Fidèle Goulyzia est un journaliste reporter ivoirien qui vit à Besançon, dans l’est de la France. Juriste internationaliste de formation, l’homme, par passion, a embrassé le journalisme il y a une quinzaine d’années. Actuellement versé dans la préparation d’un doctorat de troisième cycle en Droit international à l’Université de Cocody, en Côte d’Ivoire, son travail de recherches porte sur la mise en œuvre du Droit international humanitaire dans son pays depuis 2002, date de l’éclatement de la rébellion armée.
Celui qui se définit comme un afro-centriste ouvert sur l’humanité vient d’écrire son premier essai littéraire qui s’intitule Tchapalo Tango. Dans cet ouvrage, l’auteur dépeint de nombreuses tares qui assaillent le continent, notamment la corruption, le musellement des libertés publiques et de la presse, l’ivresse du pouvoir en Afrique… Tout ceci se passe dans un pays qu’il a baptisé ‘’Dougoutiana’’. Il présente l’œuvre dans une interview exclusive accordée à votre quotidien électronique Guinéenews.org. Lisez !
Guinéenews© : vous venez d’écrire une œuvre littéraire, faites-nous une brève présentation dudit ouvrage.
Fidèle Goulyzia : tchapalo Tango est mon tout premier roman. C’est une œuvre de 324 pages repartie en dix chapitres et publiée aux éditions Captiot, une jeune maison d’éditions française qui a fait confiance en mon projet littéraire et avec laquelle j’ai décidé de faire chemin pour ce projet qui est un défi pour moi. Tchapalo Tango n’est pas une autobiographie ou une autofiction. Mais il faut avoir pratiqué une rédaction pour comprendre les arcanes de l’info telles que présentées dans le roman. Le Tchapalo, c’est une bière de mil, de sorgho ou de maïs bien connue en Afrique de l’ouest et centrale et dont la commercialisation cristallise des passions et des joutes de beuverie dans des bistrots appelés tchapalodrome. J’ai voulu faire le parallèle avec l’ivresse du pouvoir qui peut se saisir d’un dirigeant politique grisé. Le roman raconte l’histoire de Paul Stokely, jeune étudiant qui vient de décrocher sa licence de sociologie, mais qui doit faire face aux dépenses de grossesse de sa petite amie. Il rencontre un journaliste dans un tchapalodrome qui va devenir son mentor dans le métier. Il est révélé par le quotidien du parti au pouvoir. Puis, il va se brouiller avec son organe de presse pour rejoindre le canard de l’opposition. Le point névralgique du roman sera atteint quand son pays, Dougoutiana, sera frappé par la première attaque terroriste de son histoire. Le jeune journaliste va être contraint de s’exiler car, accusé de complicité de terrorisme. Mais derrière cette lourde accusation, se cache un règlement de compte, puisqu’il est l’amant de la maîtresse du porte-parole du gouvernement.
Guinéenews© : dans ce roman, vous faites la peinture des tares comme la corruption, le musellement des libertés publiques et de la presse, l’ivresse du pouvoir dans un pays appelé Dougoutiana. Au regard du contexte sociologique en Guinée, Dougoutiana n’est-il pas la Guinée ?
Fidèle Goulyzia : étymologiquement Dougoutiana veut dire en malinké « pays ravagé, pays abîmé, détruit », un pays où tout va à vau-l’eau. Mais la Guinée n’est pas Dougoutiana. Il y a des signes d’inquiétudes, une cristallisation du débat public autour du probable troisième mandat d’Alpha Condé qui entraîne des morts inutiles qu’on peut éviter. L’ivresse du pouvoir n’est pas un syndrome propre à une sphère tropicale précise. Qu’elles soient vieilles, jeunes ou en phase de transition, les démocraties sont menacées chaque fois qu’il y a rupture entre pouvoirs du fait de la volonté autocratique de celui qui détient les leviers du pouvoir exécutif. La Guinée est à un tournant décisif de la jeune histoire démocratique écrite dans les larmes et le sang de militants politiques. Toute l’Afrique regarde Alpha Condé. Je ne vous cacherai pas, qu’au regard de son parcours, j’ai une sincère admiration pour le président guinéen. Il a un discours panafricain décomplexé qui respecte la tradition de rupture inspiré de Sékou Touré. Ses prises de position sur l’autodétermination de l’Afrique restent très inspirantes pour moi. Mais dans la pratique du pouvoir, il s’est enlisé en laissant faire un entourage avide de privilèges et de passe-droits. Le retard structurel de la Guinée ne pouvait pas se faire non plus en dix ans, malgré toute la bonne volonté politique. Aujourd’hui, Alpha Condé, pour avoir exercé le pouvoir, peut-être une mine de conseils pour toute cette jeunesse sans repères. J’ai bien envie de lire les mémoires du président Condé pour comprendre quel rôle a joué Bernard Kouchner dans son renversement de tendance au second tour de la présidentielle de 2010, de savoir la part de vérité du président Condé surtout ce qui se dit sur l’influence de Kouchner dans l’octroi de certains marchés.
Guinéenews© : en écrivant ce livre, quelle est la réelle motivation derrière ?
Fidèle Goulyzia : il n’y a pas de motivation réelle, supposée ou cachée chez moi. J’écris pour parler de questions qui minent mon époque. J’écris pour le lecteur de Conakry ou N’Zérékoré, de Grand-Bassam, de San Pedro, en Côte d’Ivoire. J’écris pour ouvrir le champ de la réflexion sur des questions lancinantes comme la menace terroriste, la liberté de la presse, le sens de la démocratie. Qu’est-ce qu’un journaliste doit dire ou ne doit pas dire dans un contexte sécuritaire aussi sensible comme la menace terroriste ? Doit-on croire en tout ce que nos gouvernements disent sur la guerre contre le terrorisme, au nom du secret défense ou de la sûreté de l’Etat ? Dans un autre registre, que valent ces alternances mécaniques qui ont suffi à élever au panthéon de modèles démocratiques des pays qui sont minés de l’intérieur par un système partisan sclérosé ? Les questions sont posées et doivent devenir des axes de réflexions. C’est cela ma contribution à travers Tchapalo Tango. Dans le roman, Dougoutiana est partagé entre deux grands partis qui tiennent en otage leurs militants sans qu’une troisième offre politique crédible ne s’offre aux électeurs. Ce n’est pas ça la démocratie. Le critère formel du vote ne résume pas la démocratie. Des alternances peuvent s’accumuler sans changement structurel pour un pays. Tous les 5 ans, s’il faut brûler tout le pays pour le reconstruire après, diaboliser le pays à l’extérieur, s’enfermer dans une logique de revanche communautaire au nom de séquelles du passé ou vouloir conserver le pouvoir parce qu’on a des contrats miniers à préserver. Non, on ne s’en sortira jamais. Cette démocratie qui met mécaniquement au pouvoir de nouvelles élites corrompues doit cesser.
Guinéenews© : quelle assurance donnez-vous aux lecteurs guinéens qui souhaiteraient lire votre livre ?
Fidèle Goulyzia : ma maison d’éditions est déjà en contact avancé avec un certain nombre de diffuseurs bien implantés en Afrique pour que nos lecteurs du continent puissent nous lire très rapidement. C’est un engagement ferme que nous prenons. Nous restons disponibles également auprès de tous les acteurs de l’industrie du livre sur le continent pour faire connaître cette œuvre qui, nous l’espérons, fera son chemin dans le cœur des lecteurs.
Interview réalisée par Mady Bangoura