« En ma qualité d’expert electoral, je condamne fermement les agissements de l’OIF en Guinée »
Depuis 2013, Jacques Gbonimy, président de l’Union pour le Progrès de la Guinée (UPG), est membre du Réseau des compétences électorales francophones (RECEF), le bras technique de l’Oraganisation Internationale de la Francophonie (OIF) dans les processus électoraux, présidé par le Général Siaka Sangaré du Mali. Devenu du coup, expert en charge de la formation dudit réseau, M. Gbonimy a participé aux formations à Libreville, à Bamako et au Québec où il a participé à l’observation des élections générales de 2014 au compte du réseau. Dans cette interview accordée à Guineenews avant même l’arrivée des experts de la CEDEAO à Conakry, le leader de l’UPG est largement revenu sur les manquements enregistrés dans le processus, les manœuvres de l’OIF et l’éjection du PNUD par la CENI, entre autres. Lisez :
Guinéenews.org : Monsieur Jacques Gbonimy, vous êtes expert en questions électorales, membre du Réseau des compétences électorales francophones. Avant d’aborder la question du processus électoral en Guinée, en tant que président de l’Union pour le Progrès de la Guinée (UPG), quelle analyse faites-vous de la démission du ministre Yéro Baldé, un des proches du président Alpha Condé, en cette période de crise politique où des rumeurs annoncent d’autres démissions?
Jacques Gbonimy : c’est vrai que personne ne s’attendait à une démission maintenant-là de la part d’un membre du gouvernement, mais c’est dans la logique de l’évolution des choses. Ceux qui sont conscients de la situation et qui vivent au quotidien les événements, peuvent, d’un moment à l’autre, prendre des décisions de ce genre pour sauver leur tête. Parce que la situation est tellement gravissime que ceux qui sont là-dans le font à leur corps défendant. Et peut-être pour un objectif divergent, les uns pour sauvegarder leurs propres intérêts, pas l’intérêt national, et les autres pour continuer à tirer profit du Président de la République, qui, lui veut un 3ème mandat à l’issue de ce référendum.
Malheureusement ceux qui veulent profiter à l’immédiat et qui ceux veulent être ministres demain, après la réussite du projet, sont tous dans une erreur. Je vois des gens qui parlent comme un homme, mais au fond, ils ont la trouille derrière eux parce qu’ils savent que ce projet ne va pas aboutir. Mais avec le doute qui est semé dans leur cœur, ils pensent avancer pour réussir. Quant à Monsieur Yéro Baldé, c’est vrai, il faut le féliciter. La décision qu’il a prise est une décision courageuse. C’est une décision que beaucoup parmi eux veulent prendre, mais soit ils ont peur ou ils ont des doutes en eux. Je crois qu’humainement, Yéro Baldé est à féliciter par rapport à sa décision courageuse.
Les premières démissions que nous avons connues, le ministre de la Justice est allé démissionner en Europe et Gassama a démissionné aussi, mais ce n’était pas dans un contexte aussi tendu. Donc si un homme du genre de Yéro Baldé prend une telle décision dans un tel contexte, il faut vraiment le féliciter et encourager ceux qui n’ont pas encore pris cette décision, de la prendre maintenant, parce que le double scrutin que veut le pouvoir est un projet qui est voué à l’échec.
Guinéenews.org : Pour la première fois, nous avons assisté à l’abstention des institutions qui ont l’habitude d’observer les élections en Guinée, d’envoyer cette fois-ci des observateurs. Vous qui avez géré des élections en tant commissaire de la CENI, quelle analyse en faites-vous?
Jacques Gbonimy : C’est vrai que c’est la première fois, en ma connaissance, dans la région ouest-africaine que la CEDEAO même refuse d’envoyer des observateurs électoraux. Les trois à quatre élections que nous avons organisées durant mon passage à la CENI, la CEDEAO a toujours été la plus importante mission d’observation ; parce qu’en tant que directeur de la formation et de l’accréditation, je gérais les observateurs. La CEDEAO venait en tête des missions d’observation à cause du nombre de personnes déployées. Et si pour ces élections, la CEDEAO s’est abstenue d’envoyer des observateurs, c’est qu’il y a un fond. Mais ce n’est pas la première institution à se retirer. L’OIF s’était déjà retirée. Mais je dirais que l’OIF a même commis un péché contre la Guinée, il faut le dire ainsi. Parce que l’OIF a accompagné ce processus sachant que l’audit auquel elle-même a pris part, n’avait pas été respecté par la CENI, parce que tous les électeurs ne sont pas passés devant la machine. Ça c’est la recommandation numéro un de l’audit.
