« Si on veut booster le secteur du pétrole en Guinée, il faut nécessairement donner la priorité et l’importance à la recherche pétrolière en définissant un modèle standards de contrat de partage de production (CPP) dynamique et attrayant pour permettre aux partenaires pétroliers de s’intéresser à notre offshore et onshore surtout en cette période où l’investissement dans la recherche à baisser de plus de 50% à l’échelle mondiale…»
Suite à la création de ce tout nouveau ministère des hydrocarbures créé par le gouvernement du nouveau Premier ministre Kassory Fofana, la rédaction de votre quotidien électronique Guinéenews© s’est intéressée à un spécialiste en la matière pour nous éclairer l’impact de la création de ce nouveau département ministériel sur la recherche pétrolière ainsi que le développement des infrastructures pétrolières.
Il s’agit de Diallo Mohamed Chérif, un jeune guinéen, expert géologue qui a séjourné recemment au Canada dans le cadre d’une expertise internationale dans le domaine des géosciences. Ce jeune appartient à plusieurs associations professionnelles dans le domaine des ressources minérales et des hydrocarbures dont les plus connues à l’échelle internationale sont : L’Association Américaine des Géologues du Pétrole (AAPG) ; l’Ordre des Géologues du Québec (OGQ) et le grand Bureau Economique et Géologique (BEG) du Canada. Il est fondateur d’un bureau d’expert en Guinée appelé Africa Géo-ingénierie Services (GEOS) dont l’immatriculation dans le registre du commerce et l’implantation est en cours actuellement au Québec avec des partenaires stratégiques pour l’Afrique dans le domaine minier.
Il est issu de l’école doctorale de la Faculté des Sciences Techniques de Fès (Maroc) en passant par l’Institut Supérieur des Mines et Géologie de Boké et de la Faculté des Sciences et Techniques de Dhar el Mahrez (Mastorat), et de plusieurs autres instituts de formation aux USA (Petroskyll), à Paris (Institut Français du Pétrole), Canada (Services Geoscientifiques inc). Ce cadre Guinéen très connu pour ces qualifications pointues à travailler pour plusieurs multinationales en Guinée ; il a été recruté en septembre 2011 par la compagnie junior Hyperdynamics où il a activement participé aux opérations de recherche pétrolière sur l’offshore guinéen, ce qui lui a valu être l’un des techniciens guinéens à intégrer et à participer à l’évaluation des ressources de pétrole de l’offshore guinéen à Houston dans une équipe pluridisciplinaire (Geologist Team). Lisez !
Guinéenews© : Le ministère des hydrocarbures vient de prendre figure au sein du nouveau gouvernement Fofana. Comment appréhendez-vous cette démarche en tant que spécialiste ?
Diallo Mohamed Chérif : J’ai appris cette nouvelle comme tous les Guinéens. Cependant, j’ai été largement consulté pendant et après la création de l’ONAP (Office National des Pétroles) et j’y ai apporté mon grain sel puisqu’il s’agissait de participer au décollage de ce secteur. A l’époque, il fallait vraiment regrouper tout le secteur du pétrole de l’amont à l’aval en un seul établissement public à caractère industriel et commercial dans une seule direction de sorte à faciliter l’ascension surtout de l’amont des hydrocarbures mais aussi le développement des infrastructures pétrolières. Ce qui fut fait. En réalité et très sincèrement, on a créé un ministère des hydrocarbures lorsqu’il y’a eu du progrès dans ce sens.
Guinéenews© : De quel progrès parlez-vous?
Diallo Mohamed Chérif : A l’instar des autres pays de la sous-région et d’ailleurs partout dans le monde, un tel ministère est créé lorsque qu’il y a eu une découverte commerciale du pétrole validée en tant que réserve prouvée. Après une évaluation de cette découverte et pendant le développement du projet de découverte d’une part ; et d’autres part, lorsque le développement des infrastructures pétrolières prennent une très bonne ascension, cette découverte favorise et facilite la construction des oléoducs, des raffineries, la construction de dépôts de carburant ainsi que l’acquisition de matériel logistique de taille, sans oublier les unités techniques de régulation à savoir le laboratoire de référence de contrôle de qualité des hydrocarbures, le centre de traitement des données 3G « Géologie, Géochimie, Géophysique ». Et à cela, s’ajoute un niveau acceptable du niveau de qualification du personnel. Rien de tout cela, il fallait très sincèrement penser à travailler d’abord que de créer un ministère des hydrocarbures.
Guinéenews© : Voulez-vous dire que ce nouveau département n’a pas sa raison d’être présentement ?
