Site icon Guinéenews©

« Les contre-révolutionnaires », selon Mme. Fodéba Keïta ( suite et fin de l’entretien)

Mme Kéita Marie Diakité à gauche et sa fille à droite

Quarante-trois ans après l’arrestation de son feu époux, Kéïta Fodéba, ancien ministre et fondateur des Ballets Africains de Guinée, madame Kéïta, Marie Diakité continue de s’interroger. Du sort réservé à son défunt mari aux raisons réelles de l’arrestation, suivie de la disparition de ce dernier, sans oublier les étiquettes de révolutionnaires ou contre-révolutionnaires collées, aux acteurs d’alors, elle attend encore la vérité sur tous ces aspects.

Même s’il ressort dans cette seconde partie de l’entretien accordé à Guineenews, qu’elle reste convaincue que son mari, à l’image d’autres victimes du régime de Sékou Touré, est un des dignes fils de la Guinée que la « révolution » a mangé de façon injuste…

Guinéenews.org : il semble qu’il y avait des signes avant-coureurs de son arrestation, non ?

Madame Keïta Marie Diakité : (…) On lui répétait ça. J’étais présente aussi. Il a dit, mais pour quelle raison je vais quitter le pays ? Ma famille est là. C’est mon pays. Je vais quitter mon pays pour aller vivre où ? Et je n’ai rien fait de mal à Sékou pour qu’il veuille ma tête. Parce qu’on lui disait, si tu ne sors pas, Sékou veut ta tête. Ça, c’était avec ses amis qui venaient le voir à la maison. Il répondait toujours: il veut ma tête pourquoi ? Je n’ai rien fait de déloyal ni contre le pays, ni pour lui nuire.Il ne peut pas m’en vouloir. Je ne vais nulle part. (…) Jusque-là, je ne voyais pas venir le mal.

Guineenews.org : après toutes ces dures épreuves, vous apprenez la disparition de Sékou Touré, vous avez l’opportunité de retourner en Guinée pour la première fois. Qu’est-ce qui s’est passé à votre retour. Et surtout, qu’est-ce qui a été fait de vos biens (parce que vous en aviez avant de partir) ?

Madame Keïta Marie Diakité : oui, on avait cette maison qu’on m’avait dit de quitter, la plantation où il (Fodéba) avait vraiment travaillé. Il avait fait des mangues greffées, des palmiers à huile, de l’ananas après Coyah, sur la route de Forécariah. C’est au moment où on devait faire la cueillette des ananas qu’il a été arrêté. On se bat pour récupérer le terrain parce qu’il y a des gens qui sont venus s’y installer, sur des titres faussement établis par certains fonctionnaires des domaines. Il y en a qui y habitent, d’autres pas encore, par occupation abusive. La maison de Landréah, je suis venue quand il y a eu le coup d’État après la mort de Sékou Touré. J’ai eu audience avec le général Conté (président). A l’époque, c’étaient des audiences publiques qu’il tenait dans une salle bondée et qui se déroulaient ainsi: Tout le monde entre s’asseoir. Vous passez un à un devant lui pour un temps chronométré par quelqu’un qui tenait la montre. Dès que le temps imparti s’épuise, que tu finisses de parler ou pas, tu es interrompu. J’ai vu le général Conté dans ces conditions, qui m’a dit : 《je ne prends pas de papier, je ne sais pas lire. Donc vous dites [oralement] ce pourquoi vous êtes venus. 》

 Je lui ai parlé de Landréah et de Kissosso où nous avions une plantation de manguiers sur 12ha. Lui précisant que de part et d’autre, il y avait les plantations de Ismaël et de Dr Conté Saïdou (dont l’épouse a pu récupérer…). Il (général Conté) m’a répondu ceci : 《le problème de la case de Landréah va se régler, mais ça va prendre du temps. Dites à vos enfants d’aller construire à Kissosso parce que l’endroit-là c’est désormais dans la ville, ce n’est plus pour planter des arbres. Mais ce n’était pas loti encore. En ce moment, je travaillais en Côte d’Ivoire. J’étais venue pour 15 jours. J’ai dit à mon beau-frère que le président a dit d’aller construire là-bas parce que la partie est rentrée dans la ville, que ce n’est pas pour faire un verger. Ce dernier avait peur d’aller même cueillir les mangues. Comme on le dit, chat échaudé a peur de l’eau froide. Il est resté tranquille. Le domaine a été envahi. Je suis revenue lors de mon congé de l’année suivante, j’ai trouvé que c’était loti et que les gens ont tout occupé. Quelqu’un s’est permis de tout vendre.

Guineenews.org : cela veut dire que vous n’avez rien récupéré?

Madame Keïta Marie Diakité: de ces lieux-là (Landréah et Kissosso) nous n’y avons rien récupéré. On se bat pour la plantation qui se trouve à Forécariah.  J’ai donné une procuration à mon beau. Il s’en occupe avec les enfants et d’autres encore. Cela fait un mois qu’on est là. L’affaire est au niveau de la justice qui n’arrive pas à trancher. Quand les gens qui se sont installés sur les lieux sont convoqués, ils viennent quand ils le veulent. Sinon ils ne viennent pas. Ou ils viennent dire qu’ils ne sont pas prêts, sans papiers. Donc, on reporte encore le rendez-vous. Cela fait trois fois qu’on les convoque. Jeudi dernier, j’avais espoir. Mais il n’y a rien eu du tout.

