De plus en plus présent au front de la lutte contre le changement constitutionnel en cours, maître Mohamed Traoré accorde une interview à Guinéenews©. L’ancien bâtonnier de l’ordre des avocats explique ses motivations et indique les limites de son combat. Lisez !
Guinéenews© : Vous êtes respecté au sein et en dehors de votre corporation et on ne vous connaît pas une appartenance politique. Qu’est-ce qui motive votre activisme actuel ?
Maître Mohamed Traoré : Vous faites bien de dire qu’on ne me connaît pas une appartenance politique, parce qu’effectivement je n’en ai pas. Je ne milite dans aucun parti politique, ni ouvertement, ni clandestinement. Mais il faut faire la différence entre le débat politique et le débat purement citoyen. Je pense que le débat actuel portant sur un éventuel changement constitutionnel, en vue de permettre à l’actuel président de la République d’obtenir un troisième mandat ou un mandat de plus, quelle que soit l’appellation que nous lui donnons, ce combat-là est un combat citoyen. Ce n’est pas un combat politique. Je pense qu’il n’est pas interdit à un citoyen, quelle que soit sa condition sociale, quelle que soit son appartenance ethnique, régionale ou autre, d’exprimer son point de vue lorsqu’il s’agit de grandes questions concernant la vie de la nation. J’ai été membre du conseil national de la transition (CNT). J’ai activement pris part à la rédaction de l’actuelle constitution, celle du 7 mai 2010. L’un des principes auxquels toute la classe politique était attachée, c’est le principe de l’alternance démocratique. Nous membre du CNT, nous n’avons fait que traduire cette volonté, ce souhait de la classe politique dans un texte fondamental qu’on appelle la constitution. Ce principe avait déjà été engagé par les acteurs politiques eux-mêmes, avec les acteurs de la société civile. Si on est arrivé à cette conclusion, ou plutôt à la nécessité de limiter le nombre de mandats afin de favoriser l’alternance politique, c’est pour éviter qu’un homme ou un groupe d’hommes reste de façon indéterminée au pouvoir sans aucune possibilité de rendre compte, de passer le témoin à d’autres acteurs politiques. C’est bien vrai que l’alternance, la limitation de mandats n’est pas en soi un gage de démocratie. Mais c’est un facteur important de démocratie. Sans alternance, il n’y a pas de véritable démocratie. Donc je pense que tout ce qui concerne ce combat là, me concerne en tant que citoyen.
Guinéenews© : Autant dire que votre militantisme actuel est plutôt un militantisme de circonstance ?
Maître Mohamed Traoré : Absolument, c’est un militantisme de circonstance. Si le combat contre le changement constitutionnel prenait fin, je me consacrerais à mon cabinet, où j’exerce ma profession d’avocat parce que pour l’instant je n’ai aucune ambition politique. Je n’ai pas l’intention de m’affilier à un parti politique ou de descendre sur le terrain politique. Donc c’est un militantisme de circonstance. Et ce militantisme, je ne le cache pas. Je l’exprime très souvent sur ma page facebook. Tout le monde le sait. Je ne l’ai jamais caché à personne. Et je l’ai dit à quelqu’un, je suis prêt à m’allier à toute personne, que ce soit un acteur politique ou un acteur de la société civile, ou un « citoyen ordinaire», pour que la Guinée connaisse enfin une alternance démocratique. Sans que l’ont soit obligé d’attendre l’irruption des militaires sur la scène politique ; qu’on ouvre une nouvelle transition pour qu’il y ait une nouvelle équipe au pouvoir.
Guinéenews© : Cette question risque de vous heurter. Vous m’excuserez si c’était le cas. Dans ce débat, vous êtes de ceux dont la communauté est au pouvoir. Vous ne redoutez pas d’être vu par ses propres parents comme celui qui fragilise leur pouvoir ?
Maître Mohamed Traoré : C’est le genre de raisonnement qu’il faut éviter dans ce pays. Lorsqu’il est question de se battre pour les principes, je pense que chacun doit oublier son appartenance ethnique, régionale ou communautaire. Ce n’est pas pour rien que j’apprécie l’engagement d’acteurs politiques comme Ousmane Kaba, comme Lansana Kouyaté et beaucoup d’autres. C’est parce que je pense que c’est vrai que dans le pays il y a des ethnies. Mais la nation est au dessus des ethnies et je pense qu’il faut éviter ce genre de considérations. A mon avis, ce n’est pas une question communautaire. Ceux qui se battent aujourd’hui pour qu’il y ait une nouvelle constitution, ce qu’ils ne disent peut-être pas, c’est que l’éventuelle nouvelle constitution pourrait aboutir à la pérennisation du pouvoir actuel. Ils n’aimeraient peut-être pas que les privilèges qu’ils ont aujourd’hui, les avantages qu’ils ont aujourd’hui prennent fin, avec l’avènement d’une alternance politique. Mais encore une fois, ce n’est pas un débat communautaire. C’est un débat national. C’est un débat citoyen.
