A l’occasion du dixième anniversaire des événements du 28 septembre 2009, le président des NFD (Nouvelles forces démocratiques), Mouctar Diallo, a accordé une interview à Guineenews© à propos de ce drame. Avec le recul, c’est sous plusieurs casquettes que l’actuel ministre de la Jeunesse et de l’Emploi jeune aborde ce sujet qui le concerne à plus d’un titre. D’abord en tant que citoyen, victime, puis acteur politique au cœur de l’organisation de la manifestation réprimée. Sans oublier que depuis, il a été opposant politique et député à l’Assemblée nationale.
Guineenews© : Nous sommes à la veille du 28 septembre, la date d’anniversaire des événements douloureux du 28 septembre 2009. Quel souvenir gardez-vous en ?
Mouctar Diallo : c’est un triste souvenir d’un massacre, d’une barbarie inqualifiable qu’on a vue ce jour, 28 septembre 2009, au stade du même nom. Nous avons été là, de façon pacifique, à un endroit fermé, pour exprimer nos points de vue partagés par une bonne partie des Guinéens. En vue d’aller vers le rétablissement de l’ordre constitutionnel pour la paix, pour la stabilité dans notre pays, quand nous avons été surpris par ces hommes en uniforme pour certains, d’autres ne l’étaient, qui ont massacré les manifestants pacifiques présents.
C’est un souvenir extrêmement douloureux qui ne va jamais me quitter parce que de mémoire d’homme, on n’avait jamais vu, une telle sauvagerie. Des crimes de masse à ciel ouvert, des viols à ciel ouvert, des gens qui tombaient suite à des coups de poignards ou parce qu’on les a tirés déçus à bout portant. Donc c’est un souvenir extrêmement douloureux que j’ai et que je garderai pour toujours.
Guineenews© : Vous l’avez dit, il y a eu beaucoup de dégâts humains, des blessés graves, de femmes violées. Mais depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Avec le recul, quelle lecture faites-vous en? Et est-ce vous pensez que ce bilan macabre pouvait être évité ?
Mouctar Diallo : Ça pouvait être absolument évité si seulement nous n’avions pas été surpris par ces criminels au stade. Les gens qui étaient au stade, le forum des forces vives de Guinée qui avait organisé cette manifestation avaient pris le soin de communiquer sur le caractère pacifique de la manifestation. Nous n’avions pas l’intention de sortir du stade qui est un cadre fermé, pour faire une marche par exemple.
Donc on ne donnait aucun signe de menace contre le pouvoir en place. La junte au pouvoir, ceux qui ont perpétré ce massacre n’avaient qu’à nous laisser manifester simplement et rentrer chez nous tranquillement.
D’ailleurs quand le massacre est intervenu, nous étions déjà en train de terminer la manifestation. Je me rappelle que nous les leaders, avions déjà dit (de clôturer ndlr)…comme il n’y avait pas de sonorisation et que l’objectif est déjà atteint par cette très forte mobilisation qui démontre que le peuple est avec nous, pas avec la junte comme le faisaient croire ceux qui étaient au pouvoir à l’époque.
Donc on pouvait absolument éviter cela. Mais malheureusement, la Guinée, ce jour-là, a renoué avec la tradition de crimes. Vous savez malheureusement, notre pays connaît une culture de violences politiques. Il y a eu les violences de 2006 et de janvier et février 2007… et avant, lors du premier régime, avant même l’indépendance de la Guinée. Malheureusement, cette situation est arrivée alors qu’on n’en avait pas besoin. Il y a eu beaucoup de morts. Officiellement on parle de 157 mais je ne crois pas à ce chiffre. Jusqu’à présent, il y a même des disparus dont les familles n’ont jamais encore fait le deuil. Il y a eu des blessés, des infirmes à vie, des Guinéens qui ont été blessés dans leur amour propre, dans leur dignité à vie qui portent encore ces séquelles. Il y a eu des familles qui se sont disloquées même suite à ces événements. Donc, c’est vraiment triste.
Guineenews© : Telle que vous décrivez la situation, c’est comme si les autorités, les militaires au pouvoir d’alors, n’avaient pas besoin de tout cela. A partir du moment où la manifestation n’avait aucun caractère violent. Est-ce qu’en partant de ce principe, on n’est pas tenté de penser qu’ils ont plutôt pêché par ignorance ?
Mouctar Diallo : Ecoutez, je n’ai fait qu’un constat. C’est le procès qui déterminera les tenants et aboutissants, les contours et pourtours de tout ce qui a conduit à cette situation extrêmement dramatique. Je ne saurai pas parler à la place de ceux qui étaient au pouvoir à l’époque. D’où l’importance, la nécessité de la tenue de ce procès pour que toute la lumière soit faite et que plus jamais cela chez nous en Guinée. Qu’on termine avec cette culture de violences que nous avons connue depuis très longtemps.
