Au terme de l’expiration de l’ultimatum conjointement lancé par les gouvernements guinéen et ivoirien aux occupants illégaux pour déguerpir la forêt classée de Déré-monts Nimba-Thiapleu, (une réserve forestières située à la frontière Guinéo-ivoirienne, ndlr), Guinéenews est allé à la rencontre du leader d’une ONG locale activement impliquée depuis des décennies dans la sauvegarde de ladite forêt.
Présent sur le front de la sensibilisation des occupants illégaux depuis 1996, le président de l’Association des Jeunes pour l’Unité Guinéenne (AJUG), estime que la responsabilité dans la destruction de cette forêt est plutôt imputable aux autorités qu’aux populations qui n’y ont eu accès que lorsque les sociétés d’exploitation ont fait des ouvertures
D’après Cécé Joseph Théa, ces ouvertures pouvaient aider les autorités à mieux sauvegarder la forêt en mettant en place des patrouilles mixtes pour sauvegarder la forêt.
Parlant des causes ayant favorisé la destruction de cette forêt classée, Cécé Théa balaie d’un revers de la main l’argument soutenu par les autorités qui les attribuent, elles, à la survenue de l’épidémie d’Ebola en Guinée et de la guerre en Côte d’Ivoire.
Parce que, dit-il, la guerre en Côte d’Ivoire n’a pas eu la même ampleur que celle du Liberia pour que les autorités soient empêchées de protéger la forêt de Déré-Nimba-Thiapleu.
«Les autorités, au lieu d’empêcher les gens de s’installation dans cette forêt, ont plutôt facilité leur installation. Certains comme les conservateurs de la nature, communément appelés les Ecogardes, ont vendu une bonne partie de cette forêt dont ils ont charge de protéger.
C’est pourquoi aujourd’hui, il y a des gens qui se réclament propriétaires des terres qu’ils occupent dans cette forêt. Il faut rappeler que c’est à la mort de Simon Pierre Théa, l’un des premiers occupants de la forêt de Déré que j’ai commencé mes sensibilisations.
A l’époque, je n’ai pas manqué de leur rappeler qu’ils occupaient une forêt classée, donc un patrimoine de l’Etat et que tôt ou tard ils seront appelés à quitter ces terres qu’ils occupaient de façon illégale.
Lors de mes sensibilisations, certains occupants m’ont confié qu’ils ont acheté leurs terres. J’ai eu même à produire un film documentaire d’alerte sur cette forêt de Déré que j’ai envoyé à Conakry pour que les autorités puissent prendre la mesure de la menace qu’elle courait.
Si les occupants illégaux n’avaient rien payé pour s’y installer, il devenait plus facile de les faire décamper. Mais vu qu’ils ont dû payer de l’argent pour avoir droit de s’installer, cela va sans doute compliquer l’opération de déguerpissement. Je souhaite que chacun réponde de sa forfaiture devant la loi, que ceux qui ont vendu une partie de cette forêt soient retrouvés et conduits au tribunal pour rétablir ces occupants dans leurs droits.
Ce qui rend difficile la sensibilisation sur terrain actuellement, c’est le fait que certains sont en train de pousser les occupants à la résistance. D’autres estiment même qu’en essayant de faire intervenir l’argent pour corrompre les autorités au plus haut sommet de l’Etat, ils parviendront à s’y maintenir.
Depuis 2016, j’ai été au bureau d’un haut gradé de l’armée auquel j’ai remis en main propre une note anonyme pour pouvoir attirer l’attention des décideurs sur tout ce qui se passait dans cette forêt. Cet officier a fait une note technique et l’a envoyée à la Présidence. Ceci avait pour but de prévenir toute situation conflictuelle susceptible d’éclater dans cette forêt à cause du comportement indélicat de certains cadres ou autorités locales.
L’une des solutions qui s’imposent aujourd’hui, c’est de procéder à une matérialisation, c’est-à-dire une délimitation de la frontière entre la Guinée et la Côte d’Ivoire», a suggéré en substance Cécé Joseph Théa.
Par ailleurs dans un souci d’équité, nous avons rencontré par la suite le colonel Papa Condé, le Directeur général de CEGENS, le centre de gestion de Nimba-Simandou, pour avoir sa réaction sur les accusations portées à l’encontre des conservateurs de la nature qui relèvent directement de son autorité. En poste depuis 2014, le DG de CEGENS nous a confiés ceci :
«Quand je suis arrivé, la forêt classée de Déré était déjà envahie. Face à la situation, j’ai organisé en 2018 des patrouilles mixtes. Nous avons arrêté des Burkinabés, naturalisés Ivoiriens, des Ivoiriens et des Guinéens et nous avons même arraché le drapeau ivoirien à Goutinata. Dans ce campement, certains Burkinabés, Ivoiriens et Guinéens ont construit une école de fortune. Je leur ai intimé l’ordre de quitter immédiatement cette forêt classée qui appartient à l’Etat. J’ai fait des images et des rapports que j’ai remontés à mon département de tutelle, le ministère de l’Environnement et des Eaux et Forêt.
Après ce constat le ministre d’Etat, ministre de l’Environnement et des Eaux et Forêt, Oyé Guilavogui, a pris l’initiative d’organiser un atelier sous-régional qui a regroupé la Côte d’Ivoire et la Guinée. Cela visait à prendre des dispositions collégiales pour déguerpir les gens de la forêt classée de Déré. Cet atelier a été financé par le ministère de l’Environnement sur fonds propres en partenariat avec la Société des mines de fer de Guinée (Sfmg). Il a eu lieu à Lola du 20 au 21 décembre 2018. Le chef de l’Etat, le président Alpha Condé, à la faveur de son séjour à Lola, a solennellement instruit monsieur le gouverneur d’alors, le préfet, les autorités locales ainsi que les militaires et paramilitaires de faire déguerpir les occupants illégaux de la Forêt classée de Déré.