Guineenews.org : sur le plan juridique, l’association des victimes du camp Boiro se bat depuis belle lurette. Est-ce que vous êtes informée du niveau d’évolution du processus ?

Madame Keïta Marie Diakité : les enfants suivent et Hawa et Sidiki en font partie (…).

Guineenews.org : ce sont des épreuves difficiles. Avec le recul, comment comprenez-vous que Keïta Fodéba, avec tout ce qu’il a représenté pour ce pays, se retrouve dans une telle situation ?

Madame Keïta Marie Diakité : qu’est-ce que je peux dire ? La vie est ainsi faite, parce que des gens comme Sékou avec qui ils ont commencé, tous étaient animés de la même idée : l’indépendance de la Guinée. Ils étaient tous (je mets tout le monde dedans) pour l’indépendance, pour le bonheur du peuple de Guinée. Tous ceux qui ont disparu-là étaient pour bâtir la nation correctement. Je vois en tous ces gens-là, ceux qui devaient amener la Guinée au bonheur. J’ai entendu dire qu’il y avait un défi entre Houphouët et Sékou. Chacun disait que son pays va prendre le leadership de la sous-région. Chacun disait que c’est son pays qui sera en tête. Mais ils ont gagné sur la Guinée. Parce que tous les bâtisseurs de la Guinée ont disparu. Quand je pense à tout ce que Fodé a fait, comme a dit sa mère (…), parce que quand Sékou a appris que ma belle-mère est là, suite à l’arrestation de son fils (je reviens en arrière), il a accepté de nous recevoir elle et moi. Nous sommes donc allées le voir. Et il nous a dit qu’il n’est au courant de rien de ce qui se passe dans le pays. Que c’est l’affaire de ceux avec qui nous avons la main dans le même plat, matin et soir.Ce que je peux en dire, c’est que les vrais contre-révolutionnaires, ce sont ceux-là même (qui accusaient les gens). C’est ceux qui sont morts qui voulaient le bien du pays, le bonheur du peuple guinéen. Ils voulaient voir la Guinée à la tête des pays de la sous-région, comme elle a été la première à prendre l’indépendance. Cela n’a pas été le cas. On les a tous éliminés.

Guineenews.org : le décès de votre époux, vous l’avez appris quand exactement ?

Madame Keïta Marie Diakité : comme je vous l’ai dit, j’apprenais des choses et d’autres. Et puis, quand Sékou m’a dit de venir voir dans les archives, là j’étais convaincue du décès. En plus, quand je suis venue après le décès de Sékou Touré, je suis allée directement voir mon beau-père à Siguiri. Il était en vie. Dès qu’il m’a vue, après les salutations, il est rentré dans sa chambre pour sortir avec un tas de courriers. Des lettres qu’on lui remettait au nom de Fodéba. Il me dit : tu connais l’écriture ? J’ai dit non. Il insiste et demande si ce n’est pas la signature de mon mari, j’ai dit non, ce n’est pas sa signature.

Il a tout repris en disant : 《Dieu peut faire ce qu’il veut de moi maintenant, parce que je lui avais demandé de me garder jusqu’à ce que je sache exactement ce qui est arrivé à mon fils. Quand les prisons ont été ouvertes après le coup d’État, je n’ai pas entendu parler de lui. Et tu viens me dire que tu ne reconnais pas ces écritures, maintenant je sais qu’il n’est pas en vie. Dieu peut faire de moi maintenant ce qu’il veut. Mais je te demande une seule chose : c’est de rester pour que je meure dans tes mains. 》 Alors que j’étais venue seulement pour deux semaines, comme toutes les fois que je
vienne. Je lui ai dit que je ne suis venue avec rien du tout, donc de me laisser repartir chercher mes affaires pour revenir…

Guineenews.org : par ailleurs, il nous est rapporté qu’il y avait beaucoup de hauts cadres autour de Kéïta Fodéba dont Karim Fofana, Achkar Marof et que vous-même étiez à l’aéroport à l’arrestation de ce dernier…

