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Mères célibataires : entre galère, prostitution et humiliations

Comme à l’accoutumée, Alhassan et Hassanatou sa sœur jumelle s’affairent sur les étales de leur mère partie à Matoto depuis 5 heures du matin. La mise en place à peine terminée, Khadiatou arrive avec les provisions du jour : des tomates, de la pomme de terre, du piment, des oignons, des aubergines que les jumeaux disposent dans les plateaux. Un rituel bien rôdé pour cette famille monoparentale. Il y a dix ans que l’ex mari de Khadiatou voyant sa situation professionnelle s’améliorer, a décidé de lui tourner le dos, après avoir partagé la vie durant 25 ans.

Expulsée de la maison, Khadiatou est effondrée par son sort, mais pas résignée. Elle s’accroche à son commerce de légumes pour s’occuper des jumeaux qui ont grandi avec elle. «…Je suis leur mère, leur père…Je suis tout pour eux. Quand ils tombent malades, je fais tout pour les soigner, pour les sauver quand c’est grave. Tous les jours je suis au marché. Je me défends pour me mettre à l’aise et m’occuper de mes enfants. Qui le fera à ma place ? Je n’aimerais pas qu’ils aient des arrière-pensées ! »

Khadiatou travaille plus de 16 heures par jour pour assurer le loyer, payer les factures et la scolarité de ses jumeaux en classe de terminale. « Je me concentre à cause de ma mère. Je veux qu’un jour elle soit fière de moi. Il faut l’enlever dans cette souffrance. Elle me fait pitié », promet le jeune élève à sa mère qui, elle, enchaîne à la suite de son enfant. « C’est le courage que j’ai pris jusqu’ici ».

Mères-célibataires exploitées, prostituées et humiliées

Si dame Khadiatou prend son courage pour se lever très tôt tous les matins pour faire face aux réalités de ce monde cruel et gagner son pain quotidien et celui de ces enfants, ce n’est pas le cas de beaucoup d’entre elles. Certaines mères célibataires pour arrondir les angles  et abréger leurs souffrances ont opté pour « l’indignité ». Elles préfèrent la « sueur de leurs fesses ». Évidemment, la grande menace pour ces femmes dans cette situation, c’est de glisser vers la précocité. Les épreuves sont les quotidiens des mères seules qui se tournent le plus souvent vers le monde de débauche.

Ce matin, Bountouraby S. prépare sa fille pour l’école. C’est dans un studio qu’elle vit avec ses deux enfants âgés de 7 à 11 ans. Sans emploi, autant le dire, chez Bountouraby, à chaque jour suffit sa peine. « On vit au jour le jour ! C’est-à-dire si aujourd’hui, on a un peu d’argent, on en profite ; si on n’en a pas, je suis obligée d’aller quémander ou prendre crédit chez le boutiquier du coin. Actuellement, on manque de tout », se lamente notre interlocutrice. La situation financière de la jeune femme est très fragile et accentuée par la précarité. Ici même les questions médicales sont traitées avec les moyens du bord.

« Il arrive parfois que je n’ai rien à offrir à mes enfants pour manger. Je sors aller dans les bars et sur d’autres lieux de loisirs pour les soulager. Là-bas, on supporte tout. Même celui qui n’ose pas t’approcher dans le quartier, ose te faire des avances…Un jour mon fils avait piqué une crise de palu chronique. Je l’ai envoyé à l’hôpital. Mais je n’avais rien pour les premiers soins. Je suis ressortie de l’hôpital le confiant à l’infirmier pour aller chercher l’argent dans un maquis du coin où il y a des chambres de passage. Cette petite course indigne m’a permis de soigner et sauver mon fils. Comprenez comment c’est dévalorisant…C’est difficile. Mais on n’a pas le choix. On fait avec. Souvent on se demande si on représente ou on vaut quelque chose, si on sert à quelque chose dans la vie…Tu veux tout abandonner, mais comment nourrir et entretenir les enfants à ta charge», se résigne Bountouraby.

  Un engrenage qui piège beaucoup de mères célibataires qui se voient tourner vers la prostitution pour survivre. « J’ai cherché du travail durant des années sans jamais en trouver. Et pourtant il faut que j’aide ma pauvre vieille maman ! Je suis obligée de travailler dans les night-clubs pour subvenir aux besoins de mon enfant aussi. C’est dur mais que faire ? Tu vas avec des gens dont tu ne connais pas le statut ! Sida ou pas tu fonces pourvu que tu gagnes quelques billets de banque. C’est risqué de s’aventurer ainsi, cependant il le faut pour scolariser mon enfant. Je ne sais pas quand je vais abandonner les night-clubs ou la rue. Pour l’heure j’y suis, j’y reste », persiste et signe Saran, une mère célibataire rencontrée dans un café devant une boite de nuit à Kobaya.