Guinéenews© : Jusqu’à récemment vous vous contentiez de soutenir à distance ce combat. Mais vendredi dernier on vous a vu aux côtés des opposants politiques et acteurs de la société civile qui militent contre le changement constitutionnel. Pourquoi avoir franchi le rubicond ?
Maître Mohamed Traoré : Je voudrais quand même replacer notre présence à cette cérémonie dans son contexte. Il y a un groupe d’avocats, qui, de façon individuelle, ont décidé d’apporter son assistance aux personnes qui étaient arrêtées lors des manifestations anti-troisième mandat… Généralement, dans ce genre de situations, le pouvoir s’appuie sur la justice pour casser la dynamique enclenchée par ceux qui sont opposés à certaines de ses initiatives. Donc nous en tant qu’avocats, à titre individuel, nous avons estimé que ces personnes qui manifestent ne font qu’exercer un droit qui leur est constitutionnellement reconnu. Et qu’elles ne doivent pas être inquiétées, poursuivies en justice et éventuellement condamnées pour avoir exercé un droit que la constitution leur reconnait. C’est ainsi que nous avons décidé qu’à chaque fois que ces personnes là ont été présentées devant une juridiction, de leur apporter assistance en les défendant, de façon bénévole (j’insiste là-dessus)… Il y a eu un cas à Kindia, un cas à Forékaria, un cas à Coyah… jusqu’à à N’Zérékoré. Devant toutes les juridictions basées dans ces localités là, ce sont des avocats, à titre individuel qui se sont présentés pour défendre ces personnes. Nous estimons qu’il n’est pas normal qu’on permette à certains Guinéens de pouvoir s’exprimer librement parce qu’ils soutiennent le projet de changement de constitution et qu’on empêche d’autres d’exercer ce même droit parce qu’ils sont du camp opposé. Et c’est la raison fondamentale qui a fait que nous avons accepté de défendre ces personnes qui, par la grâce de Dieu, ont été purement et simplement libérées parce que les faits sur la base desquels elles étaient poursuivies n’étaient pas constitués. Donc c’est en qualité de membre de ce collectif d’avocats que nous avons été invités à prendre part à cette conférence de presse. Afin d’expliquer ce qui a motivé des avocats qui, généralement attendent d’être payés, à apporter assistance à ces personnes sans rien demander en contrepartie. Donc ce sont là en quelque sorte, les quelques raisons qui ont motivé notre présence à cette conférence et ces pour ces raisons que la parole nous a été donnée.
Guinéenews© : En prenant position aux côtés des opposants, ne redoutez vous pas que le caractère impartial qu’on vous a connu jusque là soit remis en cause ?
Maître Mohamed Traoré : Face à certaines situations, il est difficile pour un citoyen d’être neutre. Je ne parle pas d’impartialité mais je parle de neutralité. Il y a des moments où on est obligé de choisir. Je ne pense pas que le choix porté sur tel ou tel camp puisse m’enlever ce que vous appelez ma crédibilité. Le combat que je suis en train de mener, étudiant je le menais déjà. Je précise que j’ai été membre fondateur de l’Union nationale des étudiants et patriotes de Guinée. Un mouvement estudiantin qui était à l’époque et qui est encore affilié au RPG devenu RPG arc-en-ciel. Donc ce militantisme là, j’ai commencé à le mener quand j’étais à l’Université déjà. Je pense que les principes pour lesquels je me suis battu depuis que j’étais étudiant, je continue à me battre pour les mêmes principes. Quelles que soient les époques et sans tenir compte de qui est au pouvoir. Parce que ce sont des principes que je pense être essentiels pour la vie de la nation. Donc je refuse d’être neutre quand il faut prendre position. Et vous constaterez que ma prise de position ne concerne pas généralement la gouvernance en tant que telle parce que je me dis que les opposants sont mieux placés pour parler de cela. Mais je pense qu’absolument rien ne justifie le contournement des principes de la démocratie. Quels que soient les progrès réalisés par l’actuel président, et en dépit du fait que les gens disent qu’il n’y a pas d’alternative crédible. Je ne pense pas que cela soit un motif pour faire échec aux principes de l’alternance démocratique. Parce que dans les années passées, si toute la Guinée s’est levée contre le régime du général Lansana Conté, c’est parce qu’il n’y avait plus aucune possibilité d’alternance. Et vous connaissez la conséquence qui a résulté de cette situation : c’est la deuxième irruption des militaires sur la scène politique après le décès du président en exercice.