Madame Keïta Marie Diakité : pour Achkar Marof, bon Dieu ! C’était terrible ça aussi. Parce qu’il (Achkar Marof) ne voulait pas venir. Il occupait un poste important au niveau international, après avoir représenté la Guinée d’abord. Selon ce que j’ai appris, Sékou a demandé qu’il rentre, mais il ne voulait pas. Son épouse m’en a voulu aussi, parce que comme on a arrêté Achkar Marof avant Fodéba, nous l’avons logée à la case, à Landréah. C’est peu de temps après qu’on a arrêté Fodéba. J’ai été la trouver là-bas. Quand Sékou lui a dit de venir, il ne voulait pas. Fodéba lui a demandé de venir, il a accepté parce qu’ils se connaissent, ils étaient ensemble dans les ballets, c’était comme des frères. Tous les gens des ballets, pendant le travail, c’était sérieux, Fodéba ne blaguait pas. Mais après, c’était comme une famille, du rire (…).  Marof a accepté de venir quand Fodé lui a dit de venir, il est venu. Nous sommes allés à l’aéroport pour accueillir Marof. Quand nous sommes arrivés, Fodéba a vu des agents à l’aéroport. Il a dit pourquoi ces gens sont là ? Ça l’a intrigué. Ils font quoi ici ? Puisqu’il était auparavant à la Défense, il a commencé à tiquer. J’ai dit, tu ne sais pas, mais comme on est venu accueillir Marof, occupons-nous de cela. Nous nous sommes donc avancés pour l’attendre au bas de la passerelle. Dès que Marof est descendu, les agents se sont interposés et nous ont dit qu’ils sont venus accueillir Marof. Fodé leur dit, qui vous a envoyés ? Ils ont répondu : « le président ». Il leur dit, laissez-le venir avec moi dans la voiture pour aller chez le Président parce que je suis venu l’accueillir aussi. Ils ont répondu non! Lui exigeant de monter à bord de leur véhicule. Ils ont insisté, sans ménagement. Donc, Fodéba était obligé de laisser Marof monter dans leur véhicule. Le voilà partir pour le camp Camayenne, devenu plus tard camp Boiro. Nous suivions leur voiture. Arrivés au niveau du camp Camayenne, ils y entrent et déposent Marof dans la prison. Là, Fodéba me dit d’aller avec le chauffeur, dans seconde voiture qu’il avait prévue, pour déposer les bagages, pendant que lui ira voir Sékou Touré. Il a continué directement.  Mais arrivé au palais, on lui dit que Sékou Touré est parti à Kindia, il fonce sur Kindia, on lui dit que Sékou a continué sur Mamou, il part donc pour Mamou, pour s’entendre dire que le Président est passé pour Labé. Là, il comprend qu’on le mène en bateau et retourne à Conakry. Il n’a pas pu le voir alors qu’il semble que Sékou Touré n’avait même pas bougé de Conakry. Il est rentré tard, ce jour, à la maison. Mais pour Rosemonde (paix à son âme, sans l’intervention de Fodéba, son mari ne serait jamais venu. Et c’est vrai que Fodéba s’en est voulu d’avoir tant cru aux promesses de Sékou que c’était juste pour une consultation que Sékou insistait pour faire venir son ami.

Guineenews.org : nous tendons vers la fin de cet entretien. Est-ce qu’il y a un aspect particulier que vous voudriez aborder, ou un message, un conseil ou un souhait pour la Guinée ?

Madame Keïta Marie Diakité : d’abord, j’ai connu la Guinée à cause de Fodéba. Je suis venu voir les ballets et leur directeur que tout le monde souhaitait voir partout où ils passaient. Je devais repartir, mais Dieu a voulu que je reste ici. J’ai eu comme époux, Fodéba, donc je suis restée. Mais, je vous ai dit déjà que je ne sortais pas. Je n’avais pas beaucoup de relations aussi. Nous avons vécu dix ans de mariage, pas plus (fin 58 – début 69). Après son arrestation, je suis partie d’ici. J’ai vécu là-bas avec les enfants jusqu’à la mort de Sékou Touré. Ce que je déplore, c’est le fait que tous ces gens qui voulaient du bien pour la Guinée aient disparu comme ça. Que tout ce monde soit parti de cette manière. Et voilà le pays. Depuis l’avènement de l’indépendance jusqu’aujourd’hui (ça fait 64 ans), quand je vois la Guinée dans cet état, comparé aux pays limitrophes, ça fait mal au cœur. Et je sens que l’actuelle génération ignore ce qui s’est passé. Ils ne connaissent même pas les gens qui ont disparu. Si ce n’est pas les parents, les enfants et les petits enfants des victimes, les autres ne connaissent rien de ceux qui ont disparu injustement comme ça. Et avec ça, le pays n’avance pas, parce que même dans l’armée aussi il y a eu des dégâts. Des hommes de valeur qui ont appris des choses, qui étaient allés faire des stages, on les a fait disparaître.  Le sang qu’ils ont versé là (…), c’est mauvais. Ce sont des innocents qui sont morts comme ça. Il faut qu’on sache la vérité sur tout ce qui s’est passé là. Tous ceux-là étaient des travailleurs qui se sont donnés pour leur pays comme Fodéba. Un Baïdy Gueye, le travail qu’il a fait avec la pâtisserie, la biscuiterie, comme Sékou Sadibou (Guinéo-malien) qui avait la première usine de jus de fruits. C’était des grands bâtisseurs. C’était des vaillants fils de Guinée qui voulaient le bonheur du pays et des Guinéens. C’est comme si on a fait une sélection pour faire disparaître tout ce monde-là. Donc quand je réfléchis, je me demande qui étaient les vrais contre-révolutionnaires ? Où étaient-ils ? Ce sont ceux qui sont contents de voir la Guinée dans cet état-là…

Entretien réalisé par Thierno Souleymane

Quitter la version mobile