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Libération des emprises publiques : quid des garages anarchiques et des parcs autos ?

Au Rond-point du quartier Kenien, en pleine autoroute. On voit des véhicules en panne sur cale pendant des heures, des carcasses de voitures, des rabatteurs et des mécaniciens à l’œuvre sur la chaussée. Vous ne vous trompez pas. Vous êtes à la casse et dans les garages qui se sont déportés sur la voie publique, des garages en plein trottoir qui créent des désagréments et ne facilitent pas la circulation. L’opération de déguerpissement des encombrants physiques sur les voies publiques, qui a démoli les habitations, les magasins, les boutiques, les kiosques et les ateliers, a survolé cette évidence qui gêne pourtant l’urbanisation que veut corriger le gouvernement.

Pourquoi ? Un poids deux mesures ?

Le chômage, ce mal qui mine la société guinéenne a eu des effets pervers sur les populations, notamment les jeunes à la recherche de l’emploi. Pour atténuer donc les effets négatifs sur les groupes vulnérables, une des alternatives a été d’étudier les possibilités susceptibles de promouvoir l’entreprenariat. Il était alors devenu urgent de forger une conscience basée sur l’initiative privée ou l’effort personnel.

Ainsi, verront le jour les métiers du secteur informel grâce à la volonté politique. D’où la multiplication des garages anarchiques et des parcs automobiles qui a pris aujourd’hui une ampleur importante dans la ville de Conakry et les autres villes de l’intérieur, à telle enseigne que les trottoirs et les carrefours sont devenus des lieux de commerce. Mais il faut reconnaitre que cette occupation spontanée et illégale des trottoirs devenue préoccupante, est la suite logique de la mauvaise gestion des espaces publics.

La capitale est devenue à tout bout de champ un vaste marché et même les trottoirs qui sont pour la circulation des piétons, un véritable lieu d’exercice des activités pour ces citadins vendeurs d’autos. Lieux de rencontre, d’échange, de communication et de socialisation, les espaces publics ont perdu leurs fonctions et usages premiers au profit de ces hors-la-loi qui en sont conscients mais qui crient sur tous les toits qu’ils n’ont pas là où aller.

 « Nous constatons que ça crée beaucoup de désagrément pour les populations…Nous sommes conscients du désordre. Mais ce n’est pas facile. Nous n’avons pas de moyens. Nous voulons un site. Tous les chefs garagistes de la ville de Conakry sont unanimes qu’il faut un site digne de ce nom. On a écrit au gouvernorat via les cinq maires que compte la zone spéciale de Conakry, malheureusement jusqu’ici on ne nous a pas répondu. N’ayant pas eu gain de cause, nous nous efforçons de squatter des trottoirs …Et comme vous savez, les clients ne viennent pas à temps pour récupérer leurs véhicules. Entre-temps, d’autres viennent pour des réparations rapides. On abandonne alors momentanément ces véhicules, pour s’occuper le plus rapidement possible de ceux qui viennent arriver », nous explique, Mamadi Kallo, porte-parole des vendeurs de pièces détachées à la casse à Kenien, dans la commune de Matam.

Ces garages anarchiques sont partout dans les communes de Conakry. Sur l’autoroute, à Madina, à Dixinn, Matam, Cité de l’air, Coza, Sonfonia, Kipé, Ratoma…Dans tous ces quartiers les voies sont encombrées de voitures, de carcasses de véhicules abandonnés.

Aujourd’hui, la rue et le trottoir font vivre une proportion importante des populations de Conakry et des autres villes de l’intérieur. Ce secteur d’auto-emploi permet néanmoins, malgré les problèmes qu’il pose, de réduire le chômage et la pauvreté. C’est une réponse populaire et spontanée et créative face à l’incapacité de l’Etat à satisfaire les aspirations les plus élémentaires des couches sociales déshéritées.

Il faut tout de même savoir que ces voies publiques qui servent de garages causent des désagréments autant pour les automobilistes que pour les riverains. Pire, les mécaniciens exposent eux-mêmes leur vie en s’installant parfois sous les hautes tensions. « Souvent le courant nous secoue, mais on fait avec. Surtout en période d’hivernage. Que faire ? Personne ne veut rester en bas des hautes tensions. Les gens sont là parce qu’ils ne savent pas où aller ! ». Ils n’ont pas où aller ces garagistes. Il faut alors occuper les chaussées et les trottoirs des voies publiques.