Guineenews© : Vous parlez de la procédure judiciaire, des victimes qui attendent justice. Quel regard portez-vous sur ce dossier dont l’instruction est bouclée et mais on attend encore le procès ?
Mouctar Diallo : Comme je l’ai toujours dit, moi-même, en tant que victime… je connais beaucoup d’autres victimes dont le cas est plus grave que le mien. J’ai été entendu par le pool de juges d’instruction comme témoin. Je me suis même constitué partie civile parce que pour moi, il est important, encore une fois, que justice soit rendue. Pour que les victimes puissent bénéficier des réparations morales, matérielles, financières et que les auteurs soient sanctionnés pour que plus jamais ça. Donc, selon les informations, la procédure est en cours. Quand j’étais à l’Assemblée nationale, j’avais effectivement eu l’occasion interpeller plusieurs fois le ministre en charge du dossier à l’époque (ndlr Maître Cheick Sacko, ex-ministre de la Justice). Il disait toujours que c’est en cours effectivement. Mais eu égard à la complicité du dossier, et de sa profondeur, il était important de prendre le temps qu’il faut pour que le procès se passe dans les meilleures conditions, avec un caractère juste et équitable.
Pour que les auteurs et leurs complices soient effectivement sanctionnés conformément à la loi. Et que les victimes aussi bénéficient de leurs droits. Il expliquait ce temps mis par une volonté de bien faire. Et en tant que membre du gouvernement, j’ai eu l’occasion d’entendre plusieurs fois le président de la République, le Pr Alpha Condé, demander des comptes rendus sur l’état d’avancement du dossier et d’instruire avec fermeté sur les dispositions à prendre pour accélérer leurs processus.
Quant au premier ministre, chef du gouvernement, Dr Ibrahima Kassory Fofana, il a donné des instructions au nouveau ministre en charge de la Justice (Mamadou Lamine Fofana, ndlr), de prendre toutes les dispositions y compris financières donc dans le cadre du budget de l’Etat, pour que le procès puisse maintenant être tenu. Considérant bien sûr que tous les éléments ont été mobilisés et qu’il est temps de tenir le procès.
Guineenews© : Tout ce à quoi vous venez de faire allusion veut dire qu’il y a des dispositions pour permettre la tenue d’un procès dans un avenir proche ?
Mouctar Diallo : Je crois que oui. Bien sûr que la question de délai relève des prérogatives du ministre en charge de la Justice…Je pense donc qu’il est dans cette logique, conformément aux orientations et aux instructions qu’il a reçues du Premier ministre et du président de la République.
Guineenews© : Parlant de délais, monsieur le ministre, vous venez de faire allusion à l’ex-ministre Cheick Sacko qui, en son temps, avait fixé des capes qui n’ont pas été respectés. En partant, il avait déjà identifié le Cinéma liberté pour abriter le procès. Mais son successeur est venu délocaliser le procès qui doit se tenir désormais à la Cour d’Appel de Conakry. Est-ce qu’à cette allure, on ne risque pas de faire du surplace ?
Mouctar Diallo : Je ne le pense pas. Le fait déjà que le lieu soit identifié est une preuve que le dossier avance. D’ailleurs, le gouvernement a aussi sollicité l’appui des partenaires techniques et financiers pour mobiliser toutes les conditions en vue de la tenue d’un procès équitable. Donc, je pense que le fait déjà que la Cour d’appel, comme vous l’avez dit, soit retenue comme site devant abriter le procès, démontre plutôt, si besoin en est, que nous allons maintenant vers le procès. Ce sur quoi je peux être sûr et ferme, c’est que la volonté politique du gouvernement est totale sur cette question.
Guineenews© : En plus de cette volonté politique affichée, vous avez été victimes donc avez une idée de ce que vivent ces victimes qui se sentent parfois abandonnées. Avez-vous un message pour elles ?
Mouctar Diallo : J’ai un message, d’ailleurs que je leur (les victimes ndlr) transmets à tout moment parce que nous sommes en contact… Je vous dis que moi-même je suis victime et je suis en contact avec d’autres victimes directes et indirectes, c’est-à-dire des personnes qui étaient au stade et qui portent physiquement les séquelles des violences et d’autres qui ont perdu des parents et des proches dont ils n’ont pas les nouvelles parfois. Je leur témoigne quotidiennement ma solidarité, mon soutien dans tous les domaines. Elles peuvent l’attester.
Je leur passe quotidiennement le message de foi parce que la foi peut permettre de tenir dans cette épreuve extrêmement douloureuse. Je leur dis de rester fortes en gardant la foi en Dieu. Bien-sûr de continuer à se mobiliser et de s’organiser pour la tenue de ce procès tant attendu par nous tous, pour que justice soit rendue. Bien sûr en leur faveur et contre les auteurs. Et tout ça, pour la Guinée.