Ledit atelier avec les Ivoiriens a permis d’aboutir à d’importantes résolutions. Parmi lesquelles il a été décidé de faire 15 jours à sensibiliser les occupants (guinéens ou ivoiriens) pour qu’ils quittent.
C’est dans l’intervalle de cette sensibilisation que j’ai été informé que deux Ivoiriens sont venus porter plainte contre les personnes qui les ont vendus la forêt classée de Déré.
Depuis que je suis-là en2014, qu’il soit Plewon ou d’autres personnes, à part des gens que nous avons arrêtés dans la forêt, je n ais jamais vue de mes yeux ces personnes donner un franc à qui que ce soit.
Ce qui est clair, c’est que chaque fois que nous avons pris des dispositions pour le déguerpissement de ces occupants illégaux, les autorités locales administratives de ces zones là faisaient passer les élections en priorités. Si tu fais le déguerpissement la population va se révolter et c’était devenu un argument constamment avancé pour empêcher le déguerpissement de se faire.
Je ne dis pas que de l’argent n’a pas été versé à certaines personnes… mais dire maintenant que c’est dans le cadre de la vente de la forêt classée de Déré, il m’est difficile de le confirmer ou de l’infirmer. Comme ils sont déjà devant la gendarmerie, s’ils exhibent des documents qui ont servi à la vente de ces domaines ou des documents qui attestent un quelconque paiement d’argents à Paul ou à Pierre, ces personnes seront interpellées pour qu’elles répondent devant la loi.
Il y a des plaintes contre certains agents conservateurs de la nature qu’on conduits à la gendarmerie. Il y a même une plainte contre mon adjoint qui est actuellement malade à Conakry. J’attends son arrivée pour lui signifier la plainte pour qu’il puisse s’expliquer à la gendarmerie.
Le premier agent a été interrogé par la gendarmerie et j’ai été vérifié ses dépositions et le sous-préfet de N’Zoo a fait une semaine de détention. Ils ont fait lire les interrogatoires et j’ai dit à l’officier de police judiciaire de continuer à clarifier tout sur la forêt de Déré qui est une préoccupation majeure pour nous qui sommes les autorités chargées de la gestion des réserves des monts Nimba.
D’abord les monts Nimba, une biosphère, est un patrimoine mondial et cette partie de Déré est l’une des zones de protection intégrale où aucune activité agricole ne devrait avoir lieu sauf des recherches scientifiques.
Si aujourd’hui cette forêt classée est détruite, nos efforts ne seront pas reconnus dans la protection. C’est pourquoi l’engagement des autorités régionales, préfectorales, du ministère de l’Environnement, des Eaux et Forêts et du chef de l’Etat, c’est de faire déguerpir les occupants de cette forêt. Les gens ont eu à vendre la forêt, l’infraction relève du droit civil, qu’ils portent plainte à la justice ou à la gendarmerie pour pouvoir entrer en possession de leurs droits.
Je réitère que si un voleur te vend quelque chose volé, tu deviens receleur. Qu’à cela ne tienne, nous notre préoccupation majeur, c’est de les voir quitter… Ce problème de plainte, qu’ils n’ont d’ailleurs jamais porté plainte contre ceux qui les ont vendus des domaines sauf quand il a été décidé de les faire déguerpir. A chaque fois qu’on leur dit de quitter, ils cherchent toujours des moyens pour retarder le déguerpissement. Qu’ils quittent ensuite ils vont gérer la question de vente avec les auteurs de cette vente.
En tout, je ne protégerai personne et je n’interviendrais pour personne. J’ai dit aux autorités, au préfet à tout le monde que chacun devait répondre de ce qu’il a fait. Parce qu’il ne faut pas envoyer quelqu’un pour surveiller quelque chose contre les voleurs et que celui-ci soit un de ces voleurs ou qui autorise les gens à occuper illégalement cette partie», a fustigé le colonel Papa Condé.
S’agissant de l’affaire des redevances, le patron de CEGENS reconnait leur existence. «J’ai vu des documents sur lesquels il est mis redevance. Mais la bêtise que les gens ont faite, c’est que les papiers sur lesquels c’est écrit redevance, ne sont pas sont pas signés. Nous savons que ce sont les services administratifs qui réclament des redevances. Nous allons remonter l’histoire à ceux qui étaient là-bas à cette période pour pouvoir tout tirer au clair. Les gens ont été escroqués et il faut que justice soit faite sur toute cette affaire.
A ce que je sache, tous les occupants illégaux de la réserve de Déré sont des personnes illégalement installées, ils doivent donc quitter », martèle le Directeur général du CEGENS avant de préciser : «c’est une réserve classée de l’Etat. Selon la loi, seul le président de la République doit prendre un décret pour dire telle zone est déclassée. A l’heure où je vous parle, il y a trois équipes dans la forêt pour voir effectivement si les gens ont quitté. Ceux qui vont refuser de quitter librement, nous serons obligés d’appliquer la force pour les déguerpir.
Après l’atelier de Lola, les Ivoiriens sont partis à Thiapleu et j’ai été en Côte d’Ivoire le 17 janvier dernier où on a tenu une réunion à Man et le déguerpissement avait déjà commencé.
Maintenant nos agents sont dans la forêt de Déré pour le déguerpissement. On a aussi demandé à l’officier de la police judiciaire de faire toute la lumière en transmettant à la justice tous les dossiers…
Je ne suis pas là pour gérer les affaires personnelles des gens.»