Une implacable réalité à laquelle sont habitués les enfants de ces femmes célibataires prêtes à tout pour sauver la situation « J’aime ma maman. Quand je serai grande, je vais lui acheter une maison. Pour l’heure, je prie pour qu’elle ait beaucoup d’argent pour nous soutenir », des propos qui font fondre en larmes Saran.  A 30 ans, celle qui n’a pu achever ses études au Lycée doit vivre avec les regards de la société et son lot de mépris « Nous sommes exposées. Souvent des personnes de mauvaise moralité te font des propositions indécentes. Quand tu réfléchis, tu as l’impression que tu es réduite à néant. Et si tu refuses alors que tu es l’espoir d’une mère très vieille, voilà le dilemme. ..Un mal nécessaire ».

Même si elles sont prêtes à tout pour que leurs enfants, leurs parents ne souffrent pas de leur déception, les mères célibataires n’ont tout de même pas des trajectoires différentes. A Kaloum, centre administratif de Conakry. Victime d’un accident de moto, Maimouna met à profit sa guérison pour être plus présente auprès de sa fille. Enseignante de profession, elle a décidé de revenir en famille après d’incessants malentendus avec le père de sa fille. Et assure seule la charge de son enfant. « Je suis revenue en famille. Il a abandonné l’enfant dans ma main. C’est comme un débarras pour lui », dira-t-elle. Même si sa situation lui permet de s’occuper de sa petite « Domani », Maîmouna a préféré revenir vivre en famille, gage pour elle d’une sécurité. « Je ne peux pas veiller  sur elle étant malade. Je ne peux pas faire des allers-retours sur le chemin de l’école chaque jour. Ici en famille, il y a papa, il y a des sœurs, des frères et d’autres cousines qui me prêtent mains fortes. Il y a la cellule familiale qui prend soin d’elle, quand je me rends par exemple à l’hôpital pour mes visites ».

Mères-célibataires travaillant en plein temps

Après ses longues journées au marché, Khadiatou trouve la force la nuit tombée de cuisiner pour ses jumeaux. « C’est un petit plat simple, rapide pour que je puisse me reposer juste quelques heures avant le petit matin. Je dois me lever très tôt le matin pour me rendre à Matoto, l’autre bout de la ville, pour m’approvisionner ».  Ce combat de tous les instants, Khadiatou le consacre à l’avenir de ses enfants au point d’avoir abandonné tous les plaisirs de la vie. « Je n’ai plus le temps pour ces choses-là. Je suis occupée à veiller sur mes enfants, à mon petit commerce…Je tiens à ce que mes jumeaux réussissent dans la vie pour ne pas être la risée de leurs amis, voilà pourquoi je leur consacre le peu que je gagne. Du primaire jusqu’aujourd’hui Lycée, je suis fière d’avoir engagé toutes mes énergies sur mes enfants. Je sème aujourd’hui pour récolter demain les fruits », dit fièrement la jeune dame en implorant la Grâce Divine.

Depuis que la vie l’a confondue aux pires épreuves, Bountouraby refuse de céder au destin. Elle se rend souvent auprès de certaines ONG bienfaitrices à la recherche d’un certain réconfort, de l’assurance et surtout une passerelle pour trouver du travail. En Guinée, il n’existe apparemment aucune statistique ou des ONG sérieuses concernant les mères-célibataires. Les déboires des Khadiatou, Bountouraby et ceux de Maimouna, sont les lots quotidiens d’innombrables mères-célibataires. Si elles ont longtemps incarné la figure de la femme fautive, leur résilience à offrir un avenir meilleur à leurs progénitures  fait de ces mères des modèles de courage.

Ces  témoignages émouvants doivent interpeller de bonnes volontés et des autorités du pays à mettre en place une chaîne de solidarité pour venir en aide à ces femmes oubliées de la société.

NB : Nous reviendrons sur ce dossier pour savoir la réaction des responsables du ministère de la Promotion de la Femme, de la Petite Enfance et des Affaires Sociales

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