Je leur dis effectivement qu’autant ils devraient être fermes sur la tenue du procès pour leurs droits, mais que c’est pour le pays qu’ils devraient le faire aussi, parce que ce procès va être un moyen de rupture. Pour faire en sorte que la Guinée rompe avec ce démon de violences, une sorte de ce cercle vicieux de violences permanentes, gratuites et ignobles pour entrer dans une dynamique de valeurs, de morale, de pitié, de foi, de pardon, de tolérance, de fraternité, et d’amour. Défendre des valeurs pour la nation, pour la République pour faire en sorte que notre Guinée soit un pays où il fait bon vivre pour tous les Guinéens, dans l’unité et la fraternité… Je crois bien sûr que ces victimes, en tout cas dans leur grande majorité, sont dans cet état d’esprit que je salue. Je leur réitère encore une fois ce message de foi, de patriotisme et d’amour.
Guineenews© : Vous êtes ministre mais aussi leader politique dont le parti était au centre de ces événements. Est-ce qu’il y a une initiative, une démarche particulière de la part des NFD (Nouvelles forces démocratiques) à l’endroit de ces victimes, notamment celles qui ont pensé s’organiser parfois en structures associatives pour mener ce combat pour la justice ?
Mouctar Diallo : C’est vrai que j’étais l’un des acteurs de ces événements à travers NFD dans le cadre du forum des forces vives de Guinée. Je puis même dire, peut-être malheureusement, que c’est même à cause de moi qu’on est (les leaders) arrivé au stade. Si ce n’était pas mon insistance, on ne serait pas arrivé au stade du 28 septembre parce que nous avons été empêchés, à un moment, bloqué par les forces de l’ordre et de sécurité qui disaient que la manifestation n’était pas autorisée. Ces agents nous intimaient l’ordre de retourner.
Beaucoup de leaders étaient favorables à ce que nous retournions au domicile de feu Jean-Marie Doré d’où nous étions partis. D’autres mêmes avaient souhaité que nous retournions reprendre nos véhicules pour repartir par la corniche. Donc c’est par mon insistance… D’ailleurs j’avais eu beaucoup d’altercations… j’étais en train de dire que c’est par mon insistance et l’appui des manifestants qui étaient à l’esplanade du stade qui ont su que nous étions bloqués là et sont donc venus nous porter main forte là où nous étions au niveau de la première porte de l’université Gamal Abdel Nasser de Conakry.
Donc, on a pu justement dépasser ce mur de policiers et de gendarmes, moi en tête bien-sûr, pour aller au stade du 28 septembre. Donc cela fait que nous sommes totalement conscients de notre responsabilité doublée d’engagement patriotique dans tout ce qui est arrivé. Donc le NFD s’inscrit dans cette logique de soutien aux différentes victimes. Non seulement celles du 28 septembre 2009, mais d’autres crimes comme ceux de janvier et février 2007. Donc nous sommes un parti proche de ces victimes. Et nous faisons preuve de soutien, de solidarité et de partage avec ces victimes. Et nous soutenons toutes démarches de plaidoyer et de lobbying allant dans le sens de la tenue de ce procès… NFD joue pleinement sa partition dans ce sens.
Guineenews© : En tant que jeune leader politique de l’opposition d’alors, est-ce qu’il y a quelque chose que vous regrettez particulièrement et que vous ne referiez pas si c’était à refaire ?
Mouctar Diallo : Je regrette ces crimes, ces tueries, ces barbaries dont nous avons été témoins au stade du 28 septembre, comme je regrette aussi les massacre de janvier et février 2007. Là aussi je rappelle que j’étais aux devants du combat, à l’époque en tant que coordinateur national du forum national des jeunes de la société civile guinéenne. J’avais coordonné l’organisation de la marche du 22 janvier qui a été réprimée au pont du 8 novembre. Donc en tant qu’acteur de ces différentes manifestations qui ont malheureusement abouti à ces massacres de la part de ces criminels, je regrette ces violences. Et je ne souhaite pas être partie prenante d’une quelconque dynamique qui ôte la vie humaine. La vie de l’être humain est sacrée. Les droits humains sont sacrés. Bien sûr que je le regrette et peut-être que si je savais à l’avance que ces manifestations aboutiraient à ces massacres je n’aurais pas participé à l’organisation.