Guinéenews© : Autrement dit, vous êtes de ceux qui pensent que quelles que soient les prouesses de ceux qui sont aux affaires c’est toujours nécessaire de respecter les principes de l’alternance ?
Maître Mohamed Traoré : Je suis viscéralement attaché aux principes de l’alternance démocratique. C’est pourquoi je dis encore que ni les progrès réalisés par le président de la République, ni la prétendue absence d’alternative crédible ne peut justifier qu’on ne puisse pas favoriser l’alternance démocratique. Si non on se poserait la question de savoir pourquoi nous-nous sommes battus toutes ces années là pour que le principe de la limitation de mandats soit inscrit dans la constitution ? Dans la constitution de 1990, le principe de la limitation de mandats était inscrit dans une de ses dispositions. En 2001 cela a été modifié. Nous avons tous dénoncé cela. Nous avons dénoncé le fait qu’on a fait sauter le verrou…
« En créant un précédent… »
En créant un précédent. Et en 2010, nous avons fait en sorte d’avoir une constitution qui non seulement réinstaure le principe de limitation de mandats, mais aussi fait en sorte que les dispositions liées au principe de limitation de mandats soient parmi celles qui ne peuvent être modifiées. Cela veut dire qu’on accordait de l’importance à ce principe. On fait en sorte que le principe de la limitation de mandats ait la même valeur que la forme républicaine de l’Etat, puisque la forme républicaine de l’Etat aussi ne peut pas faire l’objet de révision. Ainsi que la limitation de mandats. C’est dire que toute la classe politique, tous les acteurs de la société civile accordaient de l’importance à ce principe. Donc moi je pense que se battre pour la préservation de ce principe là c’est un combat qui va au-delà des partis politiques. C’est un combat qui transcende les questions de politique politicienne. C’est un combat citoyen.
Guinéenews© : Quid du fait qu’il y ait des grands noms du secteur du droit qui soutiennent le principe qui voudrait qu’on ne soit pas fondamentalement contre celui de modification de la communication ?
Maître Mohamed Traoré : Relativement à cela, ma position est très claire. Tout changement de constitution dont le but ou l’effet serait la remise en cause le principe de l’alternance politique et démocratique, j’y suis opposé… C’est normal que d’autres juristes pensent le contraire. Nous sommes en démocratie, les opinions ne peuvent pas être forcément les mêmes sur toutes les questions. Il peut arriver des questions qui divisent. Et je pense que l’essence même de la démocratie, c’est la contradiction. L’essentiel c’est que chacun se batte avec les armes légales, avec les moyens légaux. Autrement dit, avec l’arme du droit pour faire triompher les idées dans lesquelles il croit.
Guinéenews© : Nous arrivons au terme de cet entretien. Est-ce qu’il y a un aspect que nous n’avons pas abordé et que vous souhaitez évoquer ?
Maître Mohamed Traoré : Je n’ai pas grand chose à ajouter. Tout simplement dire que le combat pour l’alternance politique, le combat pour la défense de la constitution est un combat qui intéresse tous les citoyens. On n’a pas besoin d’appartenir à un parti politique pour le mener. Je rappelle que des milliers et des milliers de Guinéens se sont battus pour que nous puissions arriver à la situation dans laquelle nous vivons aujourd’hui. Si nous ne pouvons pas a aller de l’avant, nous devons éviter au moins de reculer. Je pense que cela doit être compris par tous les citoyens. Et j’espère que chacun prendra conscience du fait qu’il y a des questions qui peuvent représenter un danger pour la stabilité même du pays… Depuis que cette histoire de constitution a commencé, pratiquement, toutes les autres questions sont reléguées au second plan. Et pourtant, à part ce sujet, il y a des questions non moins essentielles qu’on a mises de côté. Je pense qu’il serait intéressant que ce débat là prenne fin maintenant afin qu’on puisse s’atteler à autre chose.
Entretien réalisé par Thierno Souleymane Diallo