La CENI n’a pas respecté cette recommandation phare de l’audit, mais malgré tout ça, l’OIF a suivi le processus jusqu’au dernier moment avant de se retirer. Mais il faut noter que le PNUD, qui gère le basket-fonds, où l’UE met les fonds, le Japon met les fonds, avait déjà été écarté. Et du coup, l’UE ne pouvait plus continuer à accompagner le processus, parce que son gérant des fonds qui est le PNUD avait été écarté par la CENI de ce processus électoral. Ce qui est encore gravissime parce que ces institutions internationales participent toujours aux élections nationales sur le plan de l’assistance technique électoral et sur le plan de l’assistance financière. Mais pour ces élections, on n’a pas vu le PNUD et l’UE s’investir à cause du fait qu’ils ont été écartés dès le départ du processus électoral.
Guinéenews.org : Pour quelle raison le PNUD a été écarté ?
Jacques Gbonimy : Bon peut-être pour des besoins déjà connus à l’avance. En plus de ces institutions internationales, vous avez l’Union Africaine (UA) qui avait déjà envoyé des observateurs, mais à cause du fait que la proximité ne participe pas, parce que l’UA se base sur la CEDEAO pour gérer les pays de l’Afrique de l’Ouest et la CEDEAO n’a pas envoyé d’observateurs. Donc l’UA s’est vue aussi coincée et a décidé de retirer tous ses observateurs électoraux. Tous ces aspects-là, la France, les Etats-Unis et le centre Carter qui avait l’habitude aussi de prendre part aux élections nationales, sur le plan de l’observation, n’a pas aussi fait le déplacement.
Aujourd’hui, vous allez voir des observateurs internationaux qui ne sont que des escrocs en fait, qui viennent, qui prennent de l’argent avec des institutions pour venir observer, qui valident souvent les dictatures. Parce que leurs déclarations vont souvent dans le sens contraire même de l’observation. Tout simplement pour valider certaines dictatures dans beaucoup de pays. Donc la Guinée est aujourd’hui totalement isolée face à cause de ces élections-là, par la communauté internationale au niveau régional, sous régional et au niveau mondial. Ce qui fait que ces élections qui doivent être crédibilisées en fait par l’observation électorale, ne bénéficiera pas de ce support démocratique qui est l’observation électorale au niveau international. C’est vrai que je vois des observateurs locaux s’agiter de part et d’autres, ils ont déjà eu le financement, il faut qu’ils utilisent ce financement.
Mais est-ce qu’ils le font dans l’intérêt de la nation ou dans celui du peuple de Guinée ? Je ne crois pas. Mais il faut utiliser l’argent qui est déjà reçu. Je crois que l’observation est un élément qui peut crédibiliser une élection. Mais si toute l’observation internationale, qui pour nous, a une importance capitale, se retire, c’est que ces élections ne seront pas crédibles aux yeux de la communauté internationale.
Guinéenews.org : on sent dans vos propos un acharnement contre l’OIF…
Jacques Gbonimy : En ma qualité d’expert du RECEF, je condamne fermement les agissements de l’OIF en Guinée. Parce qu’elle n’a pas suivi son expertise, ni respecté elle-même son engagement, en se mêlant au traitement d’un fichier qui n’a pas respecté les recommandations de l’audit. C’est ce qui fait mon acharnement contre cette organisation.
Guinéenews.org : En dépit de tout ce que vous venez de dénoncer, on voit que le pouvoir en place s’entête à aller à ces élections. A votre avis, si ces élections se tiennent, à quoi peut-on assister après ?
Jacques Gbonimy : Je crois que le gouvernement est aujourd’hui coincé dos au mur à cause du fait que toute la communauté internationale s’est retirée. On ne peut organiser une élection et demander à l’opinion internationale de valider les résultats s’il n’y a pas d’observateur qui peut dire la réalité de ces élections. Je crois que le gouvernement a encore du temps. Vous avez un fichier qui est mal fait et leur complice qui est la francophonie, s’est finalement retirée parce qu’elle s’est sentie aussi très mal en point par rapport à la façon dont les choses sont conduites.
Et j’apprenais même qu’INNOVATRIC qui est l’opérateur technique s’est aussi retiré. Alors qui gère maintenant le fichier si l’opérateur qui avait été choisi pour faire ce travail se retire. Est-ce que c’est l’opérateur local qui continue à travailler ? On ne sait pas. Donc nous sommes aujourd’hui dans un imbroglio qui ne dit pas son nom. Et je crois que ça ne crédibilise pas notre élection. Il faut reconnaitre que le Pr Alpha Condé, en venant au pouvoir a dit qu’il a pris la Guinée là où Sékou Touré l’avait laissée. Tout en ignorant Lansana Conté qui a permis à la Guinée quand même d’expérimenter la démocratie et qui a même accepté de créer la presse privée qui est un plier de la démocratie. En mettant son œuvre à l’eau, c’est méconnaitre déjà tout ce que les autres ont fait dans le passé. Et aujourd’hui on voit que cette presse même est bâillonnée.