Tout au moins j’aurais pris part à la manifestation, mais pas à l’organisation parce qu’après ça devient un poids moral mais que nous supportons malheureusement. Avec le sentiment d’être en phase avec nos convictions premières, avec les valeurs pour lesquelles nous nous battons, avec l’engagement patriotique d’être au service de la nation, au service des Guinéens quel que soit le prix à payer. C’est pour cela d’ailleurs que quelques fois, dans des moments de doute, de questionnement, d’hésitation liés à des déceptions, à des frustrations…, on est tenté même de renoncer à tout cela et de s’occuper à soi et de sa famille. Parce que nous menons une vie de sacrifice où tu n’as pas de temps pour toi, ni pour ta famille.
Nous vivons dans des stresses permanents, des pressions, une vie de risque de douleur permanente. Quand ces moments de questionnement arrivent, on est tenté de raccrocher mais on se ressource dans la conviction. Et surtout en se rappelant tous ces crimes, on se dit qu’on n’a pas le droit de reculer. Sinon, ce serait trahir toutes ces victimes qui ont perdu leurs vies, leur santé, leur dignité et leur honneur et leurs biens en répondant à l’appel du combat pour la patrie, pour le pays. On se dit que reculer là signifie trahir la mémoire de toutes ces victimes et donc il faut continuer ; quelle que soit la situation.
Bien-sûr, quelques fois, dans des formes différentes parce le combat que nous menons n’est pas un long fleuve tranquille. Ce qui est plus important, c’est d’arriver à destination quelques fois en contournant stratégiquement des obstacles. Etre amené à emprunter des chemins qui ne sont pas compris par certains mais toujours avec la même intention de poursuivre un idéal et d’atteindre les mêmes objectifs de départ. Et comme on le dit, toute chose ne vaut que par son intention. Et Dieu connaît l’intention. Et le fait de savoir qu’on est en phase avec notre conscience, en phase avec Dieu et qu’on est constant dans le combat qu’on a commencé depuis l’âge de 15 ans…
Dans cette constance du combat pour la patrie pour les valeurs républicaines, pour la Guinée et pour les Guinéens, c’est ce réconfort qui nous permet de nous ressourcer et avoir un stimulant positif pour continuer le combat que nous menons sur un chemin très difficile parce que parsemé d’embûches et d’épreuves, mais pour une mission exaltante et noble pour laquelle nous sommes prêts à tous les sacrifices.
Guineenews© : Parlant des embûches et difficultés de toutes sortes, est-ce qu’elles ne sont pas liées aussi à la façon de gérer les dossiers par les autorités quand ces événements douloureux interviennent ?
Mouctar Diallo : Il est vrai que la Guinée doit faire beaucoup d’efforts pour consolider les acquis que nous avons déjà en matière de justice. Il faut saluer les avancées depuis un moment mais il faut encore améliorer, comme dans les pays démocratiques d’ailleurs. Ceci dit, je pense que le problème guinéen intègre plusieurs facteurs liés même à beaucoup de comportements portés par les Guinéens dans leur diversité. Le problème guinéen est sociétal. C’est au-delà d’un individu. C’est un problème de culture qu’on a à travers un passé lourd aussi.
Des réflexes ont été développés suite à des pesanteurs que nous avons eues parce qu’en réalité la Guinée vient de loin. Mais encore une fois, effectivement nous devons aller vers un changement notoire. Nous sommes sur ce chemin de changement même si certains estiment que le rythme peut être accélérer. Chacun d’entre nous doit jouer sa partition pour l’accélération de ce rythme vers un véritable changement. Je vais vous dire que le problème guinéen est complexe, il n’est pas aussi facile qu’on peut l’imaginer. Comme je l’ai dit, on a développé des comportements, un système qui s’est enraciné depuis longtemps. Un système qui résiste à des réformes, allergique même au changement.
Moi je suis témoin de la volonté ardente du président de la République de changer ce système, de l’améliorer pour qualifier la gouvernance et faire en sorte que la Guinée soit un pays émergent. D’où d’ailleurs les nombreux efforts qu’il est en train de faire à tout moment, dans tous les domaines, avec une énergie incroyable, sur le plan intellectuel, physique… Mais je vais vous dire qu’il arrive qu’il donne des orientations, des instructions qui buttent à des résistances. Le Premier ministre aussi, plusieurs fois en conseils interministériels a donné des orientations et des instructions qui tardent à être mises en œuvre à cause d’un système qui est là, fort et existant depuis les débuts. Donc dans un pays comme le nôtre, la seule volonté du président ne suffit pas.
C’est pourquoi il est important qu’il y ait beaucoup de réformateurs dans le système sur lesquels vont s’appuyer le président et le Premier ministre pour mettre en œuvre leurs ambitieuses réformes. Pour que leur rêve pour la Guinée soit une réalité. Je pense qu’on est sur le chemin mais il faut que beaucoup d’autres acteurs jouent aussi leur partition pour qu’on puisse évoluer. La Guinée est un pays compliqué !
Entretien réalisé par Thierno Souleymane Diallo