Diallo Mohamed Chérif : A mon avis cette démarche est purement politique. Si créer un ministère des hydrocarbures peut créer indirectement l’incitation des investisseurs pétroliers à venir dans le pays, par le fait de négocier directement avec un ministre de la République, au lieu d’un simple Directeur tant mieux. Si je suis consulté par le président de la République je lui demanderai de maintenir l’ONAP indépendamment en tant que Société Nationale qui s’occupera surtout des questions techniques à l’instar des autres pays de la sous-région. Le Ministère ne peut pas être au four et au moulin.
Guinéenews© : La construction d’une raffinerie et la délocalisation du dépôt de carburant sont prévues en Guinée dans les années à venir. Est-ce que selon vous ça serait une avancée significative ?
Diallo Mohamed Chérif : Oui, c’est vrai sur le plan infrastructurel, mais cela n’aura pas d’impact majeur sur le prix du carburant à la pompe, pas du tout. Une raffinerie est un outil de travail, un dépôt également est un contenant. Une raffinerie sans gisement pétrolier de proximité n’aura aucune influence sur le prix du carburant à la pompe surtout lorsqu’on sait à l’avance que la participation de l’Etat sera compromise à cause du coût très élevé d’un tel projet de plus 250 millions dollars. La preuve en est que la Guinée est actionnaire dans le dépôt de la SGP (société guinéenne de pétrole) à hauteur de 7% aujourd’hui si j’ai bonne mémoire. Quel effet cela a sur le prix du carburant ? Ce dépôt a été construit par Texaco pendant la première république et racheté par Shell sous l’évènement de la privatisation à 2 millions de dollars. Ainsi fut créé l’ONA (office national) où la Guinée détenait 49% ; aujourd’hui, il ne reste seulement que 7% à mon cher pays. Si on avait pu maintenir les 49%, on serait certainement capable aujourd’hui de contrôler et de soutenir les variations imprévisibles du prix du carburant.
Par contre, la délocalisation du dépôt de carburant est imminente, cette opération pétrolière doit se faire incessamment pour répondre aux exigences actuelles des questions liées à la sécurité et l’environnement des communautés vivant à proximité, il est très dangereux d’exploiter un dépôt de carburant en plein centre-ville, cette délocalisation doit se faire intelligemment de manière à optimiser le coût de la nouvelle construction. Pour plus de détails, il y a plusieurs sites portuaires intéressant qui s’offrent à la Guinée pour ce projet à savoir : Benty Berika, Konta, les îles de Loos, Fatala à Boffa, port de Kamsar…Le meilleur site est celui dont les caractéristiques techniques à savoir : l’étude géotechnique, bathymétrique et sédimentologique, topographique, l’étude d’impact environnemental et social assortie d’un plan de développement communautaire ainsi que le plan d’affaire (business plan), montre un coût de réalisation économique et rentable sur la base des considérations énumérées plus haut. Cette approche purement technique s’appelle : Choix judicieux et stratégique d’un site portuaire pour la construction d’un dépôt de carburant qui peut être aussi couplé à une raffinerie. Il sera très compromettant à l’avenir de faire un choix sur la base des considérations non techniques.
Guinéenews© : Vous confirmez que la raffinerie en vue n’améliora pas le prix du carburant à la pompe ?
Diallo Mohamed Chérif : Pas du tout. Je vous donne un exemple sur la Guinée même. Le prix d’un sac de ciment n’a fait qu’augmenter ces dernières décennies malgré la construction de trois centres de broyage de ciment portland en moins de 3 ans à savoir GI, CIMAF, Diamond Ciment. Cela s’explique par le fait que la matière première d’un centre de broyage (le clinker) est importée comme celle d’une raffinerie (pétrole brut) ; et qui parle d’importation de matière première, parle nécessairement de frais liés au transport très coûteux et d’autres charges financières incontrôlées. Le paramètre le plus contraignant et dispendieux dans les deux cas, c’est la consommation énergétique pour transformer cette matière. Comment voulez-vous que le prix à la pompe baisse si pour faire fonctionner une telle unité industrielle, il faut générer de l’électricité. Donc, le même scenario se passera en construisant mille raffineries en Guinée si un gisement pétrolier de proximité n’est pas découvert et exploité.
Guinéenews© : Que devons-nous faire selon vous dans ce cas ?
