apprend Hamidou B, importateur de denrées alimentaires basé à Matoto.
Les marchandises en transit sur le territoire national reversées sur les marchés
Lors de nos investigations, nous avons constaté que la fraude se dessine sous deux principaux visages. Après le premier cas cité ci-dessus, le deuxième concerne le déversement frauduleux de marchandises( souvent dons destinés aux pays frontaliers sans port) en transit sur le territoire national. Ici, la fraude porte sur des convois de marchandises assujetties au paiement de taxes et droits de douanes. Ces milliers de tonnes de marchandises non dédouanées ne traversent guerre les postes frontaliers. Elles sont déversées sur le marché guinéen sans qu’aucun centime à titre de dédouanement n’ait été payé pour des marchandises considérées en amont hors taxe « C’est à ce niveau que les fameux passeurs en douane interviennent », apprend-on
Comment manœuvrent ces acteurs informels et parallèles du processus de dédouanement ? Si l’on en croit un interlocuteur (capitaine de la douane, récemment retraité), une fois lancés à Conakry, les convois en transit dont les marchandises sont hors taxe, détiennent tous un ‘’acquis’’. Ce terme désigne le bordereau de marchandises à valider par l’administration douanière au poste-frontalier. Le bordereau en question précise la valeur douanière de la marchandise en transit classée.
Le bordereau en main, selon toujours le douanier en retraite, « le passeur en douane se rend dans le bureau frontalier où il remet le document en question pour visa. Ce qui est censé attester que le convoi parti de Conakry a bel et bien franchi la frontière. Tout le monde mange là-dedans. Ce n’est pas que le passeur en douane. Il y a aussi l’administration douanière sur place qui appose sur le bordereau la mention ‘’vu passer’’ et le personnel de l’Office guinéen des chargeurs qui doit également noter dans son registre que le convoi est passé ».
Justement un agent de cet office nous confiera à cet effet. « Des véhicules de convois lancés au Port de Conakry, ne quittent pas souvent Conakry. Mais, on délivre l’acquis ‘’vu passer’’ alors que le convoi n’est jamais arrivé à la frontière. On nous présente un acquis portant mention ‘’vu passer’’. Ce qui nous est demandé, c’est de confirmer que la marchandise hors taxe est passée. Ce qui n’est pas le cas. C’est un manque à gagner pour l’État et pour les autres opérateurs économiques qui, eux, ont dédouané leurs marchandises à écouler sur le marché national. La faute ne nous incombe pas. Nous, on signe et on prend pour nous. Si on ne le fait pas sur place, quelqu’un va prendre la commission à Conakry et on va signer l’acquis par contrainte », se défend notre informateur.
A Pamelap, aux dires d’un inspecteur de la douane aujourd’hui en retraite, « lorsqu’un véhicule personnel ou un pick-up immatriculé VA, EP ou IT franchit la barrière, c’est la débandade. Douaniers, transitaires ou encore passeurs en douane, à la vue de ces genres de véhicules, prennent leurs jambes à leur cou. Du coup, le poste, bruyant d’habitude, se vide de son monde », nous informe-t-on avant de continuer. « Ceux qu’on appelle sur le terrain des passeurs en douane. Ce sont des acteurs du dédouanement qui font office de pont entre le personnel douanier et les chauffeurs ou convoyeurs et qui se paient eux-mêmes sur les transactions pour le retour du véhicule dans la ville de Forécariah pour Conakry. Derrière ce branle-bas, se tait les douaniers qui pourtant devraient traquer la fraude dans les procédures de dédouanement qui a pignon sur rue à ce poste »
Pamelap, un poste juteux !
A la direction générale de la douane on nous apprend que tous les douaniers souhaitent être postés à la frontière Sierra-léonaise plus particulièrement au poste de Pamelap. Et pour cause. Tous les agents qui y sont se « beurrent » comme on le dit. « Faites-y un tour et vous verrez. Le passage des convois de camions pleins de marchandises et d’autres objets est négocié sans contrôle. C’est là-bas que les passeurs, les transitaires et même les agents des forces de sécurité en profitent. C’est presqu’une foire ! Ce poste échappe complètement au système Sydonia qui est pratiqué au port autonome de Conakry. A ce poste frontalier, on pratique l’ancien système dépourvu de contrôle strict et rigoureux. Dès que les camions franchissent la barrière, les agents de la douane sautent dans les cabines et somment les chauffeurs de s’acquitter. Une fois les pieds à terre, ils se dirigent dans le bureau du chef qui après « vérification » ordonne au chauffeur de démarrer et quitter les lieux. Il en est ainsi pour tous les véhicules qui transitent de ce côté », nous raconte un douanier en poste à Pamelap, qui a bien voulu garder l’anonymat. Combien sont-ils ces véhicules et gros porteurs qui sont rançonnés à ce poste ? Des milliers. Combien perd l’Etat à ce poste frontalier ? Des milliards. Voilà donc l’appât qui attire les agents de la douane.
A l’inspection de la douane où nous nous sommes rendus, c’est le silence radio. Aucun interlocuteur pour nous dire si les autorités douanières sont informées de la fraude qui se pratique aux frontières terrestres du pays.
Au ministère du Commerce, on promet de mettre fin à cette vieille pratique qui est devenue un fléau.