Par contre, certains garagistes installés anarchiquement dans les quartiers se disent prêts à quitter les lieux toutefois, l’Etat a besoin de ses espaces. C’est le cas des mécaniciens et garagistes de Madina où le président du Collectif des Mécaniciens et Vendeurs de Pièces, nous apprend qu’ils sont prêts à quitter si on leur demande de partir. Pour lui, déplacer les véhicules n’est pas un problème.

« Nous sommes prêts à quitter les lieux. Ces voitures que vous voyez sur cale ainsi que tous ces matériels et objets que vous voyez là peuvent être déplacés. Ce ne sont pas des engins lourds ou implantés. Ce n’est pas comme une maison où il faut utiliser des bulldozers. Si l’Etat a besoin de ses espaces, nous ne nous opposerons pas. On quitte », nous rassure N’Fa Mory Diakité, patron du collectif des mécaniciens de la zone de Sig-Madina.

Les propriétaires des parcs autos refusent de regagner leur domaine à Kouria

Cette bonne volonté que manifestent les garagistes n’est pas partagée par les propriétaires des parcs autos. Installés sur les rues, les boulevards, les rails, les parvis, les dalles, les jardins et les esplanades, les vendeurs de véhicules ne veulent pas l’entendre de cette oreille. Ils signent et persistent qu’ils ne sont pas prêts à bouger.

Voilà qui fait qu’aujourd’hui, la fluidité du trafic routier à Conakry est constamment mise à mal notamment par les bouchons interminables dus en partie aux accidents de la circulation, aux pannes des véhicules sur la chaussée et aux parcs autos sur les voies de dégagement et des trottoirs. L’enlèvement de ces véhicules constitue un véritable problème pour les pouvoirs publics malgré plusieurs mesures institutionnelles prises. Débordées sans doute par la croissance urbaine extrêmement rapide, les autorités guinéennes adoptent « le modèle du laisser-faire ».

Les vendeurs de véhicules refusent de regagner le domaine que l’Etat leur a réservé à Kouria sous prétexte qu’il est distant du centre-ville. « C’est vrai. L’Etat nous a octroyé un vaste domaine du côté de Coyah, plus précisément à Kouria (50 km de Conakry). Mais c’est une zone inhabitée, très loin du centre-ville et inaccessible pour les clients. Nous ne refusons pas catégoriquement d’y aller. On attend que l’accès soit possible. Pour le moment, nous nous débrouillons sur les espaces publics et des trottoirs sans gêner la circulation. On a informé les autorités pour leur demander de nous accorder un peu de temps. Nous n’avons pas là où aller », soutient  Cheick Touré, propriétaire du parc auto à Coronthie, dans la commune de Kaloum.

Si les garagistes et les vendeurs de véhicules disent n’avoir d’autre choix que de s’installer en ces lieux inappropriés, le son de cloche est totalement différent du côté des autorités. « Le problème de parcs autos est devenu sérieux. Vu les communes, les quartiers qui sont confondus aux garages, il va falloir prendre des décisions qui s’imposent. Nous allons agir. On va demander à tous les propriétaires de parcs et de garages de chercher des espaces privés pour s’installer. Parce que sur le domaine public, ils sont appelés à partir à tout moment. Ils sont informés que la deuxième opération ne les ratera pas », avertit Khalil Kéita, conseiller au gouvernorat de Conakry.

Même son de cloche du côté du ministère de la Ville et de l’Aménagement du Territoire où on nous laisse entendre qu’après l’hivernage, ce sera le nettoyage systématique. « On sera sans pitié lors des prochaines opérations de déguerpissement. Tous les garagistes, les propriétaires des véhicules des parcs seront priés de quitter les lieux occupés. Ils seront informés à temps. D’ici janvier prochain, vous ne verrez plus des garages anarchiques et des carcasses de véhicules dans les rues ni sur les trottoirs. Nous allons nettoyer les rues de Conakry. Il faut qu’ils partent pour libérer les voies publiques », met en garde, un cadre du ministère interrogé.

Retenons enfin que l’indiscipline, le laisser-aller et la pauvreté sont à la base de cette occupation des trottoirs. Si le trottoir est devenu aujourd’hui pour bon nombre de citadins le principal lieu d’exercice de leurs activités, le détournant ainsi de sa fonction et de son usage premiers, à savoir le passage des piétons, cela pose problème, non seulement au niveau de la gestion de l’espace public et de l’aménagement urbain, mais aussi et surtout au niveau de la gouvernance urbaine, vu les conséquences néfastes que de telles pratiques ont sur les riverains et les passants.

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