Diallo Mohamed Chérif : Si on veut booster le secteur du pétrole en Guinée, il faut nécessairement donner la priorité et l’importance à la recherche pétrolière en définissant un modèle standard de contrat de partage de production (CPP) dynamique et attrayant pour permettre aux partenaires pétroliers de s’intéresser à notre offshore et onshore surtout en cette période où l’investissement dans la recherche à baisser de plus de 50% à l’échelle mondiale. Et en plus, la Guinée ne fait pas partie des pays possédant un bon niveau de confiance géo-scientifique pour l’exploration pétrolière malgré son contexte géologique supposé favorable pour la recherche.
En réalité, les compagnies pétrolières prennent peu de risques financiers sur les projets de recherche où la probabilité de découverte est faible. A ce niveau, les compagnies seniors ont tendance à minimiser complètement le coût de l’exploration alors que les juniors eux prennent le risque de devenir grand. Actuellement, les bailleurs pétroliers, pour stabiliser et maintenir leurs capitaux, investissent dans l’immobilier en attendant un bon retour du marché du pétrole. A titre d’exemple, la province pétrolière d’Alberta (Canada) au moment de l’exploitation des sables bitumineux, a fait beaucoup de recettes surprenantes et à l’époque, l’économie du Canada était principalement reposée sur cette province. Le salaire minimum dans cette province était entre 18 à 25 dollars l’heure alors que les autres villes atteignaient à peine 12 dollars l’heure. Aujourd’hui, l’économie de cette province est fortement menacée à cause du mauvais marché des hydrocarbures que connaît tout le monde entier, ce qui a valu à Alberta, l’allègement du climat des affaires et la revue périodique des textes applicables. Cette stratégie d’allègement adoptée par l’Alberta a permis aujourd’hui de rehausser l’investissement dans le secteur.
Voyez-vous qu’il est très risqué dans ce cas de figure de rendre le code pétrolier où les textes applicables sont figés dans un environnement instable ? Il faut nécessairement créer une sorte de flexibilité pour attirer les partenaires ayant les meilleurs programmes d’exploration. Les contrats de partage de production sont à la mode présentement ; mais il faut absolument faire de sorte que ça soit plus intéressant en Guinée qu’ailleurs pour faciliter l’arrivée massive des partenaires pétroliers. En ce qui concerne la construction des infrastructures pétrolières, le Build Operating Transfer (BOT) est plus intéressant pour la Guinée à condition que le transfert des compétences de la technique et de la technologie soit au centre des discutions ainsi que l’implication du personnel local dans la conception et la réalisation des projets d’infrastructures pétrolières. Ce qui nous permettra de gérer par la suite l’infrastructure.
Guinéenews© : Pensez-vous que le onshore guinéen pourrait contenir des hydrocarbures ?
Diallo Mohamed Chérif : Vous savez, je suis ingénieur en même temps scientifique, je ne peux pas me permettre de donner des affirmations gratuites surtout dans mon domaine. Les documentations prouvent qu’il y a de grande quantité de liquide résiduel dont le soupçon est porté soit sur l’eau souterraine ou soit sur les hydrocarbures, enfuis sous les empilements sédimentaires dont l’épaisseur dépasserait 1000 mètres, dans la zone spéciale de Gaoual. Cela a été prouvé il y a longtemps par les méthodes géophysiques usuelles. Je suis personnellement très curieux de conduire une mission sur cette zone pour comprendre les processus géologiques qui ont favorisé cette accumulation. Imaginez que ça soit une gigantesque nappe phréatique, dans ce cas, les forages industriels permettront de desservir une bonne partie de cette zone en eau potable. Les études sismiques nous permettront de quantifier ce liquide et par la suite de réaliser les sondages de découvertes. Si c’est le pétrole, ce serait alors un boom économique dans cette région aujourd’hui très pauvre.
Guinéenews© : Quel est le niveau actuel de la recherche pétrolière en Guinée ?
Diallo Mohamed Chérif : D’après le dernier rapport d’évaluation de la NSAI (Netherland, Sewell et Associates, inc.) qui date d’Avril 2016, un leader mondial connu pour son analyse pointue des réservoirs et l’évaluation des bassins pétroliers sur le potentiel d’hydrocarbures de l’offshore guinéen dans lequel, la compilation de toutes les données existantes spécifiquement les deux (2) forages réalisés (1977 et 2012) et les sismiques 3D générant les AVO (études sismiques de la variation de l’amplitude en fonction du déport) montrent plusieurs prospects dans le bassin sédimentaire guinéen. Une zone de bloc de 5000 km2 qu’appartenait à Hyperdynamics contiendrait 4,8 milliards de barils de pétrole brut avec seulement 2 milliards de baril récupérables dans les perspectives. Une chance de succès de découverte estimée de 20 à 30%. Cette évaluation a été faite sur la base de la compilation délicate du très peu d’information géologique, géochimique et géophysique (3G) disponible.