Vous voyez aussi que même la presse publique est aujourd’hui au service du RPG seulement, pas au service des autres partis politiques. Alors qu’au temps de Lansana Conté, on permettait des interviews à des leaders politiques de l’opposition. Je me rappelle, Jean Marie Doré et Bâ Mamadou et Siradiou faisaient des interviews à la RTG. Mais aujourd’hui, on ne voit pas cela. La RTG est uniquement pour le pouvoir et pour le RPG. Par contre, comme je l’ai dit, le double scrutin législatives-référendum n’est pas une obligation ni pour le gouvernement ni pour le Pr Alpha Condé. Il a encore du temps, pour prendre une bonne décision dans l’intérêt de la nation guinéenne. Parce qu’une nation est composée quand même du territoire, du peuple, du gouvernement et même du président lui-même.
Aujourd’hui, nous avons une nation qui est déchirée à cause de cette affaire du référendum et du 3ème mandat, qui est voilé sous forme de révision constitutionnelle. On avait déjà dit que la révision constitutionnelle n’était pas une obligation du moment. On n’avait pas, après le premier mandat et le second qui tend vers sa fin, besoin d’une révision constitutionnelle, à partir du moment où on est à quelques mois de l’élection présidentielle. Le président qui viendrait pourrait se charger de valider cette constitution par un référendum, en demandant au peuple de se prononcer. Si ça n’a pas été fait, en 2010, c’est par la faute des leaders politiques qui sont en train de se battre encore aujourd’hui pour la même constitution. Jean Marie avait dit de procéder à un référendum pour voter la loi fondamentale. A l’époque, eux tous voyaient la présidence venir, ils avaient tous décidé d’aller vers l’élection présidentielle pour accéder au pouvoir.
Et malheureusement, celui qui est venu n’a pas fait de cela une préoccupation. Il a plutôt attendu pour préparer un mandat supplémentaire après les deux mandats demandés pas cette loi. Donc pour avoir prêté serment deux fois sur la base de cette constitution, je crois qu’il n’a pas le droit de dire que cette constitution n’est pas valable, parce que les deux mandats ont été gérés sur la base de cette constitution. C’est à un autre de dire que la constitution n’est pas bonne, il faut la soumettre à l’appréciation du peuple. Donc si ces élections se tiennent dans les conditions actuelles ça ne fera que diviser totalement le peuple. Une majorité écrasante s’est levée contre cette nouvelle constitution, je ne crois pas que ce référendum puisse tenir, parce qu’il va être empêché.
Guinéenews.org : A votre avis, que faut-il faire aujourd’hui pour un dénouement heureux de la crise actuelle ?
Jacques Gbonimy : Aujourd’hui, la première chose à faire, c’est de mettre à plat le fichier électoral et qu’on reprenne la révision, parce que les 25 jours n’ont poussé que la CENI à faire un crime contre notre pays par le recensement des mineurs, par la multiplication des doublons encore au sein du fichier électoral.
Malheureusement, elle a fait un simple ajout. C’est-à-dire que trois mille et quelques personnes qui ont été recensées ont été ajoutées simplement aux cinq mille et quelques qui existaient pour avoir les huit millions et quelques électeurs. C’est pourquoi, ils ont des difficultés pour traiter en site central le fichier. Ils n’ont pas pu enlever. J’ai été recensé pour la première fois à Gbessia-port. Maintenant, je suis dans Dubréka, aujourd’hui si je vais à Gbessia-port, c’est sûr que je trouverai mon ancienne carte là-bas. Et à Samatra, j’ai aussi une carte d’électeur. Ça fait déjà un doublon. Et beaucoup de doublons ont été créés de cette manière.
Ceux qui se sont déplacés deux à trois fois reçoivent des cartes partout. Donc la première des choses à faire sera de reprendre la révision du fichier électoral pour qu’on ait un fichier fiable. Et cela par le respect strict des recommandations de l’audit qui a été fait avec la participation de tous, la communauté internationale, le PNUD, l’UE et la francophonie elle-même qui est venue compromettre sa crédibilité en Guinée et par les experts des différents partis politiques qui étaient partie prenante de l’audit. La deuxième chose sera de ressouder le tissu social qui est divisé aujourd’hui, à travers un dialogue pour que les gens se fassent plus ou moins confiance dans ce pays. Aujourd’hui la confiance est totalement perdue. Et toute élection qui va dans ce sens avec ce fichier va se terminer par un fiasco.
Interview réalisée par Guilana Fidel Mômou