Par Youssouf Sylla, analyste-juriste à Conakry.
Le deuxième coup d’Etat du colonel Assimi Goïta le 25 mai dernier au Mali vient de modifier les conditions de l’engagement militaire français dans le Sahel. Alors que la Cedeao et l’Union africaine semblent privilégier la voie de la pression diplomatique sur la junte militaire pour un rapide retour du pouvoir aux civils au travers des élections libres, que celle de la sanction qui ne fera qu’aggraver la crise politique et sécuritaire dans un pays confronté à la montée en puissance de l’islamisme radical, la France quant à elle a choisi de mettre fin à l’opération Barkhane au Mali, et plus largement dans le Sahel.
Macron n’approuve pas en effet l’approche jugée molle de la CEDEAO face à la récidive de Goita. Une attitude du reste étonnante, lorsqu’on sait que dans le cas du Tchad, il s’était plutôt montré compréhensif de la succession, pourtant non régulière, de Mahamat Idriss Deby à son père, Idriss Deby Itno, tué en avril dernier par un groupe radicalisé de son opposition.
Changement de la stratégie française dans le Sahel
Depuis le deuxième coup de force de la junte militaire au pouvoir à Bamako, Macron a décidé le 10 juin de mettre fin à l’opération Barkhane, en annonçant que les forces armées françaises n’ont pas vocation à demeurer éternellement dans le Sahel. Il se montre en revanche favorable à la multilatéralisation de l’action militaire dans le Sahel pour lutter contre les jihadistes. Techniquement, la fin de cette opération signifie que les soldats français n’interviendront plus directement sur le terrain contre les djihadistes, ce qui est certainement une excellente nouvelle pour ces derniers. Mais, il envisage donner plus d’importance à la Task Force Tabuka, cette émanation de Barkhane, mise en place en 2020 sur initiative de la France. Officiellement, le rôle de Tabuka, cette structure qui regroupe en son sein les unités d’élites de certains pays européens, est de « conseiller, d’assister et d’accompagner au combat les unités conventionnelles de l’armée malienne dans la lutte contre le terrorisme ». Une question par ailleurs pointe à l’horizon face au changement de la stratégie française: que sera l’impact du désengagement français sur les autres pays européens dont les unités d’élites sont engagées dans Tabuka?
La multilatérisation des actions militaires dans le Sahel voulue par la France
Plus généralement, en ce qui concerne la France, l’idée de l’internationalisation de l’action militaire pour relever les défis sécuritaires en Afrique subsaharienne est antérieure à son engagement dans le Sahel. Selon les conclusions d’un rapport du sénat français (2006) sur « la gestion des crises en Afrique subsaharienne », deux limites justifient un changement de cap. La première limite est d’ordre politique car « Les conditions politiques dans lesquelles s’effectuent d’éventuelles opérations militaires ont par ailleurs profondément changé. Elles sont marquées par le renouvellement des générations au sein de populations africaines très jeunes, la circulation rapide de l’information et de nouveaux modes de mobilisation nationale sur le thème de la « deuxième indépendance », dont le phénomène des « jeunes patriotes » en Côte d’Ivoire est une illustration ».
La seconde limite est quant à elle financière. Elle s’explique par « Le coût d’une intervention sur tout théâtre extérieur, en Afrique comme ailleurs, est toujours élevé, du fait des moyens matériels et humains qu’elle requiert. Qu’il s’agisse d’une intervention directe, supportée par le budget du ministère de la défense ou d’une opération de maintien de la paix des Nations unies, dont la contribution française est imputée sur le budget du ministère des Affaires étrangères, toute intervention affecte le budget de l’Etat, avec des variations qui peuvent être considérables ».
Ce sont justement ces limites qui semblent imposer désormais la multilatéralisation tant recherchée par Macron. Il se rend compte que dans le cas du Sahel, les défis sécuritaires sont de plus en plus complexes avec de fortes déclinaisons politiques, sociales et économiques, sur lesquelles il est difficile d’avoir le contrôle. Mais aussi que la France perd de plus en plus les moyens de ses ambitions en Afrique.
En effet, après la première victoire de l’armée française contre les djihadistes en 2013 à travers l’opération Serval conduite sous la présidence de Hollande, la situation semble s’enliser sur le terrain quelques années après . Macron est confronté à un contexte sécuritaire et diplomatique plus qu’inconfortable, résultant en particulier de la mort de certains soldats français sur le terrain, de la montée en puissance d’un sentiment anti français dans la région et aussi de la différence d’appréciation entre lui et la CEDEAO de l’évolution politique de certains pays de la région. A cela s’ajoute l’incapacité du G5 Sahel de contrer effectivement la menace terroriste. Jean-Pierre Olivier de Sardan, franco nigérien et chercheur au CNRS estime dans une tribune publiée dans le journal le Monde que « L’armée malienne est un grand malade et les armées burkinabée et nigérienne ne sont pas préparées à ce type de guerre asymétrique, faute de stratégie, de chaîne de commandement compétente, de matériel adapté et de forces spéciales. De ce fait, et aussi en raison de l’absence de financements internationaux, le G5 Sahel, qui constitue la seule alternative crédible à la force « Barkhane », n’est pas prêt à prendre la relève ».
Dans ces conditions, on se demande si la fin de l’opération Barkhane d’une part, et d’autre part, l’incapacité du G5 Sahel de faire face aux multiples défis sécuritaires de la région, ne constitueront pas pour les terroristes islamistes, une extraordinaire opportunité d’expansion de leurs luttes dans le Sahel, les pays limitrophes et pourquoi pas toute d’Afrique.