A mon humbe avis, il y a très peu de chance de découverte commerciale du pétrole à l’intérieur de notre offshore spécialement dans les eaux profondes à cause du manque d’information cruciale dans la zone d’études. Cependant, les études sismiques se sont beaucoup accentuées sur la côte ouest Africaine ces dix dernières années. Pratiquement le seul bloc inexploré est celui de la Guinée malgré son contexte géodynamique favorable. C’est pourquoi, très peu de compagnie sérieuse s’intéresse à notre bassin. Quelque part il y a un problème de management, de stratégie et de promotion pétrolière. Cette promotion se fait sur la base d’une banque de donnée très riche et variée, valorisable et vendable dans les grandes rencontres du monde pétrolier ; dans une communication professionnelle et convaincante attirant ainsi un grand nombre de bailleurs. Par conséquent d’où la nécessité de couvrir les 25 000 kilomètres carrés de superficie de notre offshore par les sismiques 3D avec une forte participation du personnel local dans l’acquisition, le traitement et l’interprétation des données. C’est ce travail d’abord qu’il fallait chercher à abattre au lieu de créer un ministère.
Guinéenews© : Hyperdynamics a annoncé une découverte commerciale du pétrole avant sa déclaration de faillite. Qu’en pensez-vous ?
Diallo Mohamed Chérif : Je n’ai vraiment pas compris cette découverte qui n’a pas fait d’écho dans le monde pétrolier ; et personne n’a compris cette découverte, personne n’a presque commenté cette nouvelle découverte. J’étais encore en Guinée au moment du forage. Hyperdynamics a voulu refaire un avenant pour passer à l’évaluation du puits de Fatala. Heureusement, la compagnie n’a pas eu d’accord du chef de l’Etat. C’était une très bonne décision du président de la république.
Guinéenews© : Que s’est-il réellement passé. Langue de bois, s’abstenir ?
Diallo Mohamed Chérif : Je me réserve de livrer certaines informations confidentielles car lors du licenciement collectif à Hyperdynamics en 2013, tout le personnel a signé un accord de confidentialité sur les informations techniques et financières de la compagnie. La déontologie du métier de géologue et mon statut à l’international ne me permettent pas de livrer certains détails.
Guinéenews© : Quels sont vos rapport avec le ministre de Hydrocarbures Diakariou Koulibaly et du directeur général adjoint de l’ONAP (office national du pétrole), Famourou Kourouma ?
Diallo Mohamed Chérif : De très bons rapports existent entre nous. Très sincèrement, j’ai de l’estime pour les deux. Le ministre, je n’ai pas eu de relation professionnelle avec lui mais je l’observe à distance depuis un certain temps. Le moment de faire mon constat personnel viendra. Lorsqu’il était directeur général de l’ONAP, il m’a invité à venir lui voir à son bureau. A la fin de notre entretien, il m’a demandé si je veux travailler avec lui que la porte de l’ONAP m’est grandement ouverte. A l’époque, j’étais en train de créer mon bureau et vu mes multiples déplacements et occupations, je n’ai pas trouvé intéressant l’offre. Je sais qu’il a la volonté de faire marcher le secteur du pétrole, je l’encourage. Mais seul, il ne pourra pas, il a besoin de personnes qualifiés. Par contre, M. Kourouma, fut mon patron à Hyperdynamics. Tout ce que je retiens de cet homme, il est capable de lever des fonds pour booster surtout l’amont du pétrole. Lorsqu’il a été nommé DGA (directeur général adjoint), je l’ai accompagné à l’ONAP pour rencontrer son patron. J’aime voir les deux travailler ensemble, c’est sincère.
Guineenews Accepterez-vous de travailler pour le Ministère ou l’ONAP ? Très honnêtement je n’y pense pas trop à l’heure actuelle, surtout qu’aucune proposition ne m’a été faite à l’instant, cependant je sais que mon ex patron Mr Kourouma en parle souvent. Je lui toujours répondu que je ne veux pas faire partie d’un groupe qui ne travaille pas. Je suis plutôt beaucoup concentré sur mes projets de recherches universitaires et une expertise au canada.
Guinéenews© : Un dernier mot ?
Diallo Mohamed Chérif : Je vous remercie et remercie Guinéenews© de m’avoir accordé cette interview. Je suis heureux de m’exprimer sur ce sujet, donner mon avis personnel. Et, c’est une manière pour moi de contribuer au débat dans ce secteur très sensible.
Interview réalisée par Youssouf Boundou Sylla, à Montréal, Canada pour